Livre (re) lu – Charles Bukowski : Hollywood, et un poil de Bourse

Je lisais Hollywood, de Charles Bukowski (Livre de poche n° 9597) en parallèle du Golem de Gustav Meyrinck, et au-delà de la satyre – vécue – du milieu hollywoodien (on croise Jean-Luc Godard, Sean Penn, Werner Herzog, Mickey Rourke, Faye Dunaway « le dernière des grandes stars »), j’en ai glâné quelques citations qui m’amusent, ou entrent en résonance avec des thèmes de finance :

A un fiscaliste, qui lui explique comment défiscaliser ses revenus (acheter une voiture, se transformer en société, nommer un conseil d’administration, etc.)

Quelle horreur ! Ecoutez, j’ai l’impression que c’est des conneries. Je ferais peut-être mieux de continuer à payer mes impôts. Je ne tiens pas à ce qu’on m’emmerde. Je ne veux pas qu’un inspecteur des impôts vienne frapper à ma porte en pleine nuit. je suis même prêt à payer plus pour être sûr qu’on me foute la paix.
Charles Bukowski, Hollywood, Livre de poche n° 9597, p. 55.

J’adore ce travers humain bien compréhensible qui dit « je suis prêt à payer un supplément pour obtenir ma tranquilité d’esprit ».

A propos des courses de chevaux (mais les marchés boursiers ne sont pas loin)

A être trop gourmand, on commet des erreurs dans la mesure où sont en jeu des sommes importantes qui risquent d’affecter le processus de pensée. […] Vous comprenez, on est assis et on entend tous ces gens raconter qui va gagner et pourquoi. C’est à vous rendre malade. Des fois, vous avez l’impression d’être dans une maison de fous. Et d’une certaine manière, vous y êtes. Chacun de ces frappés s’imagine en savoir plus que les autres frappés, et ils se trouvent tous réunis dans le même endroit. Et moi j’étais là, avec eux.
Charles Bukowski, Hollywood, Livre de poche n° 9597, p. 237.

A propos de la Bourse, un chroniqueur sur Yahoo Finance (info glânée sur FinanceProfessor) rappelle ce que tous les chercheurs et les profs de finance savent déjà depuis longtemps :

  1. Passer du temps à choisir ses actions (stock picking) est une stratégie perdante, comparée à l’achat d’un portefeuille indexé sur l’indice boursier (indexing) ;
  2. Confier ses fonds à un gestionnaire, un fonds d’investissement, une Sicav ou un FCP est une stratégie perdante, pour la raison 1., et parce que la performance de ce fonds est amputée des frais salaires et commissions que le fonds doit payer ;
  3. Acheter un portefeuille automatiquement indexé, par exemple par le biais d’un tracker (thibillet ici), permet de réaliser exactement la performance du marché boursier. Pas plus, mais pas moins…

Mais ce que ce chroniqueur ajoute, c’est une quantification de la sous-performance. Sur les 35 années de 1971 à 1994, les fonds gérés ont sous-performé le marché de 0,87% à 1,05% par an. Ce qui donne -26% à -31% sur 35 ans, ou -8% à -10% sur 10 ans. Ceux qui m’ont suivi jusqu’ici diront : « oui, mais c’est une sous-performance en moyenne, il y a certains fonds qui ont sur-performé le marché ». Réponse : oui, mais il n’y a pas de persistance historique (le meilleur de 1994-1996 n’est pas le meilleur de 1997-1999) et on ne peut connaître « les bons » qu’après coup.
Bref, achetez des trackers et allez dormir, vous gagnerez plus d’argent. Vous pourrez alors me payer une bonne bouteille de Margaux.

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Caillou – K2

Tes lèvres
forment un double pic
un col rose, une vallée douce
où mes lèvres voudraient skier
à peine fartées.

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La tête d’un homme

J’y vais de mon petit commentaire sur le match d’hier soir, sans grand espoir d’originalité, plutôt, comme d’habitude, pour poser mon cerveau sur la table et en recopier les circonvolutions sur le papier.

Au sujet du match

J’ai bien apprécié ce match, tout en actions et en stress. Les Italiens sont des très bons joueurs, avec une défense nombreuse et des contres rapides. La deuxième mi-temps était française, et je retiens les deux presque buts que l’équipe de France aurait pu marquer : le tir de Ribéry qui a manqué le but de peu, et la tête de Zidane qui ressemblait presque geste pour geste au premier but de Zidane dans ce France-Brésil de 1998.

Au sujet du geste de Zidane

J’ai beaucoup d’indulgence pour ce geste. Bien sûr, ça ne se fait pas, et le carton rouge n’est que la sanction logique et évidente d’un tel geste. Ce qui m’intéresse et ce qui, à mon avis permet de comprendre ce qui a pu passer dans la tête de Zidane avant qu’elle ne se retrouve sur le sternum de Materazzi c’est le contexte. J’ai trois éléments de réflexion, qui entrent en résonance avec ma propre vie, ce qui explique mon indulgence pour ce geste brutal.

  1. La pression. On oublie vite que ces footballeurs sont totalement sous pression. Le niveau de stress, le mental qui vacille, le corps qui fatigue, ne peuvent être que vaguement imaginés par les observateurs extérieurs que nous sommes. Pendant les derniers matchs, et spécialement celui d’hier soir, je répétais souvent « qu’est-ce que c’est dur ! » J’étais littéralement dans les chaussettes des joueurs, et par empathie, je souffrais (un peu) avec eux. La pression de l’auditoire, le stress de la performance, le trottinement inexorable des aiguilles, doivent être une épreuve épuisante. Dans cette situation, on n’est plus vraiment soi-même.
  2. Le symbole et l’être humain. Je n’ai pas spécialement apprécié le commentaire « Oh non ! Pas maintenant ! Pas après tout le bonheur qu’il nous a donné ! » Je pense, comme beaucoup, que l’on a chargé Zidane d’un fardeau bien trop lourd à porter pour une seule personne. Et ce n’est pas en évoquant son salaire que l’on pourra justifier cela. Oui, Zidane est un exemple de réussite et de travail, mais ce n’est pas un être parfait, c’est un humain. Lui dénier le droit de s’emporter, c’est lui dénier sa liberté, et son côté humain. Dans un livre, j’avais lu « il ne faut pas aller toucher les idoles, la dorure reste sur les mains ». Je revendique au contraire le droit de dire : si la dorure reste sur les mains, c’est que c’était un être humain. Et tant mieux.
    J’en viens même à me demander si ce coup de tête n’a pas été une ultime ruade, une manifestation de liberté. C’est probablement du domaine de l’inconscient, mais j’aime bien penser que Zidane s’est libéré par ce geste, comme un verre qu’on a voulu trop cristallin, et qui se brise.
  3. Le comportement des joueurs. Si je devais dire toute ma rage et mon énervement, il me faudrait plusieurs pages. Je suis choqué, outré, j’ai physiquement mal, quand je vois ces comportements de déstabilisation sur le terrain. Les insultes, le harcèlement, les tapes sur la tête des joueurs sont inadmissibles. C’est une grande hypocrisie : le joueur fait semblant de tapoter la tête d’un concurrent malchanceux, mais ce geste est en fait extrêmement méprisant, il vise à énerver, et à faire sortir les adversaires de leurs gonds. Qu’on ne vienne pas me dire que cela fait partie de l’équation psychologique, et que toute politique est bonne pour saper le moral de l’adversaire : ces gestes, ces mots, sont à vomir. Je ne sais pas ce que Materazzi a pu dire à Zidane, mais pour récolter une telle réaction, il n’a pu dire que les choses les plus basses, les plus insultantes et blessantes. Ce n’est pas comme cela que ce jeu devrait se passer. Imaginerait-on des joueurs de tennis qui s’insultent à mots couverts ? Des golfeurs qui s’asticotent mutuellement ?
    Cette rage que je ressens, c’est aussi celle de celui qui s’est trouvé plusieurs fois dans des situations de conflits (automobilistes, passagers de train) et qui s’est fait insulter copieusement, en prenant le plus souvent le parti d’encaisser avec calme et de tourner l’autre en dérision. Parce que je le pense sincèrement : la violence ne résout rien, et elle défoule à peine. Mais avec tous ces encaissements, j’ai une rage qui ne sort pas, et qui est susceptible de péter un jour. Ce que je pense partager avec Zidane, c’est ce sentiment d’une grande injustice : devoir tolérer sans broncher les piqûres infmantes, sans réagir, c’est parfois au-dessus des forces d’un homme normal. Et Zidane n’est rien d’autre qu’un homme normal, c’est pour cela que je l’apprécie, et continuerai à l’apprécier.
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Caillou – Hokusai

Ce nuage a concentré
tout son bleu dans sa lisière,
comme des pigments rassemblés
dans la tache humide de l’aquarelle,
à la frange du papier sec.
Le ciel est une grande feuille de Canson
mouillée de nuages.

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Métamorphose

Bénédiction de la douche du matin. Certes, la douche du soir, prélude à une nuit fraiche, est agréable, il fait nuit dans la salle de bain, comme dit Philippe Djian « une de ces nuits où on n’a plus qu’à boire frais, en espérant une petite brise sur le coup de trois heures du matin ».
Mais le matin… Englué, ensuqué, au radar, la tête dans le pâté et les neurones en coquillettes trop cuites. Hop, salle de bains, geste automatique vers la radio (un petit jouet que je viens de m’acheter, une radio qui marche à l’énergie solaire ou musculaire. On tourne la manivelle ici, pendant 30 secondes, et ça donne 45 mn de radio… ou bien on laisse reposer sur l’étagère pendant toute la journée, face à la fenêtre, et Phébus fait tout le boulot de recharger la batterie), et la voix sirupeuse de l’animatrice de FIP me dégouline dans les pavillons auditifs.
Puis vient l’immersion, le baptême d’eau lustrale, la renaissance. Avant : un chromosome Y pas rasé, plantigradesque, monosyllabique. Après : une lame bien affûtée, reflétant le soleil par éclats, une envie de faire des choses importantes (écrire un livre, faire avancer le Projet Phenix, embrasser les vies). Personne ne l’a jamais mieux dit que Charlélie Couture :

Enfin bref
on se réinvente une pluie
mais à la bonne température
comme des sorciers civilisés

Charlélie Couture, Envie de l’eau, in Poèmes Rock, 1975.

Et après, mon autre douche du matin, celle-là à usage interne : un expresso. Puis un deuxième. C’est bon, il y a quelqu’un dans mon cerveau, on peut commencer.

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Nous sommes tous des îles

J’entends parler ce matin du suicide d’une jeune fille de 23 ans, une connaissance de connaissance que je ne connaissais pas. Trois citations, ou trois pensées :

  1. En exergue de Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway, se trouve un fragment d’un sermon de John Donne qui m’a frappé, il y a longtemps, comme une évidence trop souvent oubliée :

    Any mans death diminishes me,
    Because I am involved in Mankinde.
    And therefore never send to know for whom the bell tolls,
    It tolls for thee.

    La mort de tout être humain me diminue,
    Car je suis concerné par l’humanité tout entière ;
    Aussi ne demande pas pour qui sonne le glas,
    Il sonne pour toi.

    Le sermon original de John Donne peut être trouvé ici.

  2. Dans Et au milieu coule une rivière (que ce soit le film réalisé par Robert Redford ou le livre d’où est issu le film, écrit par Norman MacLean), il y a cette pensée, que j’essaie de retranscrire de mémoire :

    Les êtres qui nous sont proches peuvent aussi, paradoxalement, être les plus éloignés de nous. Nous les voyons prendre des chemins, sans pouvoir les aider, soit qu’ils ne souhaitent pas que nous les aidions, soit qu’ils ne sachent même pas comment ils pourraient s’aider eux-mêmes. Mais cela ne nous empêche pas de les aimer.

  3. Il existe un texte que j’avais découvert lors de l’enterrement d’une de mes étudiantes, il y a quelques années. Il semblerait que ce soit une prière de Saint Augustin à partir de laquelle Charles Péguy a écrit un poème. Il en existe plusieurs versions, sans que je souhaite en faire une recherche bibliographique précise. Cela fait juste partie des textes qui me conviennent.

    Ne pleure pas si tu m’aimes.
    Je suis seulement passé de l’autre côté.
    Je suis moi. Tu es toi.
    Ce que nous étions l’un pour l’autre, nous le sommes toujours.
    Donne-moi le nom que tu m’as toujours donné.
    Parle-moi comme tu l’as toujours fait, n’emploie pas un ton différent.
    Ne prends pas un ton solennel ou triste.
    Continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble…
    Prie, souris, pense à moi, prie avec moi.
    Que ton nom soit prononcé à la maison comme il l’a toujours été, sans emphase d’aucune sorte, sans une trace d’ombre…
    La vie signifie toujours ce qu’elle a toujours signifié.
    Elle est ce qu’elle a toujours été : le fil n’est pas coupé.
    Pourquoi serais je hors de ta pensée ? Parce que je suis hors de ta vue ?
    Mais non, je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin…
    Tu vois, tout est bien…
    Tu retrouveras mon coeur, tu en retrouveras les tendresses épurées.
    Essuie tes larmes et ne pleure pas si tu m’aimes…

    Charles Péguy, d’après une prière de Saint Augustin.

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Petits bonheurs

J’avais mentionné dans un précédent billet (2ème paragraphe) le fait que, nonobstant les sujets sérieux sur lesquels j’écris, je prends plaisir à émailler mes doctes ouvrages d’une pointe de poésie.
Allant déposer un de mes ouvrages dans de blanches mains, j’ai pris à partie quelques auditeurs débonnaires et compatissants pour leur asséner le conseil de la page 235 :

Surtout n’essayez pas d’utiliser le CMPC à des fins pratiques avant le chapitre 17, sinon vous partirez dans le mur comme des poulpes survitaminés.

Moi ça me fait rire. N’est-ce pas la preuve de l’autarcie la plus complète ? Pour un peu, le bonheur ne serait pas loin…

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Batana – Schraker

Voici la Batana du jour.

Schraker (ou chraker) : v.t. Serrer une main en saisissant uniquement les doigts et en pressant fort.
Par extension : interrompre une conversation ou une histoire parce qu’on avait une idée et que ça ne pouvait attendre. Substantif : une schraka (ou chraka), comme dans « quel glaviot, il m’a encore servi sa schraka ! »

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Blaise et l’obèse sont à l’aise dans un bâteau

Mon éditeuse favorite me proposait d’écrire un jour un billet sur les dictionnaires. Je l’avais appelée donzelle, elle en avait retenu la connotation péjorative et de là, elle me conseilla de vérifier dans différents types de dictionnaires. Hélas, je n’ai qu’un type de dictionnaire à la maison, le Littré. Heureusement, il existe le Trésor de la Langue Française Informatisé.
Le premier nous dit :

Donzelle :

  1. Fille ou femme de distinction (cet emploi est tombé en désuétude) ;
  2. Fille ou femme dont on parle très familièrement ;
  3. Fille ou femme dont on parle légèrement, d’un ton de mépris ;
  4. Nom vulgaire d’un poisson, l’ophidie barbue, dite aussi demoiselle.

Le second parle ainsi :

Donzelle :

  1. Rare et vieilli
    • Sans nuance péj. Jeune fille.
    • P. ext. Fille ou femme à l’allure ou à la tenue équivoque, de mœurs légères.
    • Usuel, fam. et par dénigrement. Jeune fille ou femme prétentieuse et ridicule.
    • En partic., souvent pour indiquer péjorativement un comportement naïf dans le domaine sentimental.

Les deux dictionnaires ne se contredisent pas, ils ont même des sens communs, mais on ne peut parler d’identité de sens. Certes, mon Littré date de 1873, et la langue évolue, mais la différence est notable.

Un autre domaine où l’ancien est battu par le neuf : les ouvrages de grands auteurs. En réaction à un commentaire de l’Obèse ascète, je suis allé chercher dans Les Pensées de Pascal l’origine d’une pensée. Hélas, dans mes deux exemplaires (Firmin-Didot, 1873, et Garnier Frères, sans date, mais après 1844), impossible de la retrouver. Je fais confiance à mon obèse contradicteur, d’autant plus qu’une recherche gougueule me donne le numéro « moderne » de la pensée (593), tel qu’il me l’avait indiqué. J’ai beau me fonder sur différents sites web, indiquant différentes parties de l’ouvrage, je ne trouve pas. J’en déduis que mes deux éditions sont

  1. incomplètes, ou
  2. ordonnées différemment.

Ce n’est pas dramatique, c’est juste fastidieux. Par exemple, dans le Garnier Frères, la pensée qui commence par « César étoit trop vieux, ce me semble, pour s’aller amuser à conquérir le monde » est numérotée 29, au chapitre IX, tandis qu’elle porte le numéro 47, chapitre XXV, dans le Firmin-Didot. Vous me direz : qu’importe l’ordre des billes, du moment que le sac est plein. Certes, mais j’intuite grave qu’en sus d’un classement différent, chaque éditeur a aussi sombrement coupé dans son édition.
A qui faire confiance, donc, si des margoulins massicotent à tout-va dans les pensées des auteurs ?
Mise à jour : tous les éditeurs ne sont pas des margoulins. Mon éditeuse est érudite (enfin, elle sait se servir de Glougl…) et me signale que ce problème des éditions des Pensées est récurrent, et connu, tout ça à cause de ce fichu Pascal qui savait pas utiliser une agrapheuse. Plus d’infos ici. Fin de Mise à jour.

Enfin, quelques consolations : cette recherche nocturne et opinitre m’a permis de découvrir quelques pensées, et l’envie de lire l’ouvrage entier pour y glâner des trucs que je mettrai en exergue de mes prochains livres (ça fait vendre à mort, le pékin se dit « wahou, il a trouvé sur Goog’l , c’est un techno-beauf »).
J’ai notamment trouvé l’origine d’une expression que j’attribuais à tort à Victorugo :

Condition de l’homme : inconstance, ennui, inquiétude. Qui voudra connaître à plein la vanité de l’homme, n’a qu’à considérer les causes et effets de l’amour. La cause en est un je ne sais quoi (Corneille) ; et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu de choses qu’on ne saurait le reconnaître, remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier. Si le nez de Cléoptre eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé.
Pascal, Pensées, Première partie, article IX, XLVI, Firmin-Didot, 1873, p. 105.

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Livre lu – Georges Simenon : La tête d’un homme (…et quelques réflexions sur le court-termisme)

J’ai rencontré Christian hier soir, et lui montrais les quelques livres dans mon havresac : suivant l’humeur, et surtout la fatigue, je m’attaque aux livres exigeants (Le golem, de Gustav Meyrinck) ou détendants (Simenon, Bukowski). Je n’ai certainement pas dit que les livres détendants étaient faciles à écrire. Je viens de finir mon Simenon, La tête d’un homme (Livre de Poche n° 2903, 1971). J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de Georges Simenon, en voici un extrait pour illustration.

Le temps était gris, le pavé sale, le ciel à ras des toits. Le long du quai que suivait le commissaire s’alignaient des immeubles cossus, tandis que, sur l’autre rive, c’était déjà un décor de banlieue : usines, terrains vagues, quais de déchargement encombrés de matériaux en piles. Entre ces deux spectacles, la Seine, d’un gris de plomb, agitée par le va-et-vient des remorqueurs.
Georges Simenon, La tête d’un homme, Livre de Poche n° 2903, 1971, p. 21.

Bon, je relis, et je me dis que tout cela est fugitif, une impression qui passe, une buée de poésie.

J’en viens à mon propos. Maigret parle avec le juge d’instruction. On imagine bien la scène, Maigret massif, silencieux, épais et têtu, et Coméliau, nerveux, maigre, hésitant entre l’insulte enrobée et l’autorité catégorique.

– Tout va bien, Monsieur Coméliau !
– Vous croyez ?.. Et si toute la presse reprend cette information ?..
– Cela fera un scandale.
– Vous voyez…
– Est-ce que la tête d’un homme vaut un scandale ?
Georges Simenon, La tête d’un homme, Livre de Poche n° 2903, 1971, p. 28.

On sent tout dans cette scène. Coméliau pense à court terme, et selon ses intérêts personnels. Maigret pense à long terme, et en fonction du bien collectif, non, je m’exalte, en fonction de ce qu’il pense être bien, il fait passer son intérêt après un intérêt plus général, que certains appelleront éthique, d’autres morale, d’autres encore idéal. Moi je m’en fous de nommer, je sais qu’on peut retourner les mots comme des gants, le tout est de savoir quelle est la peau sous le gant.

Cela entre en résonance avec la Lettre ouverte de La Grande Loulou à son patron. Où elle démontre (je vous la fais courte, car elle est grande, sa lettre, à la grande Loulou) que le dit patron, à économiser des bouts de chandelle, se prend des retours de boomerang qui lui pètent trois fois plus les dents.
On en voit beaucoup, des sociétés comme ça : leur souci légitime est de payer les salaires et les fournisseurs à la fin du mois. Le court terme (le nez dans le guidon) prime sur le long terme, la réflexion stratégique, ou pour le faire moins pompeux, le fait de se poser 5 minutes pour faire le point. Pour ces sociétés qui courent après la trésorerie, c’est compréhensible, et ce n’est que regrettable. Ce qui est moins excusable, c’est un comportement de gagne-petit, qui consiste à rogner sur tous les budgets, pour des (petits) gains à court-terme. Je connais ça, les salariés qui me lisent connaissent ça, tout le monde l’a vécu, ou le vivra.
Ce qui m’étonne le plus, c’est que normalement, la finance et les marchés tiennent compte de l’opposition long terme court terme. Si je m’engage dans un placement à long terme (compte bloqué, emprunt d’état), je serai plus rémunéré que si je place sur un Codevi ou un Livret A. Le marché rémunère ceux qui sont prêts à être patients sur leurs investissements (si vous voulez faire chic, vous dites que la courbe des taux est ascendante). Et pourtant, on a l’impression que ça ne suffit pas : le pékin moyen préfère toucher tout de suite deux fois moins, il va pinailler sur les stylos-bille ou la formation de ses salariés. Mais il me semble (je suis prudent, après tout, je ne suis que prof, un théoricien ignorant des réalités graisseuses des entreprises viriles) que tout le monde aurait à y gagner. Quand je vois un vieux (55 ans!) salarié être licencié pour un jeune en CDD qu’on paiera 3 fois moins, je ne conteste pas les faits (« le ‘vieux’ salarié coûtait plus cher que le jeune »), mais le raisonnement aveugle : le jeune doit être formé (ça coûte du temps et de l’argent), le vieux rapportait des ventes (on perd de l’argent et des clients) ou minimisait les coûts (on perd de l’argent) ou connaissait bien le métier (on perd de la connaissance qui quitte l’entreprise). Tout cela, ce sont des coûts cachés, de même que la perte de confiance des autres salariés (« à qui le tour ? »). Et qui dit perte de confiance dit perte de productivité : chacun réactualise son CV, ou surfe sur les sites de recrutement, ou encore décide que désormais, le patron « en aura pour son argent » (et pas plus).
Je suis peut-être théoricien, ou visionnaire, ou trop intelligent, mais ça m’a toujours étonné que certains dirigeants ne voient pas plus loin que le prochain trimestre…
Bref, Coméliau a peur d’un scandale dans la presse (et nous savons tous quelle peut être l’espérance de vie d’un scandale dans la presse à sensation : quelques semaines ? moins d’un mois en tout cas…) tandis que Maigret n’a pas peur, mais il sait qu’il joue son titre de commissaire, et que 20 ans de service peuvent être balayés en 10 jours. Deux mondes s’affrontent, et s’affronteront toujours. Je ne vous dis pas qui gagne dans le roman, il faudra le découvrir par vous-mêmes…

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Poussez l’escarpolette

– Bonjour, vous venez souvent ici ?
– Poussez-vous, Monsieur !
– Vous êtes cristalline, laissez-vous bercer par le vent du soir,
Nos haleines embuées chercheront la fraîcheur.
– Grand fou ! Fais-moi des goutelettes…

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Livre lu – Marcel Aymé : Clérambard

De Marcel Aymé, je n’ai lu que Le passe-murailles et autres nouvelles, et j’avais bien aimé ce style, mélange de réalité quotidienne (certes, ça fait daté maintenant, mais moi j’aime bien les évocations des becs de gaz et des fiacres) et de fantastique loufoque.
Clérambard (livre de poche n° 306) est une pièce de théâtre en quatre actes. Je m’attendais à y trouver une ambiance à la Marcel Pagnol (dans Merlusse, par exemple), voire du Oscar Wilde. J’ai été déçu. Rien n’est vraiment contestable, mais je me demande où est l’histoire. Ce Clérambard se convertit d’aristocrate miséreux et esclavagiste en un pénitent faisant voeu de pauvreté. La pièce se termine sur un départ qui est plutôt un commencement. Il n’y a guère que le personnage de La Langouste, une demi-mondaine, une donzelle au sens technique du terme, qui mérite le détour. Le restant des personnages me semble fumeux.

« N’empêche que quand il m’a causé d’amour, j’ai eu comme un coup de langueur dans le poitrail. Encore maintenant, j’en suis toute chose. J’ai les intérieurs en duvet de canard. »
Marcel Aymé, Clérambard, Livre de poche n° 306, p. 120.

Correspondances en termes d’auteurs : Pagnol pour ses pièces, mais en moins bien ici. Raymond Queneau pour le mélange argot-poésie de La Langouste (mais l’argot est essentiellement un langage poétique, nespoin ?).

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Et pourtant…

83ème minute.

« L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme. »
Victor Hugo, Waterloo, in Les Chtiments, livre V.

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Chronologie

Ce matin, pluie lourde et grasse
Et puis matinée dans la touffeur.
Midi arrosé, sans une goutte de pluie.
Dans l’après-midi, entre l’obscurité chaude de deux stations de métro,
Une flaque de soleil en surface,
Avant un nouvel engloutissement dans le boyau.
Ce soir, soleil voilé et barbecue sur le bitume.
Population de tous âges. Ambiance de partage.

Bagarre de jeunes, un est à terre, tous tapent sur lui,
A coups de pieds dans la tête.
Il saigne, son arcade sourcilière a doublé, il titube.
Nous sommes là, j’entends la pauvre voix d’une pauvre femme,
qui n’a rien compris « arrêtez, je vous en supplie », au milieu de la mêlée.
C’est la guerre, ils n’ont plus de limites,
et nous, avec nos cheveux gris, avec nos dérisoires « calmez-vous ».
Il saigne, il crache du sang.
Le cinéma travestit la réalité, ça ne se passe pas comme sur la pellicule,
C’est à vomir, en vrai.
La police arrive, on reprend nos verres,
Des femmes lui apportent des glaçons
Tandis que certains refont le match de cette bagarre.
Et le barbecue continue,
Avec un peu moins de chaleur, un peu plus de comblement.

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Chateaubriand, ou retourner le steak pour finir la cuisson

J’ai rencontré aujourd’hui mon éditeuse sur un terrain neutre et gastronomique, pour évoquer diverses servitudes collaborations futures, et autres discussions sur l’écriture, les écrivains, les écrits, et l’écrivance (malédiction de ceux qui écrivent sans être publiés).
La donzelle (Repentir : une donzelle est définie comme une fille de mauvaise vie, « aux moeurs légères », je fais donc amende honorable, et dis plutôt la vestale du temple de la connaissance), fidèle à sa parole, m’a offert un livre, dont vous vous délecterez à lire la critique, dès que j’aurai fini mon Simenon (il faudrait aussi que je commentusse Clérambard, de Marcel Aymé, que je lus en deux jours).
L’éditeuse a mis un point final à la controverse qui nous anima ces derniers jours. En effet, non seulement elle a reconnu que j’étais le gagnant du défi prométhéen qu’elle lança, mais elle apporta une réponse claire à MA question littéraire. En effet, à la fin du billet sus-cité, je démontrai que Jean d’Ormesson était un sycophante vendu à la solde des éditeurs, et touchant un pourcentage pour faire acheter des livres qui ne contiennent finalement pas la citation « et la maison leva l’ancre pour la traversée de la nuit ».
L’éditeuse a été foutrement subtile, là où je n’étais que disert : elle a tapé la citation telle quelle sous Gougueule (décidément…) et a obtenu la réponse, sous la forme d’un roman qu’elle m’offrit. Cette citation n’était ni dans Les enfants terribles, ni dans Le bal du comte d’Orgel, mais dans Isabelle, d’André Gide. Et allez donc, encore un livre à lire et une critique à écrire.
Pour sa peine, elle gagnera un livre offert par mes soins. Après accord tacite, nous sommes convenus que je lui offre De cape et de crocs, tome 1. Ce n’est que justice.

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Batana – Pleuper

Voici une nouvelle Batana, elle n’est pas courante, mais comme elle m’arrive systématiquement, à moi, elle mérité d’accéder à l’existence.

Pleuper : v.t. Dans une cuisine équipée d’une hotte-qui-se-déclenche-automatiquement-aux-mauvaises-odeurs, déclencher systématiquement la hotte quand on passe à côté.

J’ai beau me laver, éviter de me lotionner au Pétrole Hahn, ou me maintenir à distance de la hotte les lendemains de biture, rien n’y fait : je pleupe.

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