Economie du gratuit, du libre, et piratage – quelques réflexions

Le billet du jour de Tristan Nitot me pousse à mettre au clair quelques idées qui me trottaient dans la tête depuis quelques semaines.

1. La dématérialisation

  • L’avènement du numérique fait que l’on peut faire des copies très peu coûteuses, disons gratuites, tout en préservant le même niveau de qualité que l’original. Rien à voir, donc, avec le fait de photocopier un ouvrage (coûteux en temps, qualité inférieure), scanner une photo (idem). La première idée est donc qu’on passe d’une économie de la rareté (quand je te donne mon livre, je ne l’ai plus) à une économie de l’abondance (quand je te copie mes MP3, nous les avons tous les deux).
  • Il se pose alors le problème du droit. Il y a la copie légale (les logiciels libres, les produits sous licence Creative Commons), qui autorise – voire encourage – la diffusion, c’est-à-dire l’abondance ; et il y a la copie illégale (i.e. le piratage). La question dans le piratage est de se demander ce qu’il faut protéger, et d’où vient la valeur (nous y reviendrons plus bas).
  • Lié au droit, il y aussi le problème du support : j’ai toujours été gêné de devoir payer des droits sur un 33 tours d’Eric Clapton, puis de devoir racheter le CD de la même oeuvre, idem pour les cassettes VHS qui deviennent DVD puis BlueRay : à ce tarif, Humphrey Bogart commence à me coûter cher. La question est la suivante : suis-je censé payer des droits sur un support ou sur une oeuvre ? L’avantage du MP3, que l’on peut acheter sur Amazon ou Deezer, est que l’oeuvre devient indépendante du support (CD gravé, iPod, disque dur de platine de salon…). Certes, il restera quand même une distinction entre l’oeuvre (la chanson) et la technologie (le MP3, qui ne sera pas éternel).

2. La valeur

  • Alors qu’est-ce qui fait la valeur d’une oeuvre numérique ?
    • Beaucoup d’artistes donnent leurs CDs ou leurs morceaux, et vivent en faisant payer des concerts. Comme le souligne Tristan Nitot, cela peut faire vivre ceux qui cumulent les casquettes d’auteur compositeur et interprète, mais les auteurs purs, comment sont-ils rémunérés ? Un pourcentage des ventes sur concert ?
    • Je vois une analogie avec les entrepreneurs. Certains, en créant leur startup, croient se protéger avec un brevet / un contrat de confidentialité. Mais à mon avis, le droit n’a jamais correctement protégé ce type de valeur. Si vous avez peur que quelqu’un vous pique votre idée, c’est qu’elle est piquable, et ce n’est pas un brevet qui changera cet état de fait. Mes conseils aux créateurs de startups : identifiez les barrières à l’entrée (pour bloquer les autres) et rendez-vous indispensables (pour que votre produit ne puisse pas être copié avec le même niveau de qualité). Plus facile à dire qu’à réaliser.
    • Par ailleurs, le droit, ou la technologie répressive, ont toujours un train de retard. Raisonner en terme de « il me faut une cuirasse plus solide », c’est raisonner comme un obus. Il faut déplacer les termes du problème (ici, par exemple, sortir du cadre « le combat, c’est uniquement l’artillerie »).
    • Il faudrait donc une valeur qui ne nécessite pas d’être protégée, mais qui, par son essence même, soit rareté. Je m’explique. Le droit crée des barrières à l’entrée, la technologie rérpressive aussi, mais ce sont des obstacles qui sont contournés, souvent très rapidement, par des utilisateurs motivés. Il faut donc une autre approche : que l’utilisateur n’aie pas de barrière à franchir, mais pas de possibilité intrinsèque de copier parfaitement (sans coût, même qualité). Peut-être une solution est de ne pas pouvoir dissocier le support de l’oeuvre. Bruce Springsteen en concert est difficilement copiable par un clone du Boss. Certes il y a les vidéos pirates des concerts. Mais c’est encore coûteux à réaliser. Et Springsteen sur un écran plat, ce n’est pas exactement Springsteen au Bataclan. Bon, il y a certains amateurs de foot qui préfèrent l’écran plat, ils savent que le meilleur endroit du stade, c’est le fauteuil du salon, à laisser les multiples caméras faire le montage le plus serré possible. Mais d’autres amateurs disent que l’ambiance d’un stade, ça se vit…
  • Enfin, mais cela nous éloigne du sujet, la copie numérique, c’est la diffusion rapide, je dirais démocratique, de la connaissance. C’est favoriser la collaboration (je pense aux logiciels libres ou à Wikipedia). C’est changer les règles du jeu.
  • Je termine sur un constat. Pour les « jeunes » générations, tout est gratuit. Payer pour avoir une adresse e-mail et un service de gestion du mail ? Vous rêvez… Payer pour un logiciel devient de plus en plus ringard. Mais en fait, rien n’est totalement gratuit. Gmail collecte des données sur mes mails pour cibler ses réclames. Derrière chaque service gratuit, il y a un business model. Les jeunes générations sont habituées à cela, elles sont nées avec le spam. C’est donc tout un comportement de société qui change. L’ado est très consommateur, orienté vers le gratuit, mais il est aussi un consommateur : si une sonnerie téléchargeable se vend à 0,99 €, c’est en même temps dérisoire pour un porte-monnaie d’ado, mais multiplié par le nombre d’ados, cela fait un énorme marché. Et ces ados vont grandir dans un monde qui se sera adapté à leurs désirs. Imaginez les ados d’aujourd’hui quand ils auront 25 ans et des salaires. Que consommeront-ils ? Avec quels mécanismes ? Je suis prêt à parier que quantité de grands groupes de télécom ou médias planchent là-dessus depuis des années…
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