La naissance de l'actualisation

Je suis professeur de finance. Cela signifie que depuis des années, j’enseigne l’actualisation et la valeur temps de l’argent, avec notamment la sage sentence : « un euro aujourd’hui vaut plus qu’un euro demain ».
Dans ma grande ignorance, pendant des années, j’ai attribué le concept d’actualisation à Irving Fisher, économiste américain, médiatiquement fameux pour avoir déclaré, quelques jours avant le Krach de 1929 : « les cours des actions ont désormais atteint ce qui semble être un plateau élevé permanent ». (Mais par ailleurs, Irving Fisher a apporté des contributions non négligeables à la finance moderne, et lui reprocher cette phrase conduirait à se pencher sur tout ce qu’ont pu dire les banques d’affaires et les banquiers dans les années 1998-2001… 😉 ).
Il m’a fallu l’aide de Wikipedia version anglaise pour me rendre compte que le propagateur (sinon l’inventeur) de la notion d’actualisation a été Léonard de Pise, vers 1202, date de la publication de son ouvrage Liber abaci (le livre des calculs), dont je viens d’acheter une traduction en anglais (mon latin est un peu rouillé, et le livre est introuvable en tant qu’original).
Léonard de Pise, mathématicien génial, a transposé en Europe ce qu’il avait appris auprès des barbaresques, dans ce qui allait devenir l’Algérie. Son traité porte sur les calculs à partir des chiffres dits « arabes » (en réalité, les chiffres indiens), qui allaient détrôner les chiffres romains dans l’arithmétique occidentale. Et Léonard de Pise consacre une partie de son ouvrage aux calculs sur les intérêts et les marges commerciales. Je n’en sais pas plus pour l’instant, j’attends qu’Amazon me livre, vers la mi-février. En revanche, pour l’avoir vu sur différents sites et document PDF consacrés à notre ami, les raisonnements du mathématicien étaient entièrement littéraires, sans une équation, semble-t-il, comme ici (traduction approximative faite par votre serviteur, en aller-retour entre le texte latin original et la version anglaise) :

Un individu possède un couple de lapin rassemblés en un endroit circonscrit, pour savoir combien de lapins leur seront nés en une année : étant donné que par nature, ils engendrent chaque mois une paire de lapins, et que ce nouveau couple en engendrera de même le deuxième mois. Aussi, comme la première paire engendre au premier mois, vous doublez le nombre, il y aura deux paires au bout d’un mois. De ceux-ci, une paire la première en fait engendrera au deuxième mois, et ainsi, il sont trois paires au deuxième mois. De ceux-ci, en un mois, deux paires sont gravides, et font naître 2 paires au troisième mois, et ainsi il y a 5 paires en ce mois. De ceux-ci, 3 paires sont gravides, alors il sont 8 paires au quatrième mois. Parmi ceux-ci, 5 paires engendrent 5 autres paires, lesquelles additionnées aux 8 paires font 13 paires au cinquième mois. […] à ceux-ci sont additionnés les 144 paires qui naquirent au dernier mois, il y aura 377 paires. Et toutes ces paires sont engendrées par la paire susmentionnée dans le lieu dit à la fin d’une année. Vous pouvez voir dans cette marge comment il fut procédé. En effet, car nous avons additionné le premier chiffre au deuxième, c’est-à-dire 1 avec 2. Et le second avec le troisième. Et le troisième avec le quatrième. Et le quatrième avec le cinquième, et ainsi de suite, jusqu’à additionner le dixième et le onzième, soit 144 avec 233. Et nous avons la somme de lapins susmentionnée, soit 377 paires. Et ainsi vous pouvez procéder par ordre pour un nombre de mois infinis.

En conclusion

  • J’achète ce livre pour m’inspirer de ses exemples littéraires, dans un effort de clarté pédagogique.
  • Personne ne sait bien qui a « inventé » l’actualisation : Léonard de Pise a popularisé et approfondi des concepts et calculs arabes (al-Khwarizmi a écrit un traité d’algèbre en 830) eux-mêmes fondés, semble-t-il, sur des travaux mathématiques indiens (Brahmagupta, au VIème siècle, réalisait des calculs sur les intérêts, et cite comme référence un auteur indien encore plus ancien). L’algèbre, et la résolution des équations du premier degré, peuvent nous emmener fort loin. Reste à savoir quand, pour la première fois, ces outils mathématiques ont été appliqués aux concepts financiers de prêt et placement.
  • Enfin, en note de bas de page, Léonardo de Pise était aussi appelé Fibonacci, et son exemple des lapins donne la fameuse suite de Fibonacci. Certains traders utilisent les nombres de Fibonacci pour vendre du papier aux gogos prédire les cours boursiers puisque, on le sait, les marchés ne sont pas efficients 😉

Pour le lecteur peu matheux, mais intéressé, je recommande le roman de Denis Guedj, Le théorème du perroquet, qui balaie l’histoire des mathématiques sous la forme ludique d’une intrigue intellectualo-policière. Ce livre m’a été offert en son temps par mon collègue Philippe Spieser, qui vient de publier une Histoire de la finance fort prometteuse. J’en attends aussi la livraison par Amazon, c’est dire si le temps gouverne nos vies.

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