Comme tout internaute vigilant, je suis assez sensible aux informations personnelles que je laisse en ligne, par exemple lorsque je fais des achats sur Internet. J’applique quelques consignes simples : par exemple, lors de commandes avec livraison à domicile, je fais une faute d’orthographe sur mon nom. Cela n’empêchera pas la livraison, mais cela évite des recoupements de bases de données et le profilage. [NB sémantique : faute de terme correct pour l’instant, j’appelle profilage le fait qu’une société qui détient des informations sur moi – par exemple, un loueur de voitures – va « croiser » ces données avec la base de données d’une autre société – par exemple un vendeur d’électroménager – pour me proposer des produits « ciblés » sur mes goûts – par exemple, une location de voiture avec lecteur de DVD intégré. (les anglophones parlent de Data aggregation)]
Quand je pense au profilage, j’en reste rêveur. « Ils » savent probablement tout ce que j’ai commandé en ligne depuis quelques années, mon adresse, mes dates de vacances ou déplacements, mes fréquences de connexion, mes goûts alimentaires…
Depuis quelque temps, j’ai un souci qui est sur la même longueur d’onde : les démarcheurs téléphoniques, que ce soit à domicile (à 21h, super…) ou au bureau. Une première remarque : tels des tiques, ils sont difficiles à décrocher. Et de toute façon, un décrochage ne sera que temporaire : le démarcheur rappellera toujours. Et si ce n’est lui, ce sera son frère. Alors je ne vais pas lister toutes les tactiques qui ne marchent pas pour se débarrasser de ces tiques, parce que l’énumération serait longue. J’ai juste deux choses qui marchent moins mal que le reste.
- le rasoir à 2 lames.
– « Cher Monsieur Trouberge (oui, ils ont du mal avec mon nom…), je vous propose un diagnostic GRATUIT pour diminuer vos impôts »
– « Je ne suis pas intéressé » (la première lame coupe le poil)
– « Ah bon, ça ne vous intéresse pas de payer moins d’impôts ? » (piège grossier)
– « Non, ça ne m’intéresse pas de payer moins d’impôts » (la deuxième lame recoupe le poil avant qu’il ne se rétracte)
(et éventuellement, s’il n’a pas le sifflet coupé 🙂
– « Mais pourtant, c’est gratuit, et ça fait payer moins d’impôts… »
– « Dites-moi, dans la phrase « je ne suis pas intéressé », quel est le mot que vous ne comprenez pas ? » (épilation totale)
Cela occasionne de grandes douleurs muettes, avant qu’ils ne raccrochent. Le problème est que le démarcheur est comme le poisson rouge. Il oublie vite les déconvenues. Alors il rappelle. Ou son frère. La tactique n° 2, que j’ai inaugurée hier, marche peut-être mieux.
- l’uncrosslisting (déprofilage dynamique avec supertenseur incorporé)
– Pourriez-vous me confirmer que vous êtes professeur ?
– Ah non, pas du tout, je suis artisan plombier.
– Ah. OK je le note. (notez que le démarcheur tique-poisson rouge ne s’étonne jamais de rien, il n’est pas assez payé pour ça). Et votre année de naissance ?
– (rajouter 11 ans)
– Êtes-vous toujours dans la tranche d’imposition XXX-YYY ?
– Non, et je ne l’ai jamais été. Je suis dans AAA-QQQ (diviser XXX-YYY par trois, ou inventer un chiffre)
– Habitez-vous toujours …
– Ah non, vous devez vous tromper d’interlocuteur, moi j’habite …
C’est, à mon avis, la moins mauvaise tactique. Il faut savoir que le gars au bout du fil est tenace, et que si on l’éconduit, de toute façon il rappellera. Alors autant lui donner ce qu’il demande (et les questions sont parfois très indiscrètes, Cf. quelques unes des questions qui m’ont été posées hier). Le fait de lui donner des informations erronées a plusieurs avantages :
- D’abord, cela réduit les possibilités de profilage : un même nom, mais avec un âge différent, une adresse différente, un métier différent, ça devrait chambouler quelques circuits de bases de données.
- Ensuite, cela permet d’éviter de réfléchir à toutes sortes d’excuses (je ne suis pas intéressé, je suis chômeur, j’ai le béri-béri, je suis interdit bancaire…) qui de toute façon n’empêcheront pas l’homme de rappeler.
- Enfin, ça permet de jouer débonnairement à « Mais il est pas fiable votre bouzin, c’est du n’importe quoi… »
- Et puis allez, ça permet de rajouter du rêve. Hier, quand mon interlocuteur m’a demandé si j’avais des projets à court terme, j’ai dit « Acheter une résidence secondaire ». Il m’a félicité. Il n’a pas tilté au fait que j’avais dit être plombier, locataire, et payant peu d’impôts. Merveille des subprimes.
Coïncidence des réseaux : l’excellent Tristan Nitot mentionne notamment deux liens liés à ce sujet :
– La commission européenne s’exprime sur le respect des données privées. Rien que le texte d’introduction en gras, cela est inquiétant…
– L’inénarrable Facebook et les compotes qu’il peut faire avec les informations que VOUS avez saisies (en anglais)
Alternative (prévoir un temps mort juste après)
– « Ah bon, ça ne vous intéresse pas de payer moins d’impôts ? » (piège grossier)
– "nan, je veux pas payer moins d’impôts, c’est important que chacun contribue à proportion de ses revenus"
Oui, je l’avais testé, et je ne sais pas pourquoi je l’ai abandonné. Un peu trop dogmatique ? J’ai peur que ça continue la discussion, genre « tout le monde le fait » ; « je ne suis pas d’accord, il y a plus de bons citoyens que vous ne le dites » etc. Bref, pour moi, ça n’a pas le côté tranchant de la proposition 1. Exemple, je pense à une alternative : « OK pour vous écouter, mais je ne veux plus payer d’impôts du tout. Je ne veux pas simplement une réduction, je veux que vous me proposiez une annulation de mes impôts ». En disant ça, on a l’impression de l’avoir coincé. Mais en fait, s’il est bon vendeur, il va répondre « D’accord, on fait comme ça, quand est-ce qu’on peut vous rencontrer ? » Et c’est reparti…
Coïncidence des réseaux, environ une minute après avoir fini de lire ce Thibillet, alors que j’étais en train de lire le premier paragraphe du lien de Tristan Nitot, le téléphone sonne. "Numéro secret". Humpf. ". Je précise, on est samedi matin, onze heures quinze. Au bout du fil, un bruit de fond : de nombreuses conversations, dans le lointain. Une voix teintée d’un léger accent écorche mon nom. J’ai cru à un gag tellement c’était EXACTEMENT ça.
Pas de bol pour toi, agent du mal ; je viens de lire le mail de Christophe. T’es foutu !
Je lui ai raconté n’importe quoi. Gniark !
Tant que tu ne dis pas que tu es prof et que tu ne donnes pas mon adresse… 😉
J’ai vécu le même type d’expérience. En réponse je me suis créé un avatar de chômeur de 47 ans hébergé chez sa maman avec trois enfants à charge. Ils ne m’ont plus rappelé depuis. Et nah !
Deux autres suggestions (essayées par moi) :
– raconter vraiment n’importe quoi, de plus en plus grossier, jusqu’à ce que l’interlocuteur jette l’éponge (une phrase à glisser dans la conversation à un moment ou un autre : "de toute façon, vous devez faire erreur, je n’ai pas le téléphone").
– mettre la pression et sanctionner :
"Bonjour, j’ai quelques questions à vous poser, il y en a pour deux minutes pas plus"
"Deux minutes, vous êtes sûr(e) ?"
"Oui je vous le promets"
"Ok. Je démarre mon chrono et je raccroche au bout de 2 minutes, quoi qu’il arrive".
Mon interlocuteur(trice) démarre son jeu de questions/réponses.
Au bout de 2 minutes, immanquablement il(elle) est dedans, parce que 2 minutes, en réalité c’est très court.
"Merci, ça fait 2 minutes, vous n’avez pas tenu votre promesse, je raccroche. Au revoir". Clic.
En fait c’est salaud dans les deux cas (mais ça fait vachement du bien). Pourquoi ? Et bien parce que dans la plupart des cas, on a en face de soi un lambda payé au lance-pierre et soumis à une pression terrible de la part de sa hiérarchie pour faire de la performance. Parmi les KPI (key performance indicators, pour les intimes), le temps passé par conversation et surtout le taux de conversion d’un appel. Dans ma stratégie, le lampiste perd du temps et ne convertit pas.
C’est tellement vrai qu’il m’est arrivé que son chef me rappelle pour me supplier qu’on aille au bout du questionnaire…
Hello Bruno, merci pour ces bons conseils, j’aime bien le premier, qui laisse flotter un parfum de paranoïa 🙂