| Ceci est une citation à des fins d’illustration musicale (détails ici). Il s’agit d’un extrait, en mono, de One steady roll, par Bob Brozman, sur le CD Blues Reflex, Ruf, 2005. Le disque est en vente ici. | 
 Ballade 
   
 Au fond de la salle, une lumière s’alluma, dévoilant une petite estrade de bois. La rumeur s’adoucit brusquement, on entendait encore un ronronnement de conversations, les bouteilles de bière qui tintaient, le bruit des chaises sur le plancher de bois. Puis un jeune gars arriva en costume, avec une jaquette sombre et une chemise immaculée, comme une gravure de mode des temps anciens. Il portait deux étuis noirs, brillants, un grand et un petit. Il s’installa sur l’estrade, à califourchon sur une chaise, et sortit de son grand étui une guitare d’acier étincelante, une de ces antiquités sonores issues du delta du Mississippi. 
 – National Style N… 1931, souffla Conrad avec respect, et Vieux Bill hocha la tête. 
   
 Le gars-gravure gratta un ou deux accords, puis commença à jouer un blues javanais, une musique d’accompagnement sautillante et glissante sur laquelle il chantait avec une voix de basse ronde et chaude : 
   
 Quand j’ai acheté ce vieux frigo 
 Bon sang y faisait si chaud, si chaud 
 Que du Kentucky à L’Ohio ou-oh 
 Les bières me demandaient à boire, à boire 
   
 Oh mon frigo ou-oh 
 Mon vieux copain, mon vieux poteau 
 J’te porterai dessus mon dos ou-oh 
 Du Kentucky à l’Ohio 
   
 Tu sais nous on est des cheminots 
 Jamais d’maison jamais d’repos 
 Juste une galette jambon-fayots ou-oh 
 Dégustée su’l bord d’un trottoir, trottoir 
   
 Oh mon frigo ou-oh 
 Mon vieux copain, mon vieux poteau 
 J’te porterai dessus mon dos ou-oh 
 Du Kentucky à l’Ohio 
Puis un solo époustouflant, où le gars utilisait la caisse de résonance comme une percussion tandis que ses doigts couraient avec vélocité sur le manche, ça faisait dzing dzing TAC toing tong BOUM TAC et la salle chahutait joyeusement en rythme, le plancher en vibrait.
 Quand s’ra venue l’heure du tombeau 
 Ne pleurez pas, pas de sanglots 
 Enterrez-moi ‘vec mon frigo ou-ho 
 rempli ras-bord de bières à boire, à boire … 
 Oh mon frigo ou-oooooh… 
   
 Arriva un second solo pas piqué des hannetons, et tout en jouant, le gars-gravure se balançait légèrement, on voyait les pans de sa jaquette qui battaient la mesure. Et tandis que ses doigts glissaient le long des cordes, tandis qu’il était environné de cette musique tintinnabulante, il fredonnait pour lui tout seul, hors du temps, il lâchait juste de temps en temps un Wouap Wouap rocailleux, la musique était sa rivière de chercheur d’or.
 
 Roman, publié progressivement, sous un contrat Creative Commons. Et aussi sous licence Touchatougiciel. 
 
 Le roman, dans l’ordre, est là.
