Quelques réflexions sur la dette américaine et l'andouillette française

A la lumière de l’actualité de ce week-end (Standards and Poors a abaissé la notation de solvabilité des États-Unis de AAA à AA+), voici quelques remarques ou questions de compréhension du Candide que je suis :

  • Rappelons qu’il n’existe pas, en tant que tel, de taux sans risque, car il n’existe pas d’actif réellement sans risque (que ceux qui ont un grand-père ayant investi dans des emprunts russes lèvent le doigt). Un actif sans risque, c’est un actif qui vous donne une rémunération fixée, sans aucune incertitude, et qui vous rembourse de votre capital à la fin, encore une fois sans incertitude. La Caisse d’Épargne française, ou la noble Confédération Helvétique, représentent à ce jour ce qui se rapproche le plus d’un actif sans risque. Mais les dirigeants de la Caisse d’Épargne peuvent très bien perdre leur solvabilité. Un actif sans risque, à un moment donné, n’est pas la garantie qu’il restera sans risque. Or, ces actifs prétendûment sans risque émettent des emprunts sur des durées qui peuvent aller jusqu’à 30 ans. Reportez-vous 30 ans en arrière : quel était l’état du monde ? Qui auriez-vous jugé d’État « sans risque » à cette époque ? Vous seriez-vous mordu les doigts ? (Que ceux qui répondent « Non » m’envoient leur performance patrimoniale sur les 30 dernières années).
  • Tout tient donc à une mesure de la solvabilité. Revenons à la base, fondements de finance, unit one, lesson one. Ce qui détermine votre solvabilité, c’est 3 choses : (1) le niveau de montant emprunté ; (2) le niveau de revenu périodique que vous dégagez, et qui servira à rembourser le montant emprunté ; (3) la stabilité (ou, inversement, la volatilité) de ce revenu périodique (en d’autres termes, votre revenu de la question 2 va-t-il se maintenir au même niveau sur toute la durée de l’emprunt ?). Or, que constate-t-on dans le cas des USA ? On constate – tout Candides que nous sommes – 3 choses sur ces 3 points précédemment évoqués :
    1. Le niveau de montant emprunté n’est pas apparu tout-à-coup : il a été remonté par plafonds successifs depuis plus de 60 ans. Donc cette dégradation de la note n’est pas un coup de tonnerre dans l’azur, cela fait des années (des décennies diront certains de mes collègues, vous les voyez, ceux qui ont toujours raison) que cette situation existe et qu’elle est connue. Les États-Unis sont très endettés, depuis longtemps. Et pourtant, leur notation est restée à AAA. Un peu comme si vous, avec un crédit immobilier sur le dos, plus des crédits à la consommation sur un home-cinema, une décapotable et un 4×4, vous étiez toujours considéré par votre banquier comme « sans aucun risque » (que ceux dont le banquier se comporte ainsi m’envoient l’adresse de son asile).
    2. Le montant de revenu destiné à rembourser la dette n’est jamais mentionné. On nous fait lanterner depuis des semaines sur le relèvement du plafond, mais qu’est-ce qu’un plafond, ou qu’est-ce qu’un chiffre de plusieurs trilliards en finance ? Rien du tout, tant qu’on n’a pas un ratio. Ce plafond, ça représente combien du Produit Intérieur Brut des USA ? (ou % des recettes pétrolières, ou des ventes de McDos, on s’en fout, il s’agit juste d’avoir un ordre de grandeur). Bien sûr, on peut soi-même chercher les chiffres, et calculer les ratios. Mais c’est tout de même symptomatique d’une forme de myopie, voire d’un paradigme (regarder avec des oeillères) que personne ne communique sur les ordres de grandeur en cette matière. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, dire que le plafond est remonté de 7 trilliards, c’est comme me dire que Jupiter s’est éloigné de la Terre d’une distance de 137 années-lumières. En revanche, quand on me dit que dans l’État du Texas, la France tiendrait à l’aise, je me représente mieux pourquoi un président texan, c’est classe. Tout est une question d’ordre de grandeur.
    3. Enfin, la stabilité du revenu destiné à rembourser la dette, eh ben, on l’oublie, cette mesure, parce que déjà qu’on ne parle pas d’ordre de grandeur, alors d’ici à déterminer un écart-type, il y a loin… (Remarquez tout de même que le banquier le moins tatillon exigera ces 3 données précises si vous commettez l’erreur d’aller solliciter un emprunt auprès de sa Haute Magnificence. Mais vous n’êtes pas Barack Obama, pas même Silvio Berlusconi).
  • Reprenons. Il n’y a pas d’actif sans risque (à part peut-être l’andouillette AAAAA et les huitres triple-zéro), donc il n’y a pas de taux sans risque. En fait, en finance, on fait du Lego depuis tant d’années qu’on en oublie la vision d’ensemble. On ne se préoccupe de l’actif sans risque que parce que l’on cherche les primes de risque. Par exemple : « cet actif doit me rapporter 3 points de pourcentage au-dessus du taux sans risque ». Si un taux sans risque (emprunt du Liechtenstein) est à 4% par an, on calcule 4% + 3% = 7% et on dit fièrement « mon exigence de rentabilité est de 7% ». Mais en fait, c’est du Lego, d’additionner ces deux choses : quel que soit le niveau du taux sans risque, on voulait toucher du 7%. En résumé, si des gogos estiment que le taux des emprunts d’État US est un taux sans risque, cela signifie qu’ils se trompent sur les primes de risque qu’ils exigent. Ce n’est pas grave, quand vous êtes focalisé sur le 7% que vous voulez obtenir. C’est plus grave (paradigme, oeillères) quand vous considérez que ce que vous devez exiger, c’est le taux des US + 3 points de pourcentage.

En résumé, le taux sans risque n’est pas une grandeur intéressante, car il n’y a pas d’actif absolument sans risque. Tous les actifs sont risqués, mais ils n’ont pas le même niveau de risque, ce qui justifie qu’on n’en ait pas la même exigence de rentabilité. Le taux sans risque n’est qu’une facilité de calcul, qui permet, dans un monde stable et prédictible (que ceux qui vivent dans ce monde parcourent les années-lumières qui nous séparent pour me serrer la tentacule), une facilité de calcul, donc, qui permet de calculer par Lego les exigences de rentabilité sur investissements.

En conclusion, que va-t-il se passer ? Tous les scénarios sont possibles, comme au Poker, c’est ça qui est poilant sur les marchés financiers, ça repousse les limites de l’imagination humaine. On peut – candidement – s’essayer à quelques prévisions :

  1. Une période de grosse volatilité. « Ah bon sang, personne ne nous avait prévenu que les États endettés étaient risqués ! ». Qui va s’enrichir ? Les banques et gestionnaires de patrimoine, parce que eux, que ça monte, que ça baisse, il donnent des conseils et prennent des commissions sur les transactions réalisées. Et plus les marchés sont volatiles, plus il y a de transactions.
  2. Puis le linge sale va être caché sous le tapis. Après les clameurs habituelles (« il faut réglementer » ; « quid de l’indépendance – voire de la compétence – des agences de notation » ; « les marchés sont devenus fous / inefficients / immoraux (ajoutez un terme) » ; « en fait, Elvis n’est pas mort et c’est lui qui tire les ficelles, avec Michael Jackson »), on passera à autre chose. La prochaine saison de Secret Story va commencer, tel groupe va être accusé d’avoir contaminé des Surimis ou du Tripous auvergnat, et tout le monde va se focaliser sur ces nouvelles informations en oubliant le Plafond américain. Qui va s’enrichir ? Les banques et gestionnaires de patrimoine, qui vont conseiller d’acheter à nouveau des actifs risqués, et en Chine si possible, bref,
    pendant les travaux, le commerce continue.
  3. Jusqu’à la prochaine crise, où nous allons tous devenir des experts en surimis, ou en rehaussement de crédit, ou en actifs toxiques, et puis, allez, ça vous passera avant que ça me reprenne. Il faut croire que, à l’instar de ceux qui ont une addiction à leur BlackBerry, certaines personnes ont un addiction au niveau du CAC 40.

A part ça, il fait beau, c’est l’été, et je vais aller nager.

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8 réponses à Quelques réflexions sur la dette américaine et l'andouillette française

  1. Johann dit :

    Je trouve les huitres plutôt risquées, pour ma part. 😉

  2. Docthib dit :

    Pourquoi, tu es enceint, à nouveau ??! 😉

  3. Thierry dit :

    Une question où vous pourriez peut être m’éclairer. Il se dit que la BCE pourrait intervenir sur le marché secondaire de la dette de l’Italie et de l’Espagne. La BCE l’avait déjà fait pour la dette grecque en achetant 12% de celle-ci soit 74Mds€. Or 12% de la dette en circulation de l’ITalie et de l’Espagne ça nous fait environ 250Mds€. La BCE a t’elle une limite d’achat (théorique ou pratique) ? Peut elle si elle le souhaite acheter pour 1000 mds de dette de pays de la zone euro ? Si elle le peut quelles sont les conséquences d’une telle opération pour la BCE et pour l’euro ?

  4. Docthib dit :

    Quelques réflexions en vrac (je suis en vacances) et rapides (j’ai une connexion escargotesque, voire escargrotesque).

    • Si la BCE rachète des titres, elle sort de son rôle de politique monétaire. Elle l’a déjà fait, OK, mais ce n’est pas une raison. La BCE pousse donc au fait que ce soit le Fonds européen de stabilité financière qui rachète les titres – et dans quelle mesure, on ne sait pas.
    • Cette prise de position est à mon avis motivée par 3 raisons :
    1. Ce n’est pas son rôle (déjà évoqué, et cf. l’article de Wikipedia).
    2. Il se pose un problème de risque : le risque de l’Italie et l’Espagne sera transféré à la BCE, ce qu’elle ne souhaite pas. Comme le gardien de but est le dernier défenseur d’une équipe de foot, un pays est le dernier défenseur – normalement – de ses obligations. Si la BCE commençait à accumuler des dettes « pourries », sa note pourrait être dégradée à AA, A, CCC ou xXx (et dans ce cas, Vin Diesel viendrait à son secours).
    3. Il y a un problème de refinancement : pour racheter la dette grecque, la BCE a dû procéder à une augmentation de capital. C’est-à-dire convaincre ses investisseurs de remettre au pot. C’est là une limite – pas du tout théorique – de ces rachats : trouver le refinancement en face. Et dans le contexte des marchés financiers actuels, ma foi, il faut promettre de sacrés avantages – et de sacrées garanties – pour que des investisseurs acceptent un investissement en capital.

    J’espère avoir répondu clairement. Si je trouve de l’andouillette aujourd’hui, j’en mangerai à votre santé.

  5. Docthib dit :

    Et j’oubliais : il y a aussi un problème de liquidité. Si l’on rachète en masse des titres, leur prix s’éloigne de leur "vraie" valeur de marché, car on crée un déséquilibre entre l’offre et la demande qui perturbe le prix d’équilibre. Cela fait surgir (ou avive) des comportements opportunistes, spéculatifs.

  6. Thierry dit :

    Merci beaucoup pour ces éclaircissements. Moi qui croyait andouillettement que les moyens théoriquement de la BCE était illimité en faisant tourner la planche à billet, je me trompais. Bonnes vacances.

  7. Tapioca dit :

    Que ceux qui ont un grand-père ayant investi dans des emprunts russes lèvent le doigt).
    Je lève le doigt.
    Docthib vous dites : Un actif sans risque, c’est un actif qui vous donne une rémunération fixée, sans aucune incertitude, et qui vous rembourse de votre capital à la fin, encore une fois sans incertitude. Les emprunts russes étaient des emprunts d’État, versant une rémunération fixée d’avance (4%) et le contrat d’émission prévoyait un remboursement à une date prévue.
    Les premiers emprunts russes ont été émis en 1880. Trente ans plus tard en 1910 les intérêts et les remboursements étaient respectés.

  8. Docthib dit :

    et ceux émis quelques années plus tard, et qui couraient encore, par exemple, en 1917, ils ont été remboursés ?

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