
ces icones dans ma tête ?
Je démarre aujourd’hui une séquence de réflexions sur l’enseignement en ligne, suite à la crise du Coronavirus. En effet, même si à ce jour le gouvernement français n’a toujours pas pris position sur la fermeture des universités et des grandes écoles, je préfère prendre mes dispositions à l’avance et commencer à planifier, ne serait-ce que mentalement, comment je vais faire passer mes cours en présentiel en cours à distance.
Ces différents thibillets vont me servir à documenter, comme un journal de route, l’état de mes réflexions.
Le contexte est extrêmement important : il ne s’agit pas d’une réflexion menée à l’avance pour concevoir un cours à distance. Nous sommes au milieu d’une crise, mon école peut fermer du jour au lendemain, et je peux donc être amené à devoir transformer tous mes cours présentiels en un équivalent 100 % en ligne avec 24h de préavis… Je souhaite donc partager mes réflexions comme un chantier en cours, et j’espère recevoir des suggestions, des commentaires, des partages d’expériences sur ce sujet.
Avant de parler des modalités pratiques, cela me semble important de définir quelques principes fondamentaux qui serviront à orienter mes choix.
Dans la boussole morale que je me fixe, il y aura un double nord magnétique :
- Ma priorité absolue sera de prendre (encore plus) soin de mes étudiants. Cette crise est extrêmement difficile à vivre pour eux, sachant que la majorité de mes étudiants sont non français. Nous avons beaucoup d’Italiens, de Chinois, d’Indiens, d’Allemands, etc. Ces étudiants sont loin de leur famille, ils sont logés à Paris ou alentours, dans des logements d’étudiants. Déjà, dans une situation normale, ils sont très souvent en demande de conseils et de soutien (parce que c’est une partie importante du métier de professeur). Si mon école venait à fermer et que leur seul contact devenait les cours en ligne qu’ils auraient à suivre, cela nécessiterait encore plus d’écoute, de compréhension et d’adaptabilité.
- Le 2e nord magnétique qui va me guider, c’est la conviction qu’un passage rapide d’une classe en présentiel à un cours en ligne ne peut se faire que dans des conditions dégradées. Mes cours actuels n’ont pas été conçus pour être enseignés en ligne, et s’il y a des personnes qui pensent qu’il suffit de se filmer en train de faire cours, cela prouve l’étendue de leur incompétence sur le sujet des cours en ligne. L’erreur vient au départ du vocabulaire qui est employé : je vois quantité de business schools qui parlent de faire basculer immédiatement tous leurs cours en ligne (immediately switch to online classes). Si je devais trouver une image, ce ne serait pas celle de l’interrupteur ou du basculement (switch), qui fait croire qu’il suffit de pousser un bouton pour changer de modalités : ce serait plutôt l’image de la traduction automatique. Une traduction automatique nous permet d’obtenir rapidement un texte dans une autre langue, mais la rapidité se paie pour partie, car la version livrée est une version dégradée, voire très dégradée, du texte initial. Cela peut servir à comprendre le sens général, mais sans la finesse du texte original.
Je précise enfin 2 choses plus personnelles :
- D’une part, en termes d’enseignement en ligne, je ne suis pas un perdreau de l’année. J’ai déjà conçu plusieurs cours qui étaient destinés dès le départ à être 100 % en ligne, certains d’entre eux étant même totalement auto supportés (c’est-à-dire que mon rôle se bornait uniquement à animer les forums de discussion, à répondre aux questions des étudiants par e-mail, et à corriger l’examen final – zéro heure en enseignement). J’ai aussi eu la chance de collaborer à l’écriture de vidéos pédagogiques, j’anime un séminaire de pédagogie dans le programme doctoral de l’école, et depuis plus de 2 ans, je participe avec plaisir à des groupes de codéveloppement en pédagogie, où l’on travaille régulièrement sur les problématiques d’enseignement en ligne dans différents programmes. Ce n’est donc pas comme si je découvrais le sujet aujourd’hui… Mais je persiste : un passage rapide à un cours 100 % en ligne aboutira automatiquement à un produit dégradé, soyons-en conscients.
- D’autre part, toute cette réflexion – et tout ce que je commence déjà à mettre en place – viennent en supplément non prévu dans un agenda assez chargé. J’ai 2 livres sur lesquels je travaille pour mon éditeur, un article de recherche à modifier, un magazine à sortir, une ou 2 conférences à organiser, un fils en stage et une fille qui va passer le Baccalauréat… Aussi, mes thibillets seront probablement courts et mal écrits 🙂
Abordons maintenant le sujet : par quoi commencer la réflexion ?
J’ai commencé par le plus urgent : mes prochaines séances de cours, prévues pour être assurées en face à face dans un amphithéâtre, et qui pourraient se retrouver converties en sessions en ligne. Pour moi, il faut d’abord procéder à une typologie de chaque séance. En effet, toutes les séances de cours ne se ressemblent pas : certaines séances consistent à corriger un cas rendu précédemment par les étudiants ; d’autres séances incorporent les activités que les étudiants doivent réaliser, suivies par une discussion ; d’autres encore consistent en un cours plus contrôlant, où je montre des concepts et je pose des questions. Il faut donc déjà mesurer les caractéristiques d’une séance donnée pour voir ce qu’elle pourra donner en distanciel.
Pour les enseignants qui seraient intéressés, je vous partage ma première ébauche d’une grille typologique. Il s’agit de lister les caractéristiques principales de ce qui va se passer pendant le cours. Voici ma première liste (à améliorer) :
- Répartition du temps de parole ou d’activité : mes étudiants x% vs. moi-même y%
- Est-ce que le cours est assuré par plusieurs personnes ? (répartition des séance, voire double animation, invitation de professionnels…)
- Quel est le pourcentage de la séance consacré aux questions des étudiants ?
- Quel est le pourcentage de la séance que je consacre aux différents supports : diapositives % ; écriture ou dessin sur tableau blanc % ; travail sur l’ordinateur avec projection (Excel) ; vidéo %…
- Quel pourcentage de la séance est dédié à des travaux de réflexion des étudiants ? Comment les étudiants restituent-ils leur réflexion ?
- Comment est-ce que j’interagis avec les étudiants ? Est-ce que je choisis à qui je pose la question, ou j’attends que quelqu’un réponde ?
- Est-ce que j’ai un style plutôt personnalisé (je montre à mes étudiants que je sais reconnaître leur individualité) ou un style plutôt universel (peu importe qui pose la question, ou qui apporte la réponse, du moment que c’est intéressant)
- Est-ce que j’ai beaucoup d’étudiants qui viennent me voir à la pause ou à la fin du cours ? Posent-ils les mêmes questions qu’ils auraient pu poser en cours, ou est-ce qu’ils viennent à ces moments car ils ont une demande particulière qu’ils ne veulent pas formuler devant tout le monde ?
- Dans quelle mesure est-ce que je me nourris des interactions ou des réactions ? (ne serait-ce que les hochements de tête)
Je suis sûr que l’on peut allonger la liste pour obtenir une cartographie plus précise de ce que le professeur attend d’une séance de cours donnée avant qu’elle ne commence. En lisant cette liste de questions, vous avez probablement compris l’intérêt de procéder à une telle cartographie : savoir ce qui est plus ou moins facilement transposable en ligne.
De fait, je classe grossièrement les activités d’un cours en 3 catégories :
- Certaines activités peuvent avoir lieu à peu près de la même manière que ce soit en cours face à face ou en cours à distance. Par exemple, faire défiler des diapos et les commenter. Cela ne remet pas en cause mon idée de dégradation : regarder fixement son ordinateur sur lequel se trouve une diapo tandis qu’on entend dans le haut-parleur la voix du professeur anonner un commentaire, ce n’est pas la même chose que de se retrouver dans une salle en face à face avec les mêmes conditions.
- D’autres activités ne sont pas transposables telles quelles. Elles vont nécessiter de trouver un « traducteur automatique » : comment remplacer l’écriture sur un tableau blanc ? Comment interroger les étudiants pour créer une dynamique ? Comment traiter les individualités ?
- Enfin, il y a une 3ème catégorie : les activités qui ne peuvent pas être transposées en ligne. Exemple : capter instantanément les réactions subtiles, les bavardages (indiquant soit qu’il y a une perte d’intérêt, soit au contraire qu’il y a un regain d’intérêt sur le sujet qui nécessite d’échanger avec les camarades). Dans cette 3ème catégorie, il s’agit alors de décider : vaut-il mieux renforcer les 2 premières catégories, au risque de perdre une partie de la richesse de la 3ème ? Ou faut-il chercher des raccourcis ou des innovations pour répondre aux besoins de la 3ème catégorie, au risque d’y passer beaucoup de temps alors même qu’on est en situation d’urgence ? Encore une fois, il faut accepter que le cours sera dégradé.
Voilà où j’en suis pour l’instant. Et vous, quels sont vos réflexions sur ces sujets ?