Cela fait quelques jours que j’ai fini Les choses de la vie, de Paul Guimard (Folio n° 315). Comme je le mentionnais dans un billet collatéral, cela démarre avec le désenchantement quadra d’un avocat à qui tout a réussi, mais qui se tte, bon, on se dit « calme-toi, vieux, bois un coup et respire ». Sauf qu’il ne peut pas boire un coup, il est en voiture et il médite.
Ce désenchantement, que je retrouve dans des romans contemporains d’Antoine Blondin (et paf, encore un qu’il va falloir que je wikipédise) ou de Paul Morand, vient à mon avis de cette génération qui a vécu la seconde guerre mondiale. Le narrateur des Choses de la vie est né en 1927, donc il avait 18 ans en 1945, à peu de choses près, l’âge de René Fallet, dont je relis régulièrement le Journal écrit dans les années 47-48. Je ne connais pas bien cette époque de l’intérieur, j’essaie de situer. Des gosses ont vécu des privations, certains ont fait de la résistance sur le tard (à cause de leur jeune ge), ça libère, les amerlauds apportent du pineutte beuteur et des disques de jazz, c’est l’euphorie zazou. Et puis hop, reconstruction, on se retrousse les manches et on touche les dommages de guerre, tout est à faire. 20-25 ans après, c’est l’époque des Choses de la vie, le narrateur est installé, et son désenchantement vient probablement de son confort matériel (il a une MG, gagne bien sa vie, est connu) qui ne suffit plus. Vue de loin, cette période des 30 glorieuses m’apparaît, sous le voile de la littérature, comme une période d’essoufflement : « Bon, OK, on a reconstruit, et maintenant, quel est le chantier motivant qui nous sortira de notre ornière confortable ? » Ce sera, pêle-mêle, la guerre froide, l’assassinat de Kennedy, Mai 68, le Vietnam…
Et puis le roman bascule, et j’ai le sentiment de passer dans un autre texte, beaucoup plus intemporel, probablement universel. Et je pense à L’homme pressé, de Paul Morand, avec des analogies et des dissemblances. Les deux romans contiennent une deuxième partie qui est une méditation (?), bref, une suite de pensées sur la mort, le temps, de la microseconde à l’année, qui enveloppe quelques gestes. Un bilan rapide sur une existence, et tout-à-coup, un renversement de l’ordre des choses, entre l’important et le futile.
Rien de bien nouveau, me direz-vous. Certes, mais bien condensé, et bien écrit. Et pour une fois, Paul Morand l’académique a été moins précis, ou moins profond, que Paul Guimard.
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outre les trente pages hallucinantes sur les dix secondes précédant l’accident, cet immense monologue (ouais, bon "immense"…) accouche de fulgurances bariolées de lucidité et d’amertume:
« Je voudrais avoir, comme les animaux, l’instinct de nos besoins, tout deviendrait évident et facile, au lieu de balancer entre l’impatience des désirs superficiels et la recherche confuse des besoins profonds. »
« on naît en état de mort et l’on se réfugie dans la grandiloquence, qui est l’ivrognerie de l’me, et l’on s’efforce de provoquer avec ses idées un fracas que l’on voudrait majestueux et l’on se satisfait de ce menu tumulte, jusqu’à ce que l’on parvienne au bord du vrai silence».
ça me donne envie de le relire, tiens. Un bréviaire contre la fuite du temps.