Batana – Zonfler

Zonfler : v.i. Avoir une chaussure qui grince quand on marche.
Ousse-zonfler : Avoir une chaussure qui grince et le pantalon qui fait zouip zouip quand on marche vite.
Par extension : parler fort dans son portable.

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Aragog et Magog

Hier matin, dans le train, dans la torpeur de l’aube. J’entends un cri, un remue-ménage, d’autres cris. Plusieurs passagers refluent du compartiment du bas, ils fuient. Encore du remue-ménage, on ne comprend rien, j’aperçois juste une dame qui se trémousse en criant.
Et puis le mot passe : c’était une araignée. Pas grosse, en plus, mais il y a des peurs qui ne se commandent pas.
Plusieurs personnes rient, commentent, y vont de leur bon mot. Je souris, mais je ne trouve pas la situation amusante : il y a trop de personnes qui ont commencé par s’écarter, et fuir, avant même d’essayer de comprendre.
Une foule peut annuler 10 000 années de développement du cerveau. Et ce que j’ai vu là, c’est vraiment la mauvaise part de l’homme. C’est une combinaison d’instinct grégaire issu du Précambrien, mais aussi de réflexes intégrés très récemment : individualisme, fuite devant l’incompréhensible, absence d’empathie, chacun pour soi.

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Paradoxe de la SNCF

Les jours de grève, il y a peu de trains, mais ils sont à l’heure, et aucun n’est annulé.

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The end of a perfect day

Puis enfin c’est le soir, assis devant leur maison
Les concierges déclarent avec satisfaction
« Il fait bon ».
Dans le ciel assombri, les hirondelles font,
En poussant des petits cris, une partie de saute-moucherons
Il fait bon.

Les Frères Jacques, Il fait beau,
Paroles: Jacques Grello. Musique: Guy Béart.

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700ème thibillet – Des chiffres et des chiffres

Ceci est un point d’étape, c’est normal, 700ème thibillet oblige, mais on va faire moins effroyable que le 600ème thibillet : il s’agit d’analyser la fréquentation de ce blog.
Notre ami Google Analytics, que j’ai installé il y a quelques semaines, me donne une coupe instantanée de la fréquentation, et j’y glane des choses amusantes, que je m’en vais lister ci-dessous.

  • Il y a entre 86 et 150 visites par jour. Je pourrais détailler quels jours tapent à 150, et lesquels atteignent les tréfonds des moins de 90 visiteurs, mais on va pas se faire du mal. Ce qui compte, c’est que ça fait 3 412 visites sur les 30 derniers jours, on est loin des 90 000 visiteurs par mois que me donne mon hébergeur d’accès
    • Et toc, voilà pour l’ego, ça ne fait jamais de mal de se faire remettre à sa place.
    • Je pense que la grande différence (merci Julien pour l’info), c’est que mon hébergeur compte tous les trucs qui viennent grogner à ma porte virtuelle, tandis que Google ne compte pas les robots fureteurs. C’est marrant, parce que Google c’est un robot fureteur, mais voilà, il ne travaille pas pour ses semblables, il obéit à la première loi de la robotique, donc c’est « les humains avant tout ».
    • Mais ce qui transforme tous les 1 qui me restaient en 0, c’est que sur ces 3 412 visiteurs, 78% arrivent par des moteurs de recherche, 14,4% par des sites référents, ce qui ne me laisse qu’un petit 7,7% d’accès directs, c’est-à-dire ceux qui sont venus directement sur mon bleug parce qu’ils avaient l’adresse. Soit 261 visiteurs par mois. Yo, champagne.
    • Et si là-dedans, on enlève mes connexions, qui reste-t-il ? (en fait, je pense / j’espère que Google Analytics enlève mes connexions, mais bon, Christian, Julien, vous coninfirmez ?)
    • Cela dit, cela exclut tous ceux qui m’ont mis en fil RSS (mais combien y en a-t-il ?)
  • Maintenant, un peu d’analytique (c’est bien le moment), avec cette première question qui me taraude – et vous aussi, j’en suis sûr, sinon vous ne m’auriez pas suivi jusqu’à cette ligne – c’est « Et ceusses qui viennent par les moteurs de recherche, qu’ont-il tapé pour arriviendre ici ? » Réponse par ordre décroissant :
    1. exemple de mail
    2. blog thib
    3. nouveau business
    4. efficience des marchés financiers
    5. exemple mail
  • Mon blog est donc référencé comme un lieu d’exemples, que ce soit de mails, ou de nouveaux business. Allez, pour un prof, on fait pire. Si j’avais eu « Madonna » ou « compost », je ne sais pas si je l’aurais pris aussi bien.
  • Maintenant, le petit coin du geek. Moins de 57% des visiteurs utilisent Internet Explorer, plus de 36% sont sous Firefox, il y a même du Konqueror, c’est dire si on est entre nous. Windows 90%, boum. Mac 6,3% (et 0,8% pour l’iPhone…) et Linux 1,3%, y a du boulot 😉

On finit par une analyse interne, par rubrique du blog. Dans quelles rubriques ai-je le plus publié, par ordre décroissant ?

  1. Réflexions, 94 thibillets. Moi je suis un gars qui fume du neurone, jamais un moment de répit (en même temps, 94 réflexions sur 2 ans et demi…)
  2. Perso, 83 thibillets, quel exhibitionnisme.
  3. Magnolia, 82 thibillets, et c’est pas fini, mais c’est particulier, une oeuvre cyber.
  4. Caillou, 81 thibillets, ça me plaît bien.
  5. Livres, 49 thibilets, et c’est fini, ou presque.

Et puis après, ça se dilue. 47 en « blog », 37 en « courir » (mais c’est vraiment par périodes), 36 en « informatique et Internet », 33 en « finance ». 30 en « productivité », et je me demande si je vais garder l’autre blog, on verra après l’été.
Enfin, 23 Batanas pour 16 Ubuntus, l’heure est grave.
Et, ce qui me fait bien rire, parce qu’il faudrait que je classe mieux : 3 « projets ». En presque 3 ans, wow, je suis un conquistador.

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Héliotrope II


Quand le soleil s’est levé là-bas derrière Pantin
ça n’a été qu’un cri dans le petit matin
« Il fait beau ».
Les oiseaux de Paris filochant ventre à ciel
Aux quatre coins de la ville ont porté la nouvelle
« Il fait beau ».
De la Muette à Pigalle, on se l’est répété
Une bonne nouvelle ça vaut le coup d’en parler
« Il fait beau, il fait beau ».
Et tout Paris bientôt fredonne obstinément
Ce refrain de trois mots monotone et charmant
« Il fait beau », tout le monde est content.

Les Frères Jacques, Il fait beau,
Paroles: Jacques Grello. Musique: Guy Béart.

Et aussi Héliotrope.

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Caillou – Camille

Ta peau élastique
Pour un piqué sur la nuque
Juste à la naissance des cheveux.
Tiédeur.

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Cinétique du pékin – 2

On va supposer que vous avez réussi à monter dans la rame. Il s’agit maintenant de se placer. Reprenons notre analogie fondée sur le Jeu de Go. Au Jeu de Go, il y a deux choses à noter :

  1. on place une pierre en fonction des degrés de liberté qu’elle permet d’obtenir
  2. il y a une hiérarchie des placements. Celle-ci est fondée sur cette notion de degrés de liberté, mais aussi sur des critères absolus (par exemple, un point parfaitement défini par ses coordonnées X Y dans l’espace de jeu) ainsi que des critères relatifs (la distance par rapport à un autre groupe de pierres).

Pour l’instant, je ne vais traiter que des placements absolus, car les placements relatifs dépendent de la foule et de sa viscosité. Nous allons donc nous placer dans un monde hypothétique (ou alors, dans le monde réel à 6h du matin) dans lequel nous avons une relative liberté de mouvement dans la rame. En bref, supposons qu’il n’y a pas de trop de pékins sentant l’ail et les aisselles sur notre chemin.

Avisons d’un oeil sagace le crobard de gauche. Le point idéal est le 1, opposé à la porte, adossé à la porte opposée (oui, ça rappelle les PNC). De là, vous êtes indélogeable, et relativement confortable, car adossé. Une remarque sur 1 : certains pékins en 2 profitent du fait qu’ils vous tournent le dos pour vous foutre sous le nez, soit leur dos gras, soit leur sac à dos rêche. Je n’ai pas vraiment de solution à cela, sinon la respiration stoïque, ou la pression comme-par-hasard dont le sens, en pékin, est « il y a quelqu’un derrière toi, ô dos fumeux ! »
Si 1 n’est pas libre, prenez position sur 2, et attendez que 1 se libère. Éventuellement, optez pour un des 3 (celui près du poteau central est le meilleur, de là, basculement vers 2, puis recul vers 1).
Évidemment, les 3 aux strapontins sont des zones à chaud, il s’agit de juger, c’est selon.
Quant aux 9, ils marquent clairement des zones inconfortables, car de passage. Cela impose des gymnastiques, mise de face, de côté, repli latéral, insertion des épaules, double axel, contorsion, épanchement de synovie, salto piqué…
Passons maintenant au crobard de droite, qui donne la disposition d’une rame plus moderne. Notez le placement des banquettes, qui supprime la moitié des strapontins, ceux-ci étant une abomination, puisqu’un strapontin, c’est la possibilité de s’asseoir dans une zone où on se tient debout, c’est con.
Dans cette rame nouveau genre, le point d’adossement central (précédemment 1) n’a plus qu’une valeur de 2, non pas qu’on puisse moins bien s’adosser que précédemment, mais parce qu’il existe une meilleure position : le 1. Ce 1 permet de s’enclencher dans un coin, de protéger son côté, voire de plonger dans le décolleté de Camille qui est en train de lire.
Si 1 n’est pas libre, on peut envisager la figure désormais classique : 4 prise de position, puis rotation centrale : 3, repli de dos : 2, translation latérale : 1.
Notez le 3 du bas, qui est une position à ne pas négliger, j’ai fait attention avec mes gros doigts à bien montrer qu’il existe vraiment un espace sécurisé entre la porte et la banquette. En françexte dans le tais, c’est un endroit dont vous n’avez pas besoin de bouger quand les pékins descendent / montent.
Bien bien bien.
La prochaine fois, je ne sais, soit on traitera des entrées sorties, soit on quittera la rame de métro pour parler des grappes de pékins, grappes statiques, grappes mobiles.
Vaste programme, comme disait le Général après qu’on lui eût dit « Mort aux cons ! »

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Cinétique du pékin – 1

Les placements dans le métro me font penser au Jeu de Go. Dans le Jeu de Go, il y a une grille quadrillée (le Go-Ban), délimitée par les montagnes (les côtés) qui encadrent la plaine (le centre). Poser une pierre sur le Go-Ban, c’est prendre possession d’un territoire. Analysons le territoire d’un compartiment de métro. On a les banquettes dont les dossiers supportent les strapontins, et le poteau central figure le nombril du monde.

La première difficulté consiste à monter dans le métro. Il y a deux écoles : l’entonnoir civique, et la prise en tenaille.

Dans l’entonnoir civique (figure de gauche), les pékins laissent la voie dégagée pour descendre, mais on a intérêt à descendre vite, car l’entonnoir s’effondre rapidement par le centre, et il est difficile de combattre le flux montant.

Quant à la prise en tenaille, c’est une variante virile, illustrée par la figure de droite : au moment de descendre, on ne voit plus l’agora accueillante de la figure de gauche, où on peut descendre en patricien libre, tandis que la foule plébéienne s’écarte avec respect ; on est plutôt en présence du défilé des Thermopyles, qui se termine en goulet menaçant, ça sent l’assassinat de César.

Nous verrons plus tard le placement dans le wagon, tout un art.

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Ubuntu – Boubardine

Boubardine : n.f. Différence de taille optimale entre un homme et une femme qui permet de s’embrasser sans se cogner le nez, sans que l’homme se penche / la femme se suspende. Estimée à 22cm, voire plus.
Par extension : laps de temps au bout duquel elle appelle / envoie un mail, et on se dit « chic, déjà ! »

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Costume logarithmique

Dans les années 80 était paru un petit livre intitulé « les mouvements de mode expliqués aux parents », je me souviens de l’émission d’Apostrophes mettant en scène les auteurs (dont Hector Obalk), Jean d’Ormesson et évidemment Bernard Pivot. Il y avait dans ce livre très bien argumenté un plaidoyer pour l’attaché-case. Je résume : dans les années 50, la rigueur est dans le costume, et le cartable est en vieux cuir mou. Car la dureté est dans l’homme, dans son costume fuselé (grandes épaulettes, petite taille cintrée), et non dans son porte-documents. Dans les années 70, inversion : la reconstruction est faite, nous sommes des enfants-fleurs, dont les épaules deviennent cintrées, et tout devient flottant en descendant de là. Et la rigueur ? Paf, coincée dans l’attaché-case, valisette rectangulaire qui concentre l’exigence et décharge les (frêles) épaules du cadre de ce fardeau.
Transposons au monde moderne. Il y a le sage, le sérieux, le sans fantaisie : il porte un costume gris, ou anthracite ou (pour les enterrements ou les corporate conventions) noir. Puis il y a le sage qui annonce qu’il aurait pu être artiste maudit, mais comme il avait de la tension, il est devenu banquier. Voilà l’apparition du costume rayures tennis. Le bel anthracite est discrètement rehaussé de fines rayures qui annoncent la couleur : fines, donc l’homme est fin (épaisses, c’est pour les mafieux ou les entrepreneurs de travaux publics), mais discrètes, parce que l’homme est discret, il est banquier (et pour les banquiers suisses, c’est clic gauche, Format, Bordure,  0,05 point, OK, et là, c’est hyper discret). Mais attention, dans toute cette débauche, une règle absolue : les rayures, fines, impalpables, sont régulièrement espacées. Une rayure, un milliard, deux rayures, deux milliards, ça permet de juger son homme dans les boites de nuit sans sortir un mètre de couturière.
Et aujourd’hui, j’ai vu le top, probablement issu des marchés financiers à dominante stochastique. Le trader est chagrin : soit on l’envie à cause de ses bonus, soit on le conspue à cause de ses prises de risques. Le croupier voudrait changer de livrée. Alors arrive le costume logarithmique. Les rayures sont espacées suivant une progression logarithmique (ou semi-logarithmique, je n’ai pas eu le temps de dériver la fonction sur la cuisse de mon interlocuteur). Et là, ça en jette sauvage. Pour ceux qui visualisent pas, souvenez-vous du papier millimétré, ou des tableaux de Vasarely, et transposez-le sur une courbe de température : les rayures s’espacent progressivement, découplant la forme de la cuisse, une rayure, un milliard, deux rayures, dix milliards, trois rayures, cent milliards, etc.
Autrefois, les rockers portaient un aigle en clous dorés dans le dos de leur blouson de moto. Je rêve maintenant d’un costume semi-logarithmique avec l’indice Nikkeï brodé dans le dos, en fil d’or évidemment.

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Idée de startup # 25

Dans les années 70 existait le Reader’s Digest : comment lire en résumé les livres qu’on n’avait pas lus, pour parler comme si on avait lu les livres qu’on avait pas lus (sauf le résumé).
Depuis des années, j’ai envie de mettre en diapositives (n’hésitez pas à utiliser le sémillant Open Office Impress) les livres que je lis, tout simplement parce que c’est une manière alternative de prendre des notes, et qu’on ne va se fader 300 pages à nouveau pour se rafraîchir les pensées.
Normalement, ça devrait être réservé aux manuels, genre Comment réussir une négociation ou Mincir sur mesure ou encore Getting Things Done. Mais ce concept ne sert à rien s’il n’est pas applicable à tout. Par exemple, résumer La consolante (Anna Gavalda) en 10 diapos.
Je ne dis pas que c’est utile, je dis que c’est une contrainte amusante, façon Oulipo.

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Céramique réfractaire

Quand on descend du métro, quelques personnes partent dans la mauvaise direction, il n’y a pas de sortie de ce côté-là, alors elles font demi-tour. C’est leur droit, j’aime bien cet arbitraire, les usagers habitués connaissent par coeur la disposition de la station et millimétrent leurs déplacements, et les autres, les explorateurs, tentent le coup à pile ou face, ah crotte, mauvaise direction. Mais je suis toujours un peu frustré quand je les vois faire demi-tour. J’aimerais que quelqu’un, un jour, continue vers le mur, d’un pas normal, et le traverse, comme ça. Il y a tellement de vide dans la matière, j’aimerais bien que quelqu’un fasse cet effort.

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Novela – Qua Sono (5/5)

Je revis Nessu plusieurs fois. Il vivait seul. Son appartement était tout petit, impeccable. Sa vie était toute intérieure, et je cherchais le moyen de rentrer dans cette histoire, de comprendre cette vie. La plupart du temps, nous buvions en silence, je prenais des notes ou je travaillais sur mon ordinateur tandis que Nessu bricolait. Un jour il me dit « Vous voyez, ce clou. Il est tordu, il est rouillé, mais il est digne d’estime. Je peux en faire quelque chose. Il a sa place. »
Il le redressa avec quelques coups de marteau soigneux, puis il sortit du papier de verre, et l’affûta jusqu’à ce qu’il brille comme un clou neuf. Tout ça comme s’il n’avait pas pu se payer un boisseau de clous, ceux-là mêmes qui se vendaient pour rien dans la boutique d’en face.
Et Nessu me dit :
– C’est difficile de trouver sa place. Moi même, j’ai pris du temps pour me retrouver.
– Vous voulez dire, après que vous avez quitté votre poste de directeur ?
– Oui. Je me suis perdu pendant des mois, d’abord à vouloir faire la même chose, puis à vouloir tout changer. Je cherchais un travail, et puis je finissais dans des bars, chaque soir. Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de cette période. Je me suis retrouvé un matin, englué de sang, dans une ruelle détrempée, sans mon portefeuille. J’ai marché dans la brume, c’était l’aube. J’aurais voulu en finir, et l’eau sombre du port m’appelait, il n’y avait que les mouettes et moi, et mon angoisse, je souffrais comme un damné. Mais l’eau du port était huileuse, grasse, sale. Je préférais encore marcher. Je suis arrivé à l’usine, une poignée de miséreux était devant la porte, je savais que c’était les temporaires, les immigrés, ceux qui n’ont plus rien qu’un caleçon sale et des doigts noueux. Je me suis mis dans la file, comme une bravade, en me disant qu’on allait me reconnaître, et que l’on me jetterait dehors. Mais il était encore tôt, le temps a passé dans la file, un pauvre m’a offert une cigarette, et la porte de fer s’est finalement ouverte. Le soleil était invisible dans la brume, le matin était froid. Personne ne m’a posé de question. J’ai pris un tablier, un couteau, et la cargaison est arrivée. J’ai fait mes huit heures et j’ai touché quelques billets.
– Et alors ?
– J’ai donné tout l’argent. J’en ai donné à l’homme qui m’avait passé une cigarette. Et à la femme seule. Et au vieux dont la main tremblait. Et au gros porc qui faisait des blagues racistes. J’ai tout donné. Je suis parti dans le soleil, avec mes vêtements qui sentaient le poisson, sans rien en poche, et sans rien dans le ventre. Et je suis revenu le lendemain matin. Et le jour d’après. Avec ma souffrance. Je voulais mourir sur place, je voulais démontrer à tous que j’allais mourir dans la souffrance. Mais personne ne me voyait, parce que tous avaient leurs soucis. J’ai continué.
– Vous vouliez quoi, exactement ? être reconnu comme un  martyr, par ceux-là même que vous aviez pressurés ?

Il resta un moment à réfléchir. Il souriait. Je l’avais touché au point sensible, mais il ne se fâchait pas, il souriait.

– C’est probablement à ce moment que j’ai senti quelle était ma place. Toutes les nuits, je me retournais sur mon lit de misère, je rôtissais sur les flammes de l’enfer, et toujours, l’étoile noire me regardait et se moquait de moi. Je n’étais rien, et elle riait de me voir me tordre dans la souffrance. Et puis un matin, dans la file d’attente devant la porte de fer, j’ai compris. J’avais trouvé ma place. Et je me suis employé, depuis, à honorer cette place.
– Attendez, vous allez me faire le coup de la rédemption christique, vous avez eu une illumination ?

Je ne peux pas décrire son regard à ce moment-là. Il n’était pas moqueur, ni péremptoire. Je ne saurais dire ce que ce regard signifiait. Mais je me suis senti rougir, avec mon magnétophone numérique, mon téléphone portable, et mon reflex digital.
J’ai posé mon sac, je me suis assis, il a rempli mon verre. Quand nous avons trinqué, j’aurais pu pleurer.

Voici maintenant la fin de cette histoire. Je continue à voir Nessu. Il est ignoré, il est seul, mais beaucoup de personnes viennent le voir. Il ne leur dit rien, ou bien il leur tient la main, son écoute est inépuisable.
Je lui ai offert un stylo-plume, en lui disant que les mots sont une manière d’exprimer les choses. J’ai ajouté, en plaisantant, que le stylo peut être rempli aussi avec de l’encre de seiche.
Depuis, une fois par an, il m’envoie un petit dessin traçé à l’encre. Jamais plus de cinq traits, souvent moins. Et l’encre sent l’odeur de la mer.
Je reviens parfois le voir, quand je me sens seul, ou triste. Il a commencé à m’expliquer comment découper un poisson.
Je me sens revivre.

Dédié à Laurent C. et Sardar H. – 29-05-08

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Cette nouvelle, comme tout sur ce blog, est publiée sous un contrat Creative Commons. Et aussi sous licence Touchatougiciel.

La nouvelle, dans l’ordre, est là : 1/5 2/5 3/5 4/5 5/5.

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Caillou – Saint Sébastien

Mes neurones qui s’agitent
Sans répit
Cercle supraconducteur,
Anneau électrique
Souvent une couronne d’épines
Parfois une auréole
Mais toujours une Passion.

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Magnolia Express – 3ème Partie – # 25

Et ta peine sera lavée dans les eaux d’un fleuve boueux
 
La route du retour était toute longiligne, Eileen menait le vaisseau sereinement (comme elle avait mené les courses sereinement, me laissant le rôle du porteur) et le vent transformait ses cheveux en drapeau, en étoffe ondulante, illustrant sa liberté d’aventurière qui ne se laisse peigner par personne, sinon par le vent issu des montagnes rocheuses. Le soleil était haut dans le ciel, la route tremblotait sous la chaleur, Eileen me parlait sans que j’entende rien, le vent du large me sifflait aux oreilles, entrait dans l’habitacle, tourbillonnait, bourdonnait et Eileen chantonnait et je n’entendais rien, sinon le sifflement soutenu du vent dans mes oreilles.
Le vent qui me prouvait que nous étions en mouvement, petite tache jaune qui filait sur une route toute droite. Vivants quoi.
 
Nous arrivmes, Eileen gara le taxi, l’air retombait autour de nous, le silence probablement aussi, mais je n’entendais rien, simplement « Pschhhhhh » dans mes oreilles, j’avais encore du vent sous lecrâne et il cherchait la sortie, chuintait comme du satin qui glisse ou comme une assemblée d’abeilles en train de prier.
Aline venait vers nous, vers moi, elle parlait, je n’entendais rien, je voyais juste son visage, j’essayais de deviner si elle était soucieuse, rieuse, anxieuse, lucide, calme, chagrinée, légère. Elle leva les sourcils, comprit que je n’avais rien entendu, et recommença à parler, toujours avec cet air indéfinissable :

– (Pschhhhh)
– Je n’entends point, dis-je (pourtant, j’entendais bien ma voix. Mais de l’intérieur, par résonance intime). Et pour accompagner mon propos, je montrai mon oreille.
– (Pschhhhh) …ou… (Pschhhhh) …rouana… (Pschhhhh)
– Hein, comment, quoi ? disais-je distraitement, tout en sortant la machine à écrire du taxi (ne sachant où la mettre, je l’avais emportée pour faire les courses).
– Nous n’irons pas à Tijuana, dit Aline.

Fin de la troisième partie.

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Le roman, dans l’ordre, est
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