Le gratuit et le payant : les prix, les coûts et la valeur

Je suis abonné depuis plusieurs mois au Standblog, de Tristan Nitot, et dans la ligne de ce que dit cet auteur sympathique, j’ai quelques réflexions sur le gratuit et le payant (je rédige en parallèle un billet sur le neuf, l’occasion, et le jetable, et j’en ai un autre en tête sur les licences).

Premier constat : le web est le vecteur du gratuit

Certes, les shareware (partagiciel) ou freeware (gratuiciel) existaient auparavant, mais le réseau a amplifié leur diffusion, en parallèle d’autres actifs : des images, contenus, applets, icones, etc. C’est bien simple, si une image nous plaît, hop clic droit enregistrer sous, un texte, hop Sélectionner tout, copier. Cet esprit libertaire du début a son charme, et je pense qu’il démultiplie les motivations. Soyons franc : si je rédige sous Dotclear, c’est parce que c’est une référence en matière de blog, et qu’il est gratuit. Cela ne m’empêchera pas de leur faire un don, mais je suis persuadé que si Dotclear avait été payant dans un emballage sous cellophane, oncques l’aurais-je acheté.

Corollaire : l’internaute de base (dans lequel je m’inclus, car j’aime la chaude ambiance virile des groupes) va piocher de ci de là, butiner, copier-coller, et les frontières du droit et de la propriété personnelle vont s’estomper dans son esprit.
Après tout, de gratuit à libre, il n’y a qu’un pas, que les anglo-saxons ont franchi allègrement quand ils ont bricolé leur idiome, puisque free (gratuit) se dit comme free (libre) alors que c’est pas du tout la même chose. Mettre un actif en libre accès ne signifie pas que j’abandonne mes droits (copyright) dessus. Prenons le cas du gratuit pour l’instant, nous traiterons du libre (c-à-d des licences) plus tard.

Deuxième constat : il y a une différence entre le prix, le coût et la valeur
Une ressource mise à disposition gratuitement a nécessité un développement coûteux, ne serait-ce qu’en temps. Tout ceux qui ont développé un site web, un programme, ou un logo, savent de quoi je parle. Et comme le dit Sénèque à propos du temps,

Les hommes jouent avec le bien le plus précieux d’entre tous ; mais ils ne s’en rendent pas compte parce qu’il s’agit d’un bien immatériel, parce qu’ils ne l’ont pas sous les yeux et de ce fait, il est estimé à un prix très bas, je dirais même à un prix pratiquement nul.
Sénèque, De la brièveté de la vie, Ch. VIII, Par. 1.

Ergo, un actif gratuit peut avoir été coûteux pour son producteur, et détenir une valeur. Mais l’on constate une multiplication d’à peu près, voire de contre-sens :

  • pour la majorité des internautes butineurs, gratuit signifie sans valeur, voire sans coût.
  • Pour beaucoup d’entrepreneurs, le Graal se résume à « Si tu veux devenir riche, mets quelque chose de gratuit en ligne, et si tu as du succès, tu te feras racheter ».

Conclusion provisoire :

  • C’est d’Internet qu’est partie la crise, avec les programmes d’échanges de fichiers qui ont developpé le piratage. Dans cette faille juridique, et ce flou psychologique, se trouvait un point de droit que l’Etat n’a pas comblé, à mon avis. De la même manière que l’on a vu éclore des mouvements citoyens dans tous domaines où l’influence de l’Etat était jugée insuffisante (les restos du coeur ont vingt ans), les internautes se sont attaqués au domaine du droit, en bâtissant une solution alternative : multiplier les types de licenses, pour bien dissocier des choses telles que la paternité de l’oeuvre, le droit à la copier librement, le droit de la modifier librement (je prends ici les grands principes des licences creative commons).
  • En effet, au système du droit répressif, se substitue un système collaboratif, qui n’est plus régi par des brevets déposés au nom de chacun, mais des mises en commun de compétences pour bâtir des produits encore meilleurs, qui soient la propriété de tous. Cette mise en commun, qui fait la force des systèmes d’exploitation ouverts comme Linux, ou des logiciels libres comme Openoffice, repose avant tout sur une démarche collective. Mark Shuttleworth, le fondateur de Ubuntu Linux exprime régulièrement cela en termes d’éducation : donner à tous un accès à un système d’exploitation et des programmes librement modifiables. De même, malgré des crises, l’objectif de Wikipedia est de créer une « encyclopédie libre, gratuite et multilingue ».
  • La question sera d’appréhender les conséquences économiques de tels développements. Le marché du gratuit est-il un marché ? (Je pense que oui). Le gratuit est-il viable économique ? (Je pense que oui). Comment intégrer les apports du marché du gratuit ? A mon sens, en raisonnant de plus en plus en termes de capital humain, c’est-à-dire d’éducation, et de coûts / gains dérivés, ce qui est difficile : comment évaluer le coût total d’un actif comme la somme de son prix de vente, des obligations auxquelles ils nous contraint, de son impact futur sur l’environnement et sur la société, etc. Tristan Nitot traite déjà d’un aspect du problème, en expliquant que le bas prix des produits fabriqués en Chine que nous retrouvons chez nous est notamment dû aux faibles coûts du transport, ce qu’une hausse inconsidérée des prix du pétrole pourrait remettre en cause. Il en profite pour parler de l’environnement, un coût caché récurrent (billet à venir).

Chr.

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0 réponse à Le gratuit et le payant : les prix, les coûts et la valeur

  1. Yann dit :

    Je suis d’accord sur l’ensemble des points, notamment sur la déviance de l’internaute vers une idée du libre accès et du libre coût.
    Néanmoins je vois dans ce système une perversion possible et qui a déjà lieu, notamment sur les créations dites "artistiques". Il s’agit de l’utilisation du gratuit par un acteur classique (Certes la licence creative commons est sensé prévenir de ce type d’usage mais je ne sais pas de quelle force légale elle béneficie).
    Prenons l’exemple d’une entreprise située aux Etats-Unis souhaitant réaliser une plaquette. Pour l’illustrer le stagaire en charge de la communication trouve sur le web de très belles photos d’un amateur, lui en France. Celui-ci présente sur le web les produits de son hobby pour les partager à ses amis. Internaute conscient, il les a même mis sous une licence creative commons.
    Mais les photos sont vite copiées et utilisées et notre gentil photographe n’en sera jamais rien, la distance étant trop importante. L’entreprise y gagne un avantage compétitif important ,du fait de la réduction de ses coûts, au détriment de ses compétiteurs ayant un profil moral supérieur ou plus probablement n’y ayant pas pensé. Les photographes professionnels locaux ou les banques d’images eux une diminution de leur marché. Du fait de l’impossibilité ( structurelle ?) de contrôles réels sur l’usage sur Internet, on a là selon moi une destruction de valeur.
    Le problème d’éducation de l’internaute individuel est certes important mais celui des acteurs professionnels me semble encore plus difficile.

  2. Oui, Yann, nous sommes d’accord : une licence creative commons (CC) n’empêche aucun pillage, et je suis d’accord aussi : je ne vois pas un "petit" français intenter un procès à un "gros" américain sur la foi d’une licence CC 🙁
    Nous sommes donc d’accord sur la nécessité d’éduquer… ceux qui veulent bien l’être. Il reste aussi la possibilité de marquer d’un filigrane (watermark) la dite photo, mais cela me semble être d’une logique plus réactive qu’active.
    En revanche, en ce qui concerne les destructions de valeur, je suis plus nuancé : la société qui a volé l’image encourt des coûts (connexion rapide internet sur tous ses postes, temps passé par le stagiaire, retouche éventuelle de l’image), et je ne suis pas sûr que ce type de comportement – certes condamnable – ait un quelconque impact sur "les photographes locaux ou les banques d’images". A ce compte, les licences CC qui autorisent une exploitation commerciale sont en train de casser le marché. Je pense au contraire que cela fait évoluer les rapports de force. La question (traitée dans un prochain billet ?) est pour moi : où se situer entre la liberté la plus totale (pas de droits, pas de licence) et le monopole (tout est protégé par des barrières telles qu’elles limitent la création ou la productivité).

  3. nerik dit :

    Seneque n’était snas doute pas pote avec Leonard de Pise, sinon il aurait pensé à l’actualisation.

  4. conseil juridique dit :

    quels sont les autres différences?

  5. Docthib dit :

    Quelle est la question ?

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