Pensée républicaine #2 – de l’information

J’ai, comme beaucoup de concitoyens, suivi le déroulement de la semaine passée par tous les moyens mis à ma disposition (télés, réseaux sociaux). N’étant pas familier des chaînes d’information en continu, j’ai eu beaucoup de surprises qui m’amènent à quelques réflexions sur notre société de l’information.

Les chaînes d’information en continu et leurs travers

une relation au temps difficile

  • Quand il se passe beaucoup de choses, c’est tant mieux : le présentateur n’a qu’à zapper d’un reporter sur le terrain à un autre, il distribue les temps de parole comme des biscuits, et l’information utile est diffusée rapidement. En revanche, quand il ne se passe rien, ou plutôt, comme c’était le cas ici, quand le journaliste n’en sait pas plus que lorsqu’il a été interrogé 20mn auparavant… on meuble. Le présentateur continue à jongler entre ses reporters sur le terrain, à charge pour eux de paraphraser les faits connus de tous, en brodant, tout en attendant la prochaine nouvelle.

Or, la construction du modèle de ces télévisions, c’est qu’il faut diffuser de l’information en continu. Cela conduit donc mécaniquement à plusieurs choses :

  • toute information nouvelle est bonne à prendre, et plus on est en pénurie d’information, moins on va prendre le temps de recouper. C’est une recherche du scoop, mieux vaut être le premier à publier une information, fut-elle fausse, que le deuxième à diffuser une information avérée. Et dans les cas d’information fausse, je n’ai pas noté que les journalistes s’excusaient de leurs erreurs… (Pour une liste des reproches, deux articles de Telerama.fr et L’Obs/Rue89 font le point).
  • Les prises de risque vont aussi augmenter, car si les scoops n’arrivent pas, autant les provoquer. Je suis sidéré de voir que certains journalistes ont été en contact téléphonique avec les meurtriers, puis ont diffusé leurs informations. Dans le cas de l’Hyper cacher, c’est le terroriste lui-même qui a contacté BFM TV, car il n’était pas satisfait de l’information diffusée, il leur a demandé de corriger leur bandeau d’information. Je ne sais pas si BFM TV l’a fait, ce qui serait très grave. Il me semble que dans ces cas-là, quand on est une chaîne d’information (1) on en réfère aux forces de l’ordre, qui ont besoin de toute conversation enregistrée pour nourrir leur information et leurs réactions et (2) on ne corrige pas ses titres. Sinon, la demande de médiatisation du terroriste risque d’être nourrie par la chaîne, qui va ainsi légitimer – et encourager – le terroriste et ses potentiels successeurs. Et surtout, à mon sens, il devrait y avoir un (0) qui éviterait le (1) et (2) : quand on est journaliste, on ne communique pas avec un terroriste qui a des otages, c’est le rôle de la police, point. Un journaliste d’une rédaction n’est pas formé à parler avec un terroriste : il ne s’agit pas d’une simple conversation téléphonique, il s’agit de la formation d’un lien de communication entre deux personnes, où chaque mot est important, puisque des vies humaines sont suspendues à l’état d’esprit du terroriste. Sans être formé aux techniques de communication avec les terroristes, il est fort possible qu’un journaliste envoie « les mauvais messages » sans même se rendre compte de la terrible responsabilité qu’il a endossée. En ce qui concerne l’imprimerie de Dammartin, je ne sais pas si des journalistes ont essayé d’appeler les terroristes, mais France 2 et RMC ont commis l’erreur grave d’annoncer qu’un salarié était caché dans l’imprimerie. Donc, les terroristes peuvent prendre des notes pour la prochaine fois : lors d’une prise d’otages, regarder la télé, et surveillez Twitter : on pouvait voir les chaînes de télé filmer la mise en place des équipes du GIGN, avec leur position. On dit que pendant la guerre du pacifique, les généraux japonais suivaient la trace des navires américains en lisant la presse US…

les canaux d’information se diversifient, tout le monde devient journaliste, avec un flou du métier et de la notion d’information

  • Les chaînes d’information, les journaux, les journalistes ont tous leur fil Twitter, d’accord, c’est une adaptation à un nouveau média. Mais vous, moi, beaucoup de personnes ont aussi un compte Twitter. Autrefois, si un journal recevait une dépêche AFP, il savait que cela venait… de l’AFP. Aujourd’hui, quand un journaliste reçoit un tweet… il sait, ou ne sait pas, d’où ça vient, qui est à l’autre bout du « fil », et ne peut mesurer à chaque fois le professionnalisme journalistique de l’émetteur. Pour 10 journalistes sérieux qui vont recouper leurs sources – c’est-à-dire temporiser le temps qu’il faut – avant de diffuser, combien y en a-t-il qui vont succomber à la stratégie du preum’s à faire un scoop ?
  • D’autant plus que cette fièvre du scoop gagne tous les citoyens, puisqu’ils ont été habitués à être nourris ainsi. On peut comprendre qu’une personne, voyant les assassins de Charlie Hebdo en pleine rue, ait décidé de filmer depuis son balcon. Mais pourquoi a-t-elle publié cette vidéo sur Internet, sinon par désir de scoop, le désir de preum’s ? (J’espère que son premier geste a d’abord été d’aller donner la vidéo aux forces de l’ordre). Et franchement, que ce soit pour cette vidéo, ou pour le décompte des morts à Vincennes, alors que personne n’en savait encore rien : est-ce vraiment de l’information indispensable, qui nécessite une diffusion immédiate ? Sous le couvert de la mission d’informer le public, on oublie que ces chaînes ont un business model, qui est d’avoir le maximum d’audience pour vendre des coupures publicitaires.

En fait, l’information, c’est comme la dépendance au sucre. Même si la notion d’addiction au sucre est encore controversée, il y a un phénomène diététique attesté : dans l’alimentation, les sucres lents fournissent une énergie « sur la durée » tandis que les sucres rapides sont brûlés très rapidement… ce qui amène à en consommer tout le temps si on a opté pour une alimentation essentiellement en sucres rapides (sodas, bonbons, desserts…). Les informations, c’est un peu ça : soit ce sont des informations « sucre lents », c’est-à-dire :

  • livrées sur un rythme moins fréquent
  • avec une « digestion » (analyse, recoupements, mise en perspective, confrontation de points de vue, explication…)
  • et dans ce cas, cela va favoriser la production d’une réflexion plus profonde, et plus permanente dans les esprits.

Soit ce sont des informations « sucres rapides », et on aura alors :

  • une avalanche de nouvelles brèves pour remplacer les précédentes
  • pas de digestion, mais des faits bruts assortis d’une tentative d’interprétation rapide, ou encore des analyses simplistes menées par de faux experts (ah, les quartiers de Paris vus par Fox News « comme en Irak ou en Afghanistan »).
  • Et surtout, la succession des nouvelles rapides fera que rien ne durera… et qu’on aura un effet de manque permanent (hyper connectivité).

Quelle aura été la durée de vie du Hashtag #JeSuisCharlie ? Sucre rapide ou sucre lent ?

Néanmoins, dans ce déferlement d’informations en continu, plus ou moins vérifiées, je vois deux signes positifs. Premièrement, c’est la marque d’une démocratie, avec les deux revers de la médaille (overdose et scoops non vérifiés, mais aussi une diffusion extrêmement rapide, alimentée et relayée par les internautes). Deuxièmement, la conscience de plus en plus aiguë pour tous que l’information transmise peut être sujette à discussion, à distorsion, voire être totalement fausse. J’y vois le développement d’un esprit critique, et mon côté optimiste se dit que pour une dépêche fausse, on aura 1 000 réactions qui rétabliront progressivement la vérité, par des discussions et des échanges. Donnez-nous une information parfois critiquable, que nous puissions nous exercer à la critiquer.

Et c’est aussi cela, une démocratie qui fonctionne.

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