Vieux Bill Horseshoe
Nous nous sommes garés sur un terre-plein, un peu plus loin, la poussière brûlante est entrée dans l’habitacle quand Conrad a freiné, et nous étions tous recouverts de poudre jaune comme des coyotes des sables. Conrad est descendu en pestant, il tapait sa casquette contre sa cuisse en regardant les dégâts puis il a dit « Ah, seigneur ! » et il a tourné le dos au taxi, il a regardé l’horizon sans rien dire. Eileen et moi avons ramassé tous les petits bouts de verre qui brillaient, on aurait dit des grains de sucre cristallisé à la recherche d’un gâteau. Pendant ce temps Aline est allée voir Conrad, elle était la personne qui fallait, il n’y avait personne qui disait autant de choses en se taisant. Tout en ramassant mes grains de sucre, je les regardais du coin de l’oeil, Conrad s’était accroupi, le dos toujours au taxi, et il secouait un peu la tête. Aline était debout à côté, le vent s’occupait de ses cheveux, elle ne disait rien non plus et regardait dans la même direction. J’ai retrouvé le caillou qui avait tout déclenché, il se tenait sur la banquette arrière avec un air du genre « Comment, c’est à moi que vous parlez ? J’aurais cassé quoi ? Non, c’est une erreur jeune homme ». Je l’ai balancé au loin, qu’il aille vivre sa vie ailleurs, il ne m’intéressait pas. On a fini de décoller les derniers morceaux de sucre du pare-brise et puis on a un peu brossé les sièges, les deux étaient toujours là-bas, Conrad regardait par terre et Aline fixait la route maintenant, elle regardait un vieux tracteur qui s’approchait, le conducteur avait un chapeau de paille comme on en met aux chevaux d’attelage, il avait même un trou de chaque côté pour laisser passer les oreilles.
Le tracteur s’est arrêté, et le conducteur a interpellé directement Conrad : « Hey, homme-taxi, tu as un problème ? ». Conrad a levé la tête, il a posé les mains sur ses genoux et s’est relevé en remettant sa casquette : « Ouais vieux cheval, tu peux le dire ». L’homme-cheval restait songeur face à l’homme-taxi, il avait l’air de réfléchir, tandis que les derniers grains de sucre s’écoulaient de ma main et tombaient dans le sable.
Le vieux conclut sa rêverie en disant: « Ça, c’est du travail pour Vieux Bill Horseshoe. On va aller voir Vieux Bill Horseshoe ».
Roman, publié progressivement, sous un contrat Creative Commons. Et aussi sous licence Touchatougiciel.
Le roman, dans l’ordre, est là.