Je vis dans une ville enfumée. Le soleil y pénètre peu, et l’on y travaille beaucoup. Chaque matin, le métro emporte et dessert des employés déterrés et des chômeurs sans but. On ne lève pas les yeux. A quoi cela servirait-il de croiser les yeux d’un fou, ou d’un esclave ? Il suffit de se ménager son petit espace, à distance moyenne de chacun, le corps sait faire tout seul ce travail d’ajustement sans que l’on n’aie besoin de calculer, mesurer, jauger.
Dans cet océan de dos, de pieds, et de visages flous, ce matin, j’ai regardé quelqu’un. Il marchait dans un couloir du métro, et nous étions cent mille comme lui, à arpenter méthodiquement des couloirs sans fin, fourmis souterraines privées de reine. Tout en marchant, cet anonyme enleva son petit sac à dos et le prit à la main, découvrant par cette occasion tout le dos de sa veste sombre, au milieu de laquelle se trouvait une tache de couleurs.
Il avait un poisson d’avril scotché entre les omoplates, un petit poisson découpé dans je ne sais quelle réclame. J’hésitai, mais finalement, je ne lui signalai pas le poisson et je continuai mon chemin derrière lui, chacun de nos pas scellait une seconde de plus à l’horloge de nos vies. L’essence du poisson d’avril, c’est le non-dit. Le porteur ne doit pas savoir depuis quand il se promène étiqueté, l’observateur ne doit pas décider quand s’arrêtera le jeu.
Je ne dérogeai pas aux règles de cette ville : je poursuivis mon chemin, sans toutefois dépasser mon poisson-pilote, qui avait remis son sac à dos, masquant ainsi son poisson. Et quand il monta s’asseoir dans une rame de métro, je m’installai non loin de lui. Il posa son sac entre ses genoux, j’imaginai le poisson apparaissant et disparaissant comme un poisson-volant dans les vagues.
Quelques stations plus tard, il se leva, et j’eus le temps d’entrevoir la tache colorée avant qu’il ne plaque à nouveau le sac sur son dos en sortant du wagon. Tel un fil de pêche tendu à l’extrême, mon regard suivit ce marinier jusqu’à ce qu’il tourne au coin d’un couloir, et disparaisse dans un banc de voyageurs des profondeurs. La porte du wagon se referma brusquement, cassant brutalement ma ligne, et je perdis ce poisson à jamais.
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j’aime beaucoup ce texte
mais je tremble en le lisant, car le bouchon revient immanquablement au petit papier collé dans le dos le 1er avril. tiens, cette année, je pourrai le porter sur tout le trajet. ce serait amusant d’imaginer la tête des autres.