Comme déjà vu dans la chronique Cinétique du Pékin, une foule qui se déplace suit généralement une direction. Même dans une place carrée, ouverte à tout vent, il y a des volontés, des désirs : le marchand de glace ou le bistrotier, la bouche de métro, le kiosque à journaux sont autant de destinations qui canalisent les flux. Contrairement aux actions cotées en Bourse, la marche au hasard n’existe que rarement, presque jamais, dans une foule.
Les flux seront encore plus marqués s’ils sont délimités par les parois d’un couloir. Tel le tuyau de plomb qui véhicule la fange vers les égouts, le couloir de métro digère son lot de pékins, bol alimentaire qui progresse dans un œsophage de céramique. Mais ce groupe, apparemment compact, est doué de vie propre. Chaque élément profite du flux, tout en gardant son indépendance motrice.
L’analogie est évidente : un banc de poissons. Ou un peloton de cyclistes. Tous se déplacent ensemble, et certains utilisent celui de devant pour se protéger, ou fendre l’eau / le vent / la foule. Il y a les chasse-neige et les skieurs qui suivent.
Ce qui est intéressant dans un premier temps, c’est le concept de covariance. Dans un portefeuille boursier, on regarde la covariance d’une action avec une autre. Deux actions qui ont une forte covariance vont donc, littéralement, varier de la même manière. Dans une foule, ou un banc de poissons, la covariance entre les éléments est extrêmement importante. Un poisson malade, ralenti, qui a perdu le sens de l’orientation ; un pékin qui n’est pas dans le flow : c’est l’ensemble de la fourmilière qui en souffre.
Donnons ici quelques fondements de la covariance en mouvement :
- Personne ne doit se toucher
- Le différentiel de vitesse règle la distance. Si je n’ai pas du tout la même vitesse qu’une personne, je me maintiens à distance ; des personnes qui vont à la même vitesse (donc différentiel de vitesse faible, voire nul) peuvent se suivre à distance très proche (mais respecter la règle n° 1).
- Dans les zones de compacité, la distance est inférieure (mais respecte la règle n° 2).
- Chacun observe les règles 1, 2 et 3 de manière dynamique, et le plus souvent inconsciente. Mais cela nécessite d’être attentif. Maintenir une inconscience consciente.
- Les mouvements brusques sont à éviter autant que possible. L’idéal est de maintenir un état de flow, où l’anticipation calme permet d’éviter de fracasser la règle n°1.
Une foule en état de flow est une foule heureuse.
L’analogie avec les milliers de coureurs d’un marathon est évidente !
PS : bravo pour ce record pulvérisé 😉
Quelle subtilité dans l’à-propos ! Et dire que cette analogie m’avait échappé… Tu as raison, sur les départs de marathon. Mais très vite, on ne peut plus parler de compacité du peloton, parce qu’ils sont tous loin devant moi 😉
je lisais recemment une étude sur la pratique des transports
en commun , les auteurs établissaient une typologie des voyageurs
et distinguaient :
l’araignée qui ne voyage jamais sans ses cartes ,plans,guide pour être autonome
le dauphin, qui voyage léger sans boussole (plans, guides, montres..) se laisse bercer par le flux (ce qui rejoint votre métaphore marine)
le renard , voyageur fûté guidé par une logique perfomentielle sait déjouer les mauvais plans (un peu comme le joueur en bourse?quid des requins?)
et enfin la taupe , animal aveugle,pour qui l’espace urbain est illisible ,
et qui ne sait pas utiliser la signalétique urbaine , nécessitant une prise
en charge totale,
la foule heureuse est bien plus sentimentale et plus animale
qu’il n’y paraît 🙂
vous concernant je parierai pour le renard-araignée
(totalement subjectif)
Subjectif, mais parfaitement identifié. Plus renard qu’araignée, mais il y a clairement des deux, bien observé ! Dans le prochain thibillet de cette série (ou celui d’après, nul ne sait), j’aborderai la taupe, justement.