Magnolia Express – 2ème partie – # 27

Vénus
 
On a passé le temps à sucer des brins d’herbe dans le soleil, sur la berge à côté de la jetée. Il n’y avait quasiment personne, il était encore tôt et on voyait juste quelques pêcheurs, assis sur leurs pliants, surveiller leurs lignes avec un sérieux ecclésiastique. Conrad consultait fréquemment sa montre, se levait, allait vers son taxi, rebroussait chemin, se rasseyait en bougonnant, Aline restait bien tranquille contre mon épaule. Grand calme intérieur.
Une heure s’est écoulée et Conrad avait mâchonné douze petits bouts de bois, il avait fini par enfoncer sa casquette sur les yeux et ne voulait plus rien voir, à ressasser des pensées noires comme un seau rempli d’anguilles.

– Conrad ?
– Mmgrrff ?!
– Ils font surface…

Il a soulevé sa casquette, a regardé les deux petites têtes dans l’eau là-bas au bout de la jetée, nous étions déjà debout mais il restait assis là, les yeux étrécis, les bras passés autour de ses genoux.

– Allez, vieil homme, elle a besoin de ton aide…

Il s’est levé comme un grizzly neigeux, a commencé à marcher vers la jetée.

– Hey Conrad, attends-nous !
– Dépêche fiston, dit-il en riant et en accélérant, elle a besoin de nous.

Quand nous sommes arrivés au bout de la jetée, Conrad l’aidait à se débarrasser du harnais et des bouteilles, il ne disait rien mais souriait d’une oreille à l’autre et portait son harnais, ses bouteilles, ses palmes, son tuba, il avait passé son masque autour du cou et avait jeté la ceinture de plombs sur son épaule, tout ça dégoulinait, on aurait dit un mercenaire aquatique de retour de mission.

– Alors, Eileen ?

Elle nous regarda tous les trois un moment, secoua la tête, son regard était lumineux comme si elle était passée à travers une cascade, ou si elle avait caressé le museau d’une louve en liberté. Elle passa son bras autour de la taille de Conrad : « Pas de mots pour ça ».

Aline se tourna vers moi, le regard interrogateur, je dis « Si tu veux » puis me tournai vers Conrad. Il me regardait, il était toujours jubilant, mais il a compris doucement et le sourire s’est effacé de sa figure comme le vent efface les traces dans la poussière.

– Ah non, a-t-il fait, certainement pas, c’est hors de question !
– Ben quoi ? a dit Eileen.

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Le roman, dans l’ordre, est
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