Nothibillet – Pour rester anonyme sur l'Internet, mieux vaut s'appeler Jacques Martin que porter un nom très rare

A propos de sécurité des données personnelles, un ami a rédigé un texte, mais n’a pas de blog. Il m’a demandé de le poster sur mon espace, ce que je fais ci-dessous, car je pense que l’anecdote est intéressante. Je rajoute mes propres commentaires en dessous, pour réaction et ou discussion.

(début du nothibillet rédigé par cet ami)

Il y a quelques jours, alors que faisais une course en grande surface, il m’est arrivé l’anecdote suivante.
Deux femmes, qui se trouvaient devant moi dans la queue, bavardaient de telle façon qu’il m’était possible d’entendre distinctement ce qu’elles se disaient (c’est chose courante aux caisses des grandes surfaces).
L’une était la belle-mère de l’autre. Elle se parlaient librement, se sentant sans doute protégées par leur anonymat (si elles se reconnaissent, qu’elles se rassurent, rien de compromettant).
Arrivées à la caisse, comme elle n’avait pas sur elle sa carte de fidélité, la plus jeune a donné son nom à la caissière pour qu’elle la retrouve dans sa base de données, en prenant soin d’épeler le nom et le prénom.
Les deux étaient tellement singuliers qu’ils se sont aussitôt gravés dans mon esprit.
De retour à la maison, en bon internet addict, je ne fais ni une ni deux, un coup de google. En quelques minutes, j’avais retrouvé sa photo (et constaté que c’était bien la même personne), celles de son mari (et constaté que c’était bien le prénom qu’elle avait prononcé dans la conversation avec sa belle-mère), de deux de ses enfants, de ses parents et de ses trois frères et sœurs (ainsi que les prénoms de presque toutes ces personnes), appris que son père était divorcé et vu la photo de son ex-femme, et appris qu’elle avait un demi-frère et une demi-sœur.

Je n’ai pas tardé à trouvé son profil LinkedIn, tandis que sur dirigeant.com, j’ai pu consulter des informations très précises sur son patrimoine immobilier, ainsi que le mois et l’année de sa naissance (et constaté qu’elle fait plus jeune que son ge).
J’en ai déduit d’autres choses plus personnelles, mais je m’arrêterai là.

Cette personne ne poste pas sur Facebook. Elle n’a pas de blog. Elle est inscrite (volontairement sans doute) sur un site de généalogie. Rien de bien exceptionnel. Des millions de personnes sont dans ce cas. Sa seule caractéristique, c’est d’avoir un nom et un prénom qui constituent une clé de recherche unique dans l’immense base de données qu’est Internet. Et bien sûr, de ne pas avoir prêté attention à cette particularité et au fait qu’elle rendait sa trace numérique complètement distincte de celles de tous les autres, et donc terriblement visible.

Moralité : pour rester anonyme sur le net, il vaut mieux s’appeler Jacques Martin que porter un nom trop rare.

(fin du nothibillet, rédigé par cet ami)

Voici maintenant les commentaires de l’observateur que je suis (docthib, tenancier du bar numérique appelé blogthib) :

  • Cela me semble être une très bonne chose de rappeler que même si nous ne participons pas activement à notre identité numérique, il s’accumule de façon passive quantité de liens, recoupements et croisements de bases de données que nous en devenons néanmoins visibles. (j’avais même suggéré la stratégie de l’uncrosslisting).
  • On peut souligner que dans le cas de cette dame, elle a participé activement (site de généalogie), mais on peut penser qu’elle ne se doute pas de sa « vulnérabilité » numérique, en terme d’informations personnelles. (Rappelons que chaque année, des usurpations d’identité numériques, donc virtuelles, conduisent à des escroqueries bien réelles, tant il peut être facile de se faire passer pour…). Par ailleurs, nos données personnelles ont une valeur et un prix.
  • C’est là où j’en viens à un commentaire plus personnel : il faut quand même être un sacré « internet addict » (ou une personne malintentionnée) pour chercher à accumuler toutes ces infos. Mais cet ami démontre que, dès qu’on en a l’envie, les moyens sont à la portée du premier venu.
  • Maintenant, ultime question : et maintenant, qu’est-ce qu’elle fait, la dame ? Elle change de nom pour Jacque(line) Martin ? Elle arrête de parler dans la queue des supermarchés ? Ou elle se désinscrit de son site de généalogie ?

Je ne vois pas de réponse satisfaisante. Et vous, internautes baguenaudeurs, ça vous parle ?

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Ubuntu – Meyerlingue

Meyerlingue : n. m. Lors d’une chronique radiophonique, comprendre les allusions à demi-mot, les références subreptices à des textes de chansons, et s’en réjouir. Avec le sentiment inquiet (un petit bonheur est toujours temporaire) d’avoir raté d’autres références, et subséquemment, être attentif à chaque tournure de phrase qui pourrait cacher un artiste… alors que ce n’est « que » du Philippe Meyer.

Par extension : Chercher pourquoi le programmateur a prévu tel morceau sur FIP juste après tel autre ; parfois, trouver une raison, et s’en réjouir.

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Caillou – Moët

Houlgate en hiver
Attendant le réveillon
Goëlands obèses.

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Caillou – de saison

La veuve araignée
A oublié sa voilette
Au soleil d’hiver.

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LXDE (et Lubuntu) : bouton alimentation pour éteindre

Voilà exactement le genre de cadeau de Noël que j’aime m’offrir : avoir résolu le problème de la mise hors tension sous (Linux / LXDE) Lubuntu.

En souvenir de Jean-Philippe Gaillard, ancien étudiant avec qui j’avais parlé de Linux (bien avant Ubuntu) et qui m’avait dit (fort justement) :

« Linux, c’est plus que de l’informatique, cela s’apparente plutôt à une quête intellectuelle ».

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Disque écouté – Lys & Love, Laurent Voulzy

Le dernier album (Lys & Love) de Laurent Voulzy est sorti. En ces temps d’hiver, où ça travaille beaucoup (en tout cas, votre serviteur), c’est une bulle de musique colorée, solaire et apaisante.

Je me rends compte (merci le champ de recherche de ce bleug) que je ne l’ai jamais écrit, sinon par prétérition, aussi je l’écris : pour moi, Laurent Voulzy, c’est le Beach Boy français, un artisan vocal qui travaille, retravaille et retravaille encore ses mélodies. Je retrouve cela, différemment, chez Coldplay. Je suis fan, est-il besoin de le préciser.

Je sais ce que diront les personnes critiques. Elles diront « ouais, il fait toujours la même chose ». En disant ça, elles ne se rendent pas compte que leur critique est auto-référentielle, car elles répètent toujours la même critique. En gros, pour eux, « c’était mieux avant », et il faudrait que Françoise Hardy fasse du hard-rock, juste parce que ça changerait.

Je me souviens de la sortie de Caché derrière, une radio FM faisait découvrir les titres en avant-première (1992, c’était avant le web en France) et j’avais attendu tard dans la nuit pour écouter les quelques titres, je dormais déjà un peu, et je me souviens de ces mélodies qui se mélangeaient à mon demi-sommeil et mes rêves. Laurent Voulzy disait dans une interview qu’il avait rêvé une chanson de Paul Mac Cartney, et qu’il l’avait écrite au réveil, et aussi « que les musiques dans tes rêves, elles sont toujours extrêmement belles, mais quand tu te réveilles, tu ne les retrouves pas entièrement ».

Ici, on retrouve des sonorités familières, déjà entendues dans ses derniers albums, et toujours cette inventivité dans les longs morceaux (La 9ème croisade, plus de 14 mn), un mélange de Pink Floyd grande époque pour le côté « collage musical »et  des influences « world music » (chants grégoriens, instruments du moyen-orient) qui rappellent un certain Sting ou un certain Paul Simon, à une certaine époque.
Our Song, très joli mélange clin d’oeil : une intro et une voix off comme dans Everybody’s got to learn sometimes (The Korgis), qui était déjà repris dans Voulzy, La septième vague, mais ici c’est à la manière de, avec une jolie surimpression d’une chanson française classique (v’là l’bon vent).
Je pourrais écrire des lignes et des lignes, je me contente de repasser l’album en boucle. Puis je m’attaquerai au dernier Kate Bush (oui, j’assume mes goûts de jeunesse).

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Le cadre et le temps

Les Français estiment que s’ils avaient 4h de plus par jour, ils pourraient faire tout ce qu’ils avaient prévu de faire, selon un sondage récent. Sur Facebook, une page circule actuellement, qui dit qu’on peut ne dormir que 4h par nuit. Ma collègue Nicole Aubert a publié un livre sur le culte de l’urgence, cette maladie moderne des gens qui courent après le temps.
Tout cela est très intéressant, car symptomatique d’une époque.

  • Le temps est perçu comme une donnée élastique que l’on peut « gérer », comme si on pouvait rallonger les journées de 4h. Or, le temps passe à chaque seconde, et les secondes que vous consacrez à parcourir ces mots ne reviendront jamais, je vous l’assure. (Certains, du coup, décrochent de la lecture parce que, dans le temps qu’ils ont consommé à lire le début, ils n’ont trouvé aucun retour sur investissement suffisant, et sont allés zapper ailleurs).
  • Le désir d’être ailleurs et de rentabiliser notre temps. En fait, la question devient à quoi puis-je le mieux occuper mon temps. Et comme il y a un grand flou sur nos mesures de rentabilité marginale, nous ne cessons de zapper, de peur de rater une autre occupation potentiellement plus « rentable »… alors même que nous serions bien en peine de qualifier cette notion de rentabilité. La peur de rater quelque chose d’important, ailleurs que là où l’on est.
  • Le sommeil devient un temps perdu, un temps mort. Alors il faut réduire ce temps mort à sa durée la plus ténue possible. C’est une approche excessivement mécaniste : notre corps est alors uniquement considéré comme une machine qui doit être parquée quelques heures pendant la nuit pour revenir à un niveau de productivité normal. Et cette approche devient non seulement mécaniste, mais mathématique : « si je dors deux heures de moins cette nuit pour finir mon travail, je récupèrerai en dormant deux heures de plus demain soir ». Mais dans le corps humain, -2h + 2h, ça ne fait pas zéro. D’abord parce qu’avec -2h de sommeil, on va très certainement être moins productif la journée qui suit. Et que +2h ne suffisent probablement pas pour récupérer et remettre les compteurs à zéro. Bref, le temps de sommeil n’est pas aussi simple qu’une tirelire dans laquelle on pioche : il y a au minimum des frais de découvert de sommeil, quand ce n’est pas l’effet pervers des personnes qui ne peuvent plus vivre autrement qu’à crédit (de temps ou de sommeil).

Quelle est la solution ? (la mienne, en tout cas).
Inverser le propos. Ne plus souhaiter l’impossible (avoir 4h de plus), car cela conduit à nier la réalité, ce qui est le début de la maladie mentale. De plus, avec 4h de plus par jour (ce qui est impossible, rappelons-le bien), il ne faudrait pas beaucoup de temps pour que l’on souhaite encore 2h de plus « pour tout faire ».
Inverser le propos, cela veut dire « je suis en temps limité, et je ne pourrai pas tout faire, autant le savoir ». Bénir le cadre qui nous entoure et nous contraint. 24h, moins 8h de sommeil, moins 2h pour se nourrir / s’abluter, moins 2h pour se déplacer, moins un certain temps de détente et de relations sociales / familiales, disons que ça nous laisse 10h max pour travailler. Cela veut dire que si on a pour 15h de travail, c’est bien simple, on ne peut pas tout faire, point.
La subtilité n’est plus alors de dire « sur quel temps personnel vais-je prendre les 5h supplémentaires ? », mais bien de dire : « sur ces 15h, quelles sont les 5h que je ne ferai pas ? ». Il faut pour cela établir une logique et/ou une règle de priorité, ce qui n’est pas facile, et certainement pas universel.
Il y a quelques années, j’avais calculé le nombre maximum d’e-mails que je pouvais recevoir et traiter. J’étais arrivé à un total de 629 mails par jour ouvré. Quand je cite ce chiffre, mes interlocuteurs sont catastrophés. Je peux littéralement lire dans leur tête :

  • 629 mails ! Mais c’est énorme ! Moi qui n’en reçois « que » 200 par jour…
  • Mais ça veut dire qu’on ne ferait plus que ça !

En fait, ce chiffre – qui les catastrophe – me rassure. Il indique une limite au-delà de laquelle on ne peut plus gérer. Et point n’est besoin d’attendre le jour fatidique où je recevrai 629 e-mails par jour. Il suffit d’imaginer qu’un jour, je ne pourrai plus répondre à tous mes mails. Alors pourquoi ne pas commencer dès maintenant ?
C’est l’avantage du cadre : il nous enferme, mais il nous permet aussi de voir les limites autour de nous, voire de fixer ces limites au lieu de les subir. 24 heures par jour, dont au moins 8h de sommeil. Pas plus de 2h consacrées à ses mails. Au moins une heure de lecture. Et ne pas publier de thibillet après minuit 😉

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De quoi je me maile…

Hier, 79 mails envoyés ou reçus, sans compter les spams. Certes, il y a eu 5 heures d’avion, ça m’a permis de dépiler pas mal de mails en retard.

Mais c’est aujourd’hui que je suis bluffé : 59 mails envoyés ou reçus (il est 19h11), sans compter les spams. Certes, ça fait moins qu’hier. Mais quand on sait qu’aujourd’hui, j’ai enseigné 8h, ça laisse pantois. Quand est-ce que ce joyeux manège va s’arrêter ?

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Rentabilité en pourcentage et profit en argent : la tentation du court termisme

Nouvel exemple de synchronicité :

  • hier, en cours de finance, un étudiant Exec MBA m’indique que sa société pratique la location (plutôt que d’investir), ce qui « améliore fictivement » sa rentabilité (je reprends sa pensée, sinon ses mots exacts), et nous avons alors une discussion sur la rentabilité des capitaux engagés
  • dans l’après-midi, Yann R me fait passer un article américain qui fait référence à un autre article, titré de manière appropriée « comment la recherche des profits (je rajoute : à court terme) tue l’innovation aux USA »

Le propos est le suivant : supposons une société qui a des immeubles, des usines, des machines, des stocks, du cash, bref, des actifs, pour un total de 100 (non, merci à Matthieu, c’est un total de 50). Ces actifs ont permis de générer des ventes (50) qui, après déduction des coûts d’exploitation (-40) donnent un Résultat d’exploitation (ou un EBIT en normes internationales) de 10. Rentabilité de l’actif = 10 / 50 = 20%.
Et voilà qu’un consultant dit : « si vous revendez votre usine, et que vous la louez, vous allez faire baisser grandement vos actifs (disparition d’un actif « lourd »), et faiblement votre résultat d’exploitation (paiement d’un loyer).

  • Imaginons que l’usine pèse 10 : les actifs deviennent 50 – 10 = 40. (On suppose que le fruit de la vente, soit 10, ne reste pas à dormir en cash, et qu’il est utilisé pour rembourser des dettes, donc les actifs  – et les passifs – baissent bien de 10).
  • Imaginons que le loyer soit de 1 : le résultat d’exploitation devient 10 – 1 = 9.
  • la nouvelle rentabilité de l’actif devient 9 / 40 = 22,5%. C’est mieux que les 20% précédents.

Voici maintenant quelques remarques subséquentes, issues autant

  • de ces articles américains (auxquels j’adhère tellement qu’il faudrait me décoller à la spatule)
  • que d’une longue pratique des discours de consultants sur l’externalisation,
  • le tout mâtiné d’une petite dose de finance comportementale et de théorie de l’agence :

« Il y a les mensonges, il y a les foutus mensonges, et puis il y a les statistiques » (Benjamin Disraeli)

  1. Si l’on se focalise sur le ratio, la performance s’améliore (20% => 22,5%). Si l’on regarde le résultat dégagé, la performance se dégrade (10 => 9). Or, ce que les banquiers / actionnaires / salariés regardent, ce ne sont pas tant les ratios que la somme d’argent dégagée (nécessaire pour investir, rembourser les dettes, et accessoirement, augmenter les salariés).
  2. Le calcul des ratios fait fureur dans la communication financière des sociétés. Cela permet souvent (argument positif) de raisonner en « ordres de grandeur ». Mais cela permet parfois de noyer le poisson. Dire qu’on a un ratio d’endettement (gearing) de 0,3 c’est tout de même plus rassurant que d’avouer qu’on a 3 milliards de dettes (certes, pour 10 milliards de capitaux propres. Mais, rappelons-le, les capitaux propres ne sont pas – et ne seront jamais – du cash disponible).
  3. Cela conduit à des comportements d’investisseurs qu’on appelle fixation fonctionnelle : les actionnaires font une fixette sur un indicateur (BPA, PER, ROE, OQP…) en oubliant de regarder les fondamentaux : la société dégage-t-elle du pognon ou pas.

« On ne fera rien jusqu’après les élections » (article III des quelques lois générales découvertes en écoutant parler les industriels, par Auguste Detoeuf in Propos de O. L. Barenton, confiseur)

  1. Il y a le temps du dirigeant, et le temps de la société. Le dirigeant est un actif à court terme qui cherche à se revendre sur le marché de l’emploi avec plus-value. La société est un actif à long terme qui met du temps à créer de la richesse. Aussi, si le dirigeant pousse son intérêt personnel avant celui de la société, il va prendre des décisions qui augmentent la valeur à court-terme, sans prendre en compte les conséquences à plus long terme. Take the money and run, comme dit Woody Allen.
  2. Or, un ratio est beaucoup plus malléable qu’un résultat : dans le ratio A/B, on peut travailler en même temps sur le numérateur (A) et sur le dénominateur (B). Les variations deviennent relatives, et non plus absolues. Le ratio permet de se focaliser sur les résultats à court terme. Exemple : si je n’investis pas, pendant un certain temps, je vais garder le même résultat alors que mes actifs vieillissent, donc ceux-ci seront de plus en plus amortis : le dénominateur B se réduit. Et quand le résultat A se mettra enfin à baisser (parce que, rappelons-le, on n’a pas investi), le dirigeant aurra changé de société… ou il aura changé de ratio pour sa communication.
  3. Les économies réalisées à court terme masquent souvent les coûts (conséquences) à plus long terme. J’en vois deux.
    • Premièrement, externaliser conduit souvent à payer plus cher (à terme), car il faut bien que le sous-traitant vive, donc il prend une marge. Ce qui veut dire  que plus on externalise ses activités, plus on paie des marges aux autres. Et que reste–t-il alors à la société ? Sur quelle création de valeur peut-elle s’appuyer pour justifier ses propres marges ?
    • Deuxièmement, externaliser signifie perdre le contrôle des actifs. Et cette perte de contrôle a un coût qui n’apparaît généralement pas immédiatement, mais uniquement quand il est trop tard, ou trop coûteux, de faire machine arrière.

« Croissez et prospérez » (Dieu, dans La Bible, Genèse, 1:28).

  1. Le mythe des économies à court terme masque une réalité : chaque société devrait consacrer une partie de ses ressources à entretenir et développer sa capacité de production (au sens large). Certaines sociétés n’entretiennent pas assez la partie matérielle de leur capacité de production (machines, usines) ; mais beaucoup se préoccupent encore moins du développement de la partie immatérielle de leur capacité de production (formation, recherche, motivation des salariés), qui prend pourtant une importance croissante dans les économies actuelles ; enfin, que dire de la maintenance et du développement des ressources naturelles et humaines ? Elles sont rares, les sociétés qui consacrent 1% de leur chiffre d’affaires aux actions environnementales et sociales…
  2. On atteint un mythe de la valeur. La logique du court-terme veut que l’on augmente les profits, en croyant que c’est bon pour la valorisation des sociétés. Mais l’investisseur n’est pas (totalement) idiot : pour accepter de valoriser une société sur la foi de cash-flows actualisés à l’infini (c’est la pratique courante), encore faut-il que cette société puisse aller jusqu’à l’infini. Ce n’est pas en rognant sur ses dépenses actuelles que l’on va assurer la pérennité de la société. Le dilemme devient alors : soit vous maximisez vos cash-flows actuels en investissant moins que nécessaire, et votre valeur correspondra à 5 ans de ces cash-flows, guère plus ; soit vous jouez le jeu du développement de la capacité  de production (au sens large : matérielle, intellectuelle, sociale), et vous aurez des cash-flows plus réduits, mais plus pérennes.
  3. Cette logique, que Yann R qualifiait de « typiquement occidentale », déborde de la sphère financière. Quand je vois des cadres supérieurs complètement exsangues, que l’on a habitués (entre addiction et pression) à réagir dans l’urgence en permanence, cela veut dire qu’ils sont à fond dans la production (P) et pas dans l’entretien de leur capacité de production (PC). C’est un thème P / PC cher à Stephen Covey : vérifiez que vous n’êtes pas uniquement en production, entraînez / maintenez votre capacité de production (bonne santé, formation, livres, réflexion…). Comme disait Jack Kérouac dans Sur la route : « a long way to go ».
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Ah… Ah ?.. Aaaaaaaaaahhh !!!

Un court thibillet de commentaire sur ce qui se passe actuellement sur les marchés européens (en attendant l’ouverture de Wall Street).

  • Moody’s aurait dit que peut-être il y aurait des envisagements de réduire la pensée d’une évolution de la notation AAA de la France.

Cette situation permet de montrer (je n’ose dire démontrer) que ce ne sont pas les agences de notation qui font la pluie et le beau temps en Bourse. Revoyons la séquence au ralenti.

  1. Cet été, la note des Etats-Unis est dégradée. Conséquence immédiate : les Bourses plongent. Conclusion rapide : c’est l’annonce surprise d’une agence de notation qui fait la pluie et le beau temps sur les marchés financiers. C’était une conclusion préoccupante, car cela signifiait que les investisseurs étaient plus myopes qu’une taupe, et qu’il leur fallait l’aide d’un chien d’aveugle pour se rendre à l’évidence. En d’autres termes, ce que nous en finance nous appelons un marché non efficient.
  2. Au cours de l’automne, les nouvelles économiques (entreprises, Etats, réformes) sont tombées et les dirigeants sont tombés avec, tandis que les indices boursiers jouaient au yo-yo, sur l’air de « attrape-moi si tu peux ».
  3. Dans le même temps, l’écart entre les obligations d’Etat allemandes (notées AAA) et les obligations d’Etat françaises (notées AAA) augmentait : il a atteint ces derniers jours le record de 200 points de base, soit 2 points de %. Rappelons-le : ces deux pays sont encore, à cette minute, notés tous deux AAA. On peut alors offrir plusieurs explications :
    • Les Allemands sont vachements forts, et en fait, ils ne sont notés AAA uniquement que parce qu’il n’existe pas de AAAA (comme l’andouillette) ou de Super-AAA-Ultimate-Platinum. Donc ils sont mieux que les Français, qui n’ont « que » AAA, mais qui le méritent bien.
    • Hypothèse discutable, car malgré mon affection pour nos amis d’outre-Rhin, force est de constater que leur économie n’est pas totalement florissante. Mais « quand je me considère, je suis peu de chose, quand je me compare, ça va mieux », comme dit le proverbe béarnais, donc les Allemands, en fait, ils sont meilleurs que les Français. Dans ce cas, on part du principe que les Allemands méritent leur AAA, et on se retrouve avec des Français qui ont aussi AAA mais dont le coût de refinancement est supérieur de 2 points de %, ce qui énorme, déjà dans l’absolu, mais encore plus quand on sait que ces deux pays sont supposés être dans le même club des « actifs sans risque » (comme l’or, hahaha).
    • On en déduit que la France n’est plus considérée sans risque par les marchés financiers. Une prime de 2 points de pourcentage pour daigner accepter d’investir dans l’Etat français, mazette, c’est salé comme mesure du risque… Donc, selon les investisseurs financiers, la France n’a plus son AAA.
  4. Et là, Moodys dit « hello, compte-tenu du fait qu’il y a un écart de rendement qui se monte à 200 points de base, c’est bien la preuve qu’il faut qu’on dégrade la note de la France ».

Conclusion et question rhétorique

Conclusion : ce ne sont pas les notations d’agences qui font le marché, c’est bien le marché qui, par ses prises de positions (pas forcément expliquées) révèle le problème, et les agences de notation s’ajustent. Ce qui tendrait à soutenir l’idée d’une relative efficience des marchés.

Question rhétorique : reste à savoir comment réagiront les investisseurs le jour où Moody’s dégradera effectivement la note de la France. Quelques scénarios :

  1. Les marchés ne bougent pas. Cela conforte l’hypothèse d’efficience : « l’information était déjà dans les cours », aussi l’annonce d’une dégradation de la note ne déclenche pas de baisse supplémentaire. Cf. mon analyse sur la démission de Steve Jobs, en son temps.
  2. Le marchés plongent. Cela ne remet pas forcément en cause l’hypothèse d’efficience. En effet, si ça plonge, plusieurs hypothèses là encore :
    • « On ne savait pas, on est surpris » : OK, là, c’est de la myopie et un manque d’efficience.
    • « On s’en doutait bien, et on l’avait intégré, mais en fait, les infos transmises par Moody’s sont pires que ce que l’on pensait ». Dans ce cas, on peut toujours parler d’une relative efficience : le marché avait déjà réajusté ses cours, mais la dégradation de la note véhicule un supplément d’information qui aboutit à une baisse marginale.

Cette question est d’autant plus épineuse qu’en fait, on parle de deux marchés distincts : il y a le marché des emprunts d’Etat (avec un écart – spread – de 200 points entre l’Allemagne et la France), et il y a le marché des actions. Mais en toute rigueur, si les marchés sont efficients, l’écart de 200 points de base sur le risque des Etats doit déjà avoir été totalement intégré dans les cours des actions. Donc normalement, si les marchés sont efficients, l’annonce de Moody’s ne devrait avoir qu’un impact limité, ou temporaire. Alea jacta est.

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