Novela – Faria [1 / 2]

Mon cachot s’étend sur trois mètres de longueur, pour deux mètres de largeur. J’y ai été emprisonné il y a trop longtemps, pour une peine oubliée. Je me souviens de mon entrée dans cette prison : des cellules à flanc de rocher, affleurant la mer, une forte odeur saline, et le fracas incessant des vagues. Peut-être à cause de ce mouvement perpétuel des éléments, peut-être à cause de l’injustice de ma condition, je décidai de me battre : je marchais dans ma cellule, je ne restais pas en place. Je pris l’habitude de me hisser aux barreaux de ma fenêtre, à deux mètres du sol, et de là, je contemplais les flots perdus dans le brouillard, indéfiniment. Avec le temps, j’y restais des heures, des jours, en contemplation, comme les moines psychistes de Chandernagor.

The Wall

Ma première erreur fut de me sentir prisonnier. Pendant des mois, j’acceptai mon sort, sans le remettre en cause, me bornant à arpenter ma cellule comme un jaguar. Mais un jour, probablement à cause de l’isolement de ma condition, je frappai violemment la porte, hurlant pour obtenir des livres, et du papier pour écrire. Mon mouvement de folie porta ses fruits : dès le lendemain, je fus approvisionné en feuilles de papier, et je pus bénéficier de quelques livres, il est vrai fort arides. Je me souviens de ce soir où, allongé sur ma couche, je consignai fiévreusement les vicissitudes de ma captivité, dans l’espoir, un peu vain, qu’on me lirait un jour. Mais l’écriture me délassait, et mes peines s’entrelaçaient dans les lignes que je traçais. Epuisé par cet effort, je laissai tomber mes feuillets et sombrai dans un sommeil profond.

Le lendemain, je m’éveillai, reposé comme je ne l’avais guère été depuis des années. Je cherchai mon journal, et ne le trouvai pas au pied de mon lit. Je fis le tour de ma cellule : sans conteste, on m’avait volé mes écrits. Je pensai à la censure, je pensai à l’espionnage, et me ruai vers la porte de ma geôle. Je réclamai en hurlant mes feuilles de papier. Le temps d’attente ne fut pas long : le judas coulissa, et une nouvelle provision de feuilles blanches me fut transmise. Je compris le message : on ne m’interdisait pas d’écrire, mais toute pensée subversive me serait soustraite. Je m’appliquai donc à rédiger de longues pages où ne transparaissait aucune animosité, même si un esprit subtil aurait pu déceler un ton moqueur. Pour me délasser de ma posture assise (étant donné que je n’avais pas de table, j’écrivais assis sur ma couche, le dos au mur), je me hissai aux barreaux, et contemplai l’étendue grise devant mes yeux. Quelques taches blanches, probablement des déchets, flottaient devant les rochers de la forteresse, mais un fort courant les entraîna vers le large. Je continuai à rédiger jusque tard dans la nuit, et m’endormis comme une masse. Au petit matin, je fus surpris : non seulement mes écrits avaient disparu, mais aussi la plume que j’utilisais, ainsi qu’un livre que j’avais posé à côté de mon journal. Les autres livres, posés sur une étagère en face de mon lit, n’avaient pas été touchés. Je décidai de rester vigilant : je couvris quelques feuillets de pensées sans intérêt, et les laissai en évidence sur le sol, tandis que je feignais un sommeil profond. La nuit s’écoula sans que je dorme. Au petit matin, satisfait de ma veille, je me penchai pour récupérer mon bien : les papiers avaient disparu dans la nuit, alors que j’aurais juré qu’aucun être n’avait pénétré cet espace. J’arpentai la cellule, à l’affût de toute cachette, trappe, fente qui eût pu laisser passer quelqu’un, ne serait-ce qu’une main, sous mon lit, sans que je réagisse. Je ne trouvai rien, malgré ma vigilance et le temps que j’y passai (de toute mes possessions, le temps était le bien dont j’étais le plus riche). Je décidai de découvrir ce mystère, et dans ce but, je me couchai sur le sol, observant fixement les quelques papiers que j’avais laissés traîner. Je vis le soleil se coucher, ses rayons imprimant de nouveaux barreaux sur le mur de ma cellule. L’obscurité vint. Je respirais lentement, comme un homme endormi, mais j’étais en état de réceptivité totale.

Le changement advint d’une manière que je n’avais pas anticipée. Aucune pierre ne bougea, aucun bruit ne m’alerta, la nuit était avancée, et seul le lancinant bruit des vagues m’accompagnait. Le changement vint de moi. J’étais allongé sur le sol froid, observant, monomaniaque, mes papiers, quand je me sentis fondre. Ma peau, mes jambes, mon torse, essayaient tout-à-coup de répondre à l’appel du sol, je m’enfonçais dans la terre battue, m’amalgamant peu à peu à la terre, comme si je passais une porte. Je voyais mes papiers se fondre de même, être peu à peu recouverts d’une couche de poussière, puis de sable, enfin de terre solide, disparaître ainsi à mes yeux, tandis que mes mains et mes membres prenaient la teinte d’une composition de Rodin. Quand je fus enfoncé de moitié, quand l’appel froid atteignit mon cœur, j’eus un sursaut de conscience, un bond de carpe, et me retrouvai, le corps baigné de sueur, sur le sol de ma cellule. Je régulai doucement les battements fous de mon cœur, inspirai longuement, puis je me suspendis aux barreaux de la fenêtre. Quand le soleil se leva, quelques heures plus tard, je vis des traces blanches, dérisoires feuilles de papier, flotter le long des rochers de la forteresse, puis être emportées peu à peu vers le large.

De ce jour, je résolus de m’évader.

à suivre…

Ce contenu a été publié dans Novela, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à Novela – Faria [1 / 2]

  1. leo dit :

    excellent!!! j’attend la suite avec impatience. ça m’a fait ma pause
    à bientot
    Léo

  2. Lili dit :

    Oh !Doc, on se croirait dans prison break!
    (au début j’aurai dit montechristo sur l’ile du Frioul)
    c’est vrai que vous ressemblez à Gueule d’ange?
    (c’est complimenteux ça ,m’sieur!)

    (sans dec, doc, quel suspens ! j’espère que vous aurez une insomnie cette nuit…pour écrire la suite ! n’allez pas faire du rent seeking comme monsieur jean )

  3. Yann dit :

    J’aime beaucoup, la suite se fait attendre!

    Pour continuer dans les références: Old boy
    En film et surtout en manga. L’histoire d’un homme enfermé dans une prison privée pour 15 ans pour une raison qu’il ne connait pas. Fort, incroyable.

    le film: fr.wikipedia.org/wiki/Old…
    le manga: en.wikipedia.org/wiki/Old… publié en France par Kabuto

  4. Docthib dit :

    @ leo : merci, un ptit encouragement, ça aide toujours nous zautres, les artistes (à vot’ bon coeur, msieur dames, je sais que vous êtes très sollicités)

    @ Lili : wahou, si j’ai l’air de gueule d’ange, c’est champagne ! Non, actuellement, c’est plutôt Dégueule Gange, faut que j’aille courir, tiens…

    @ Yann : super, Yann, j’ai fait une petite razzia hier soir chez mon libraire, ce sera donc pour la prochaine fois. Après tout, s’il y a des bons mangas…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.