Plaidoyer pour l’introversion

Ce thibillet se fonde sur les théories de la personnalité de Jung, et leur mise en application par Katharine Cook Briggs et Isabel Briggs Myers (intro ici).

Jung définit deux modes de relation au monde : l’introversion, l’extraversion. Je n’aime pas ces termes, car ils ont des connotation exagérées dans le langage courant. Un extraverti n’est pas obligatoirement une personne qui parle fort et qui danse sur les tables ; un introverti n’est pas forcément un asocial mutique et tourmenté. Simplement, un extraverti est une personne qui a une inclination naturelle vers le monde extérieur : objets et individus orientent – et alimentent – son énergie. Ainsi, un extraverti aimera la compagnie des gens, ou bien il déprimera s’il est laissé seul trop longtemps, il appréciera les discussions à bâtons rompus, et il préfèrera organiser ses week-ends en « sorties ». Par opposition, un introverti aimera avoir du temps à lui, pour se ressourcer dans le calme (lecture, prise de notes…), car c’est dans son monde intérieur (les idées, les concepts) qu’il puisera son énergie à lui.
Il ne s’agit pas d’un mode unique de fonctionnement, plutôt d’une préférence naturelle pour l’un ou pour l’autre penchant. Cette préférence peut d’ailleurs avoir été contrariée au cours du développement de l’individu, en fonction des valeurs familiales ou sociales dominantes à cette période.

Or, nous vivons dans un monde d’extraversion.

Nous sommes sollicités par des stimuli extérieurs incessants. Appels téléphoniques, émissions télévisées, e-mails, publicités, démarchage à domicile, c’est un flot permanent d’informations que nos sens doivent traiter. Ils diffusent même de la radio dans les parkings souterrains, c’est dire… Dans ce monde, un extraverti (70% de la population) sera à l’aise, parce que ce monde a été créé pour lui, il lui envoie de l’énergie sous la forme d’images, sons et demandes d’interaction. Les valeurs présentées par nos sociétés exacerbent d’ailleurs les valeurs de communauté (fut-elle virtuelle), d’esprit d’équipe, et le côté « branché » (sur la nouveauté, sur l’information, sur les tendances…). Par opposition, la solitude est connotée négativement : une personne laissée seule, c’est pas bien pour elle, elle va être malheureuse.

Dans ce monde, les introvertis souffrent. Les musiques de leur monde préféré sont couvertes par le vacarme incessant du monde extérieur.

Dans une BD que j’ai bien aimée, Pilules bleues, le dessinateur-narrateur cotoie un jeune enfant, et il se dit « C’est marrant, les gosses, ils te posent une question, tu réponds, et là, il y a un moment de silence, tu peux voir qu’ils mettent en marche leur disque dur (crrrr, crrrr…) pour intégrer ta réponse ».
Ce que ce narrateur n’a pas compris, c’est que seul un enfant introverti procède ainsi. Un enfant extraverti va reposer une autre question immédiatement derrière, ou bien se mettre à parler car c’est par l’échange constant qu’un enfant extraverti réfléchit et apprend.

Si, quand vous posez une question à un enfant, vous voyez le disque dur se mettre en marche (crrrr, crrrr…), c’est probablement un introverti. Ce n’est pas du tout un défaut, et cet enfant donnera (si on lui en laisse l’occasion) des choses bien plus profondes et mieux pensées que celles que produira un extraverti. Mais l’extraverti a de la répartie, et ça, c’est valorisé socialement. Pour l’enfant introverti, ce sera difficile de grandir dans un monde qui ne respecte pas son mode de fonctionnement propre. Il devra s’adapter, car ce n’est pas le monde qui va s’ajuster. Voire, cet enfant sera perçu comme (en variant le ton) : rêveur, solitaire, renfermé, lent, asocial. Et le monde extérieur se chargera bien de lui faire comprendre qu’il n’a pas la bonne orientation.

Je suis, par orientation naturelle, extraverti. Mais je traverse depuis quelque temps une grande période d’introversion (ces choses-là peuvent alterner régulièrement au cours d’une existence). Et j’avais rarement autant mesuré la violence avec laquelle le monde extérieur s’impose aux introvertis, minorité statistique et culturelle.

[edit] Je ne l’ai pas mentionné, mais quand je dis « le monde extérieur s’impose aux introvertis », dans « le monde extérieur », j’inclus les extravertis. Ceux-ci, les pauvres, ne savent pas forcément que leur comportement – naturel, rappelons-le – est très intrusif pour un introverti. Poser une question, ne pas attendre (crrrr, crrrr…) la formulation d’une réponse pour en poser une deuxième, ou encore intervenir pour préciser la première question (en se disant « s’il est silencieux, peut-être ai-je mal posé ma question »), jouer au ping-pong verbal (interrompre, finir les phrases, parler en même temps), sont autant de pratiques « naturelles » des extraverti(e)s qui désarçonnent l’introverti, le déstabilisent voire le secouent fortement… retardant d’autant, voire annulant, les réponses que celui-ci préparait.[/edit]

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6 réponses à Plaidoyer pour l’introversion

  1. Docthib dit :

    Comment pouvais-je penser écrire quelque chose d’original ? 😉

  2. Docthib dit :

    J’ai rajouté un edit à la fin de mon thibillet, je n’en suis pas encore satisfait, mais c’est plus clair que quand je ne l’avais pas dit 🙂

  3. Moody Blues dit :

    Etre libre, c’est choisir la voix et l’image. A la différence d’antan, ce n’est plus seulement une question d’éducation et de culture. C’est désormais en préalable une question de situation. Il faut savoir se situer… c’est à dire, toujours en préalable, être suffisamment communicant afin d’imposer hors soi les ouvertures qu’on laisse au monde.

    Il faut être adulte pour cela.
    Puissent les enfants d’aujourd’hui être protégés par des adultes sachant se bien situer.

  4. Docthib dit :

    @ Moody Blues : voilà ce que Graham Nash qualifierait de « sheer profundity », merci ! J’adhère à tout, notamment au passage sur la protection des enfants. Tout en gardant en tête que de l’aide désintéressée au prosélytisme, il n’y a souvent qu’une différence de point de vue… 🙁

  5. manu dit :

    Et oui le MBTI est une Métaphore Botanique Très Intelligente 😉
    le dernier ouvrage "Types de Personnalités" renvoie même à théorie du chaos !
    c’est comme ça. On le sait, les arbres s’envoient des signaux… Et pour faire communiquer un conifère avec
    un feuillu ya du … boulot
    😉

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