Novela – la Stèle de l'Atlantide (1/4)

La Stèle de l’Atlantide

Je m’appelle Ishmaël Bustos. Je veux vous raconter une histoire fantastique, un conte moderne.
Tout le monde connaît Champollion, parce qu’il a découvert la Pierre de Rosette qui lui a permis de traduire les hiéroglyphes égyptiens. Mais la renommée, maîtresse inconstante, n’a pas traité de la même manière tous les découvreurs de langues anciennes. Dans le grand public, si l’on connaît le nom de Champollion, quasiment personne ne se souvient de Henry Rawlinson, qui a traduit l’écriture cunéiforme, ou de Wladimir Sovniechine, qui a percé à jour les runes hyperboréennes. Peut-être tout simplement qu’il a manqué une pierre à ces découvreurs.
Je veux justement parler d’une pierre qui portait une écriture.

Il était une fois un bateau qui pêchait dans les eaux profondes de l’océan atlantique. C’était un énorme vaisseau, une usine de ramassage qui happait des poissons à des grandes profondeurs et les charriait sur un pont huileux, où des hommes caparaçonnés de sel maniaient la pelle pour enfourner les tonnes déversées dans des cales où avaient lieu le vidage, le dépeçage, l’emballage.

Ce monstre des flots s’attaquait parfois à d’autres monstres. Le harpon de l’avant allait parfois frapper de plein fouet un cétacé, puis le ramenait aux côtés du navire pour l’absorber et le digérer dans ses entrailles. C’est ainsi qu’un jour, un cachalot de belle taille fut capturé. Lors du dépeçage, une grosseur anormale fut détectée dans l’estomac. L’animal accoucha d’une grande pierre rectangulaire, comme une stèle. Une des faces était recouverte de lignes en araméen ; l’autre face présentait des caractères inconnus.
Les marins avaient un travail qui ne souffrait d’aucun délai. La pierre fut mise de côté, en attendant. A l’heure du changement de quart, le capitaine venait souvent fumer une pipe en l’observant, il s’accroupissait pour toucher les caractères inconnus, tout en courbes et virgules, comme une écriture arabe syncopée.
L’infirmier du bord (en fait, un médecin déchu de son titre) récupéra la pierre lorsque le bateau revint au port, plusieurs mois plus tard. La pierre commença alors son voyage. Elle resta chez le médecin pendant ses expéditions, et à chaque fois qu’il revenait à terre, il la montrait comme une curiosité. Un antiquaire de ses amis voulut l’acheter. Il refusa, et la donna au musée océanographique de Las Palmas, qui n’en demandait pas tant. La pierre fut exposée dans la galerie sur l’alimentation des mammifères marins, puis passa dans une vitrine sur la chasse à la baleine, avant de se retrouver près des objets inuits sculptés dans l’ivoire.

Ce fut là qu’un retraité la découvrit : ces signes lui rappelaient, non pas une écriture qu’il aurait déjà vue, mais un écrit qui décrivait une écriture. Pour occuper son temps de retraité, l’homme s’était mis à apprendre le grec ancien, et il lisait couramment les auteurs dans le texte, au rang desquels se trouvait évidemment Platon. Et cet auteur, dans son Timée, décrivait l’écriture des mythiques Atlantes comme « brassée de signes écrits sur un sable fuyant, limaces entrelacées dans la pierre ». Le retraité avait du temps, et il n’aimait pas la concurrence. ll recopia quelques lignes de chaque face (la vitrine était à double exposition) et entreprit d’apprendre l’araméen. Au fil des semaines, il revint au musée et prit discrètement plusieurs photographies des deux faces de la stèle.

L’apprentissage de l’araméen lui demanda peu d’efforts : dans les langues indo-européennes, le grec ancien n’est qu’un emprunt à d’autres langues plus anciennes, elles mêmes étant des btardes de leurs langues ancêtres, jusqu’à l’écriture originelle, adamique, celle de la Pangée. Le retraité retrouva des assonances, des racines étymologiques, et commença à traduire les lignes qu’il avait en sa possession.

[à suivre…]

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