Des tigres, des actionnaires, et de l'éducation des masses

Ce soir, mon fils (6 ans, 39°6) me dit d’une voix faible, mais ferme :
– Papa, moi je ne veux pas qu’on chasse les tigres roux (car il connaît aussi les tigres blancs)

J’ai beau le rassurer en lui disant qu’ils font partie d’une espèce protégée, je sais que cet argument n’aura jamais de poids dans la tête d’un indigène qui espère se faire quelques dollars (soit, son salaire mensuel) en tuant un tigre pour le compte de quelque poussah luisant. Comme le dit (je cite de mémoire) Romain Gary dans Les racines du ciel,

« un éléphant, cela représentait plusieurs semaines de viande qu’un coup de sagaie heureux pourrait procurer à la tribu. La noblesse de l’éléphant, c’est une pensée d’homme rassasié ».

Et je me dis que l’évolution des esprits ne passera pas par les sanctions (les garde-chasses touchent quelques dollars de plus par mois, mais pas beaucoup plus) mais plutôt par l’éducation. S’il n’est pas trop tard.
L’analogie est bonne pour certains actionnaires – et analystes – sur les marchés financiers. Avoir l’oeil rivé sur le résultat du prochain trimestre, c’est vivre à très court terme, c’est tirer des tigres tant qu’il y en a, pour un petit profit. En revanche, permettre à un dirigeant de créer un projet d’entreprise, de motiver et rémunérer tous ses employés, et d’investir intelligemment, c’est comme de créer un parc zoologique de tigres : les recettes deviendront bien supérieures à celles obtenues en braconnant. Et le monde sera meilleur, oui, oui.
Mais qui sera assez éduqué pour avoir la patience d’attendre ?

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0 réponse à Des tigres, des actionnaires, et de l'éducation des masses

  1. Christian dit :

    La pression est-elle à ce point forte sur les dirigeants ?
    De mon point de vue, c’est à relativiser, et le temps des dirigeants est forcément différent de celui des analystes.

    C’est d’ailleurs de cette différence (toute smithienne) que le bien commun en est augmenté : une sorte de combat permanent et sans doute salutaire.

    Les uns essaient de juger une entreprise sur ses performances trimestrielles, et les autres font des plans de développement sur plusieurs années. Or une entreprise ne peut ni se développer en un jour, ni investir à fonds perdus à la guise du dirigeant pendant une période infinie…

  2. OK, Christian. J’aime bien en effet l’idée : « l’analyste est garant que le dirigeant ne va pas se lancer dans des projets pharaoniques, il demande des signaux réguliers pour éviter les discours du type ‘vous allez voir ce que vous allez voir, je vous mitonne des trucs secrets, mais dans 5 ans, vous verrez…’ « .
    En revanche, à ta question « La pression est-elle à ce point forte sur les dirigeants ? », j’aurais tendance à répondre :
    1. tout dirigeant intelligent sait qu’il doit équilibrer son discours entre une vision à long terme, et des résultats réguliers (tous les trimestres).
    2. la pression n’en est pas moins, à mon avis, très importante. Quand je vois le temps que passent des directions de la communication financière, les moyens mis en oeuvre, l’inflation de la taille des rapports annuels, je me demande dans quelle mesure il y a de l’efficience économique. (en d’autres termes, l’enjeu est-il tel que cela nécessite autant de moyens et de dépenses ?). Mais c’est très difficile à investiguer…
    3. Même si je pense qu’un dirigeant ne survivra pas plus de quelques années à une politique « tout à court terme », je pense qu’il ne survivra pas plus de quelques mois à une politique « rien à court terme ».
    Mais bon, il faudrait que je regarde la politique de communication de Google, ça m’intéresse bigrement de voir ce que font nos deux (trois) jeunes génies…

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