Séquelles – Mondes parallèles

Comme pour le thibillet précédent, je ne cherche pas spécialement à obtenir de réactions, je veux juste écrire pour moi et partager.
J’ai du mal à sortir de cette agression (le physique se rétablit, merci, le psychologique mettra probablement plus de temps), et je me rends compte que cela change ma vision des lieux et des choses.
Je ne verrai plus jamais cette rue, et cet immeuble d’où les trois sont sortis, de la même manière.
J’y penserai probablement à chaque fois que j’emprunterai cette rue (que je n’emprunterai plus jamais la nuit, ce qui me vaudra des détours fréquents).
Je suis vigilant, voire inquiet, dès que je croise des grands mecs dans le style de mon agresseur, où que ce soit.

Tout cela passera, plus ou moins vite, mais ça passera, parce que le cerveau humain a cette capacité géniale de gommer les choses, d’aplanir, de réparer les bleus à l’me.
Quand même, je pensais que nous vivons, mon agresseur et moi, dans des mondes parallèles. Comme dans la science-fiction, deux mondes se côtoient, et de temps en temps une porte s’ouvre pour communiquer entre les deux mondes, et puis elle se referme. Quand je suis parti pour travailler ce matin, mon agresseur dormait probablement encore. Mais quand je dormais cette nuit, si ça se trouve, il était dans une rue, ou un bar, ou une voiture, éveillé et actif. Quand je travaille, il regarde la télé, ou fume, ou boit. Quand je me repose en famille, il est dehors sous la pluie, à se battre ou à tchatcher (non, pas sous la pluie, ces gars-là sont comme nous tous, personne ne reste jamais longtemps dehors quand il pleut).
J’avais eu cette même impression de mondes parallèles il y a quelques années. Un ami avait proposé qu’on se prenne un pot / apéro à son bureau, puis qu’on aille dans un bar-boîte juste à côté, La Favela Chic. On y avait passé une excellente soirée. Ce qui m’avait frappé, c’était qu’on était mardi soir, et que des personnes étaient venues pour y faire la fête, en habits de soirée, et semblaient parties pour danser et boire et rigoler toute la nuit. Un mardi soir.
En partant pour me trouver un taxi, je me disais que je n’y avais jamais pensé : tous les soirs de la semaine, à Paris, il y a des gens qui étaient magasinier, ou secrétaire, ou comptable adjoint dans la journée, qui s’habillent façon flash ou smart et qui sortent pour faire la fête, jusqu’à pas d’heure, la plupart d’entre eux travaillant probablement le lendemain, mais c’est juste qu’ils sont jeunes, ou fun, ou endurants, ou qu’ils ont un boulot chiant qui ne demande pas beaucoup de concentration. Je ne m’étais jamais rendu compte qu’à côté de mon monde, qui est quand même très planplan, il y avait le leur, qui n’ouvre pas aux mêmes heures, ne contient pas les mêmes personnes, et n’a pas les mêmes valeurs, les mêmes soucis, et la même histoire.
Je reviens à mon gars et à son monde parallèle. Nous sommes presque en opposition de phase. Je suis dans le clair, il est dans l’obscur. Mais c’est la même rue. Le même quartier. Et quand nous nous sommes croisés, quand la porte s’est ouverte temporairement entre nos deux mondes, c’était dans cette heure de clair-obscur.

Sans le savoir, il y a plusieurs années, j’avais rédigé un thibillet prémonitoire : même rue, ou presque ; même parallélisme entre les mondes ; même conclusion vigilante.

[edit] effet magique de la sérendipité, ou de l’aéropage, je viens de me rendre compte que j’avais lu la semaine dernière une nouvelle de Jack London qui s’intitule South of the Slot (Au Sud de la Fente) et qui parle de deux mondes, avec un homme qui passe de l’un à l’autre et qui a une identité distincte dans chacun.[/edit]

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4 réponses à Séquelles – Mondes parallèles

  1. Lche dit :

    Empathie et sympathie contre l’absurde que malheureusement on ne peut parfois éviter.
    Lorsqu’il m’est arrivé de me retrouver dans ce genre de scène, mon instinct m’a en effet mené à me "mobiliser", pour reprendre le commentaire du billet de dimanche. Cette mobilisation consistait, quasiment malgré moi, à réfléchir et parler au ralenti, à la manière de quelqu’un qui a un problème mental. Est-ce parce qu’on ne tape pas un diminué mental ? Ca a marché en tout cas.
    Trois contre un, la nuit : il n’y avait rien à faire à part ne pas y être.
    Dur à comprendre sur le coup (si j’ose dire) mais je suis convaincu qu’au final, tu as eu de la chance. Car ce soir là, tu frayais manifestement du côté de la mauvaise circonstance (ce qui ne doit pas t’arriver souvent). Allez, tu t’en tires bien. Et comme tu raisonnes encore mieux, tu en feras quelque chose, de tout ça. J’y crois vraiment.
    Empathie et sympathie.

  2. charlie dit :

    moi, je me suis fait braquer un soir de l’année dernière (en janvier je crois) à 19h30 dans le RER B entre Bagneux et Gentily, la rame n’était pas comble, mais pleine (50 personnes?). Y s’est rien passé parce je suis resté très calme, j’ai fait le pauv’ gars (j’étais mal habillé, pas de costume, pas de pompe cirée, pas de pantalon mode). Un moment je me suis levé et je suis sorti avant que les portes ne se ferment; aucun des 5 à 7 gus qui étaient là ne m’a suivi, ils ont essayé de m’agripper, mais avec ma gabardine, pas de prise; j’ai des grandes jambes, facile d’enjamber (en jupe j’aurais jamais fait ça). En fait je somnolais, ils sont arrivés en bande, et assez vite le vide s’est fait autour de moi. Ils ont €˜viré’ un noir en l’agressant de façon raciste (verbalement). Puis la femme en face de moi qui causait de façon animée dans son portable depuis le début s’est instantanément tue et elle est partie (je crois que l’un d’entre eux l’a attouché d’après ce que j’ai compris ensuite). Moi je somnolais, et en 30 s j’étais entouré par 5 à 7 gaillards entre 15 et 20 ans je dirais, tous montés à Bagneux.
    En face de moi, il me tapote sur la jambe : « pas facile la vie hein ? » avec un air mauvais, genre donne moi quelque chose. Moi j’acquiesce. Il reprend : « très dur, hein. Et ça peut griller comme ça ! » avec un petit geste de la main comme une plume qui s’envole ou un objet qui s’évapore (c’était jute après l’affaire du transformateur en banlieue nord je crois). J’en rajoute. « oui, vraiment très dur » et je le regarde. A ce moment un gaillard qui avait l’air franchement aguerri, assis en diagonale coupe court « on veut ton fric », je dis « j’en ai pas du tout » avec un air morne, et l’autre dis « ton portable conard » et je me lève. Personne ne suit. Fin de l’histoire.

    Depuis je ne me mets plus sur une des 4 places sans vis à vis au fond des rames de RER, ni plus jamais dans une autre rame que celle du conducteur passé 20h. Y paraît qu’en fait c’est une astuce de base que seuls les parisiens (et les banlieusards récents comme moi) ignorent. Paraît aussi un tas de truc, notamment que pour un passage à tabac dans une rame, personne n’intervient. On ne sait jamais si c’est un règlement de compte, le deal est fréquent sur la ligne.

    Ca a mis 6 mois à passer. Ca ne m’arrive plus jamais de ne pas être conscient de mon entourage dans une rue Parisienne (je veux dire dans une grande métropole), même en journée. Je me mets toujours dos à un mur quand je téléphone (ou je m’arrête tout les 100m et dos au mur 10 à 30s), je me retourne avant de faire un code de carte bleu (j’ai un copain, un dur, qui s’est fait gazé et bogner pour 200 Euros à 19h à Montparnasse devant les cinémas et les queues). Je le vis très biens, justes des ajustements aux routines. Et un peu d’amertume, abstraite et générale. Je défais ma cravate en montant dans le RER passé 19h et je ferme le manteau pour cacher le costume. Pas toujours mais souvent.
    A+

  3. mamzelle dit :

    c’est ce qu’on appelle une rencontre avec le … troisième type ?
    (plus de peur que de mal ?)

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