Une agence de notation "pourrie de conflits"

Je n’ai pas le temps de commenter en détail cette nouvelle, mais voilà une information (merci à ESCP Europe Community Headlines) qui apporte de l’eau au moulin des discussions précédentes :

  • Le site Business insider publie un article (en anglais, pas le temps de traduire) selon lequel un ancien analyste senior de Moody’s (une des trois agences de notation financière) décrit les processus à l’intérieur de ce groupe comme « corrompus jusqu’à l’os » (corrupted to the core). Pour ceux que cela intéresse, le rapport de ce Senior Analyst (William J. Harrington) à la SEC, daté du 8 août, est disponible ici.
  • Au moment où l’on s’interroge sur la dégradation de la note US (rappelons que seul Standards and Poors a dégradé sa note) et la notion d’actif sans risque, le rôle et le pouvoir des agences de notation est régulièrement remis en cause.
  • Mais surtout, voici encore une illustration de la théorie de l’agence. En résumé : demandez-vous toujours comment une personne est rémunérée, et dans quelle mesure ce mode de rémunération influera sur ses décisions. Ici, (je cite l’article de Business Insider) « Il est bien connu que le conflit d’intérêt primordial chez Moody’s est le suivant : la société est payée par ces même « émetteurs » (banques, entreprises) dont elle est censée noter objectivement les titres financiers. »

Le rapport de Harrington (qui a démissionné de Moody’s) cite de multiples dysfonctionnements, pressions, sanctions, pour aboutir à des notations qui ne sont pas celles initialement recommandées par les analystes. La page de Business Insider en donne quelques extraits (en anglais, toujours). Bonne lecture.

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Epictetus out-of-date ?

Thanks to Raphaëlle L., I read that famous quote once again today :

We have two ears and one mouth so we may listen more and talk the less. Epictetus

All Riiiiight… What would Epictetus say in our digital age, where we « talk » (type) with 10 fingers but only « listen » (read) with two eyes ?

We have ten fingers and two eyes so we may talk more about our ego and learn the less from the others. Epictetus 2.0

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Quelques réflexions sur les ventes à découvert (VAD)

Sur les dernières semaines, les valeurs boursières sont malmenées, notamment les valeurs du secteur bancaire. Prenons le cas de BNP Paribas (graphique joint) : la baisse est quasiment continue depuis début juillet.
Au sujet de cette baisse (de la Bourse en général, des valeurs bancaires en particulier), la presse économique a pointé du doigt les ventes à découvert.
Rappelons d’abord le principe de la vente à découvert, pour éviter quelques fantasmes populaires.

  • Ce qui n’est pas de la vente à découvert, et qu’on appelle « l’investissement boursier classique ». L’investisseur a de l’argent liquide, et il achète des actions. Il est alors en position longue (long, dans la langue de Jess Long), c’est-à-dire qu’il détient des actions. Il attend que  le cours de celles-ci monte. Quand le cours a monté, l’investisseur revend les actions et récupère une plus-value.
  • La vente à découvert (VAD). L’investisseur vend ce qu’il n’a pas en portefeuille, il se met donc à découvert, non pas d’un montant en argent, mais d’un montant en titres (« Vous avez -100 actions Société Générale sur votre compte »). Il est alors en position courte (short, dans la langue de Shorty Rogers, d’où le superbe barbarisme « je vais shorter des actions »). Il récupère l’argent liquide de la vente, et attend que le cours des actions baisse. Il rachète celle-ci à un cours inférieur et comble son découvert en titres (« Vous avez -100 + 100 = 0 actions Société Générale sur votre compte »). Au passage, il a fait une plus-value, puisqu’il a vendu pour plus cher qu’il n’a racheté, mais l’ordre est inversé par rapport à un investissement classique : ici, on vend d’abord, on achète après.

Il en découle que la vente à découvert est en fait une spéculation à la baisse : on fait de la VAD parce que l’on pense que les cours vont baisser. Normalement, il y a plusieurs questions qui en découlent.

Est-ce qu’il peut y avoir causalité, c’est-à-dire que le fait de faire des VAD fait baisser les cours ?

Oui. Normalement, la VAD n’a pas été conçue pour cela : il y avait une information exogène (par exemple, on sait que tel indicateur va être publié) qui faisait penser que les cours allaient baisser, et certains pratiquaient alors des VAD. Mais le fait de vendre à découvert, c’est vendre, et s’il y a beaucoup de ventes, eh bien ça fait baisser les cours. On peut donc assister à l’inverse d’une bulle spéculative : rappelez-vous, à l’époque des dot.com (années 2000), on achetait des actions « parce que ça n’arrêtait pas de monter », et donc on achetait, et donc ça montait. Le problème de ces petits jeux, c’est qu’il faut vite repasser le Mistigri (la patate chaude) à quelqu’un d’autre, parce qu’au final, celui qui a acheté au plus haut de la bulle des dot.com, eh bien, hum, il est méchamment collé à sa position (cf. graphique joint).
De la même manière, dire « ça va mal » et faire des VAD, c’est du domaine de la prophétie auto-réalisatrice : si les cours baissent, est-ce que c’est parce que ça allait mal, ou est-ce à cause des VAD ? Quand homme blanc couper beaucoup de bois, ça veut dire hiver sera froid. Nous reviendrons sur cette histoire d’information.

Est-ce que la VAD permet de s’enrichir avec ce qu’on n’a pas ?

C’est un fantasme populaire assez courant, du genre « Je vends 1 milliard d’actions que je n’ai pas, je les rachète quand elles baissent, et j’empoche la différence ». Ne parlons même pas de l’incertitude (c’est pas sûr que ça va baisser), mais plutôt du coût. La vente à découvert nue (naked short), c’est-à-dire le fait de vendre des titres qu’on n’a absolument pas, est très peu courante, et elle n’est pas possible pour des investisseurs individuels. La plupart des institutions financières, pour accepter une VAD, demandent que vous ayiez un engagement, par exemple, que vous ayiez emprunté les titres. La VAD devient alors (1) j’emprunte des titres (qui ne sont pas à moi, donc) (2) je les vends à découvert (3) j’attends que ça baisse (4) je rachète (5) je rembourse mon emprunt. Ce n’est plus ici une vente à découvert nue, car j’ai un engagement sur ces titres. Et la conséquence la plus importante, c’est que je paie un intérêt sur cette opération. Ce n’est donc pas une opération magique ou gratuite.
Cela dit, je suis preneur d’informations quantifiées, car je constate que quantités d’informations (me) manquent : quelle est la proportion des naked shorts dans le total des VAD ? Quels sont les montants de VAD en % des échanges actuels ? Quels sont les acteurs les plus actifs ?
Je signale qu’à ce jour, on n’a pas de preuve formelle que les ventes à découvert déclenchent des baisses de cours : cela peut tout aussi bien être le fait que les VAD illustrent des problèmes qui, par ailleurs, déclenchent des baisses des cours.

Quels sont les intérêts de la vente à découvert ?

On rentre ici dans des opinions. C’est un sujet amplement débattu. Voilà mes deux sous d’impressions sur le sujet. Je trouve que les VAD sont plutôt une bonne chose, en terme de liquidité, et en terme de circulation de l’information.

  • Liquidité. Sur un marché, la fixation du prix est fonction de l’offre et de la demande. Pour avoir confiance dans le prix fixé, il faut que l’on constate de gros volumes d’offre et demande (prix d’équilibre). Or, sur certaines actions, il peut y avoir pénurie de titres, soit parce que peu de titres sont cotés, soit parce que les investisseurs ne veulent pas s’en défaire. On constate aussi, en finance comportementale, que le fait de détenir des titres peut biaiser les décisions de revente, et conduire à conserver des titres trop longtemps. Aussi, un marché qui ne serait gouverné que par ceux qui détiennent des titres serait un marché incomplet. La VAD permet à n’importe qui de faire une transaction sur des titres donnés, qu’il les aie en portefeuille ou pas. Cela élargit donc le marché, ce qui est une bonne chose pour la liquidité des échanges et la fixation des prix d’équilibre.
  • Circulation de l’information. En suivant la théorie des signaux, ce qui fait bouger les marchés boursiers, ce ne sont pas les performances économiques des sociétés, mais plutôt les informations. Si un cours boursier varie, c’est que de nouvelles informations pertinentes sont apparues ; si un cours boursier ne varie pas (c’est-à-dire, si l’offre et la demande restent au même état), cela veut dire qu’il n’y a pas de nouvelles informations pertinentes : soit que les nouvelles informations soient inutiles, soit qu’elles aient déjà été intégrées dans les cours, donc dans l’équilibre actuel. Certes, ici, j’évite de définir ce que j’entends pas « information pertinente », je ne le fais qu’en établissant le symptôme : j’appelle information pertinente une information qui fait fluctuer le cours boursier. En ce sens, la VAD est un signal, elle transmet de l’information. S’il y a des rumeurs sur un titre, et que ces rumeurs conduisent à des VAD, cela indique un certain degré de crédibilité de ces rumeurs. Attention : je n’ai pas dit « Si une rumeur déclenche des VAD, cela veut dire qu’elle est vraie ». Je dis « Si une rumeur déclenche des VAD, cela veut dire que certains investisseurs sont prêts à prendre le risque (et le coût) d’une VAD, cela nous donne donc une information sur l’état d’esprit du marché ». C’est en ce sens que je dis que les VAD aident à faire circuler l’information existante, ou aident à créer de nouveaux éléments d’information. Ce qui me met la puce à l’oreille, c’est le fait que les valeurs bancaires continuent à baisser (cf. 1er graphique) alors même que les informations sont connues depuis plusieurs jours / semaines (merci à Amine C. pour le lien). Si les VAD continuent, c’est bien que nous ne sommes plus dans un marché de faits, mais dans un marché de rumeurs.

Quid de la règlementation sur les VAD ?

Je vais répondre de manière beaucoup plus générale. Il y a à mon avis deux domaines où la loi, à l’inverse de la proverbiale cavalerie, arrive systématiquement en retard : (1) les questions de propriété intellectuelle et de copies de fichiers sur Internet (peer-to-peer…) (2) les produits financiers. Tout simplement parce que, dans ces deux cas, les opérateurs ont toujours une longueur d’avance, et une plasticité que n’ont pas les législateurs : le temps de constater un débordement, d’analyser et de légiférer, les opérateurs auront contourné la difficulté et/ou inventé un nouveau système / produit qui rend la loi obsolète.
Donc, argument moral : la VAD c’est mal, la spéculation, c’est mal, il faut interdire tout cela. Réponse pragmatique : il y a des lobbies qui essaient d’influer sur les lois ; les politiciens ont une durée de vie limitée dans leur mandat, et en parallèle des intérêts supérieurs de la nation, ont aussi des intérêts personnels ; quand bien même une loi équitable serait voté rapidement (notez le nombre d’hypothèses…), cela ne suffirait pas : il faudrait ensuite s’assurer d’un minimum de ressources allouées pour contrôler et réprimer, rapidement et efficacement. Pour illustrer ce propos, prenez l’exemple récent de l’établissement des lois Hadopi / Hadopi 2, qui ferait probablement un très bon cas d’école en théorie de l’agence et sociologie des organisations).

Revenons à la finance. On peut constater depuis très longtemps que les innovations financières ont suivi systématiquement le même cycle :

  1. Une innovation est mise en place pour répondre à un besoin : la vente à terme, les marchés d’options, la titrisation, les swaps de défaut de crédit (CDS)… ou la VAD.
  2. Des opérateurs s’emparent de cette innovation et la détournent pour d’autres besoins. Par exemple, les transactions à terme sur le pétrole ou l’or sont pratiquées aujourd’hui par quantité d’opérateurs qui ne cherchent aucunement à se couvrir sur ces actifs : ils n’auraient que faire d’une livraison de pétrole, tout ce qu’ils cherchent, c’est un profit sur un titre financier. De même pour les CDS, comme l’illustre cet article (merci Hans Moretti).

Ma conclusion : je ne pense pas que la législation soit la seule solution. Elle aura toujours un temps de retard. Et en attendant une mutation de l’espèce (toujours possible), je pense qu’il faut revenir à la théorie de l’agence, c’est-à-dire travailler sur les rémunérations et les sanctions.

  • Les rémunérations, pour aligner les intérêts personnels sur l’intérêt commun (vaste chantier, ne serait-ce que pour définir l’intérêt commun… Avec tous les lobbys qui essaieront d’expliquer leur vision de ce concept).
  • Les sanctions, ce qui veut dire des ressources allouées à des organismes indépendants pour contrôler et sanctionner efficacement.

Je sais, je rêve.

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Batana – Augustine

Augustine : n. f. Le jour de son anniversaire (ou de sa fête), recevoir un spam qui dit « Ceci est un jour spécial pour vous ». Se rendre compte qu’avant cela, on s’en foutait que personne ne nous ait souhaité un bon anniversaire (ou une bonne fête), mais après cela, trouver nul que la seule personne à y avoir pensé soit un robot de spam.
Par extension : être en caleçon quand quelqu’un sonne à la porte.

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Variations sur le Cycle de Dune et quelques représentations mentales

Dans Les hérétiques de Dune (de Frank Herbert, Presses Pocket n° 5322), le jeune Duncan Idaho (9 ans) parvient à tromper la vigilance de ses gardes, et arrive à se faufiler dans une zone interdite. Rattrapé, il apprend que les gardes vont être sévèrement punis, sur décision de la Révérende Mère Bene Gesserit qui a la responsabilité du Duncan. Or « Duncan aimait bien certains gardes, et il les incitait parfois à jouer ou à plaisanter avec lui. Et maintenant, à cause d’un caprice de sa part, ses amis allaient être punis » (id. p. 32).

On voit bien la stratégie de manipulation classique du Bene Gesserit :

  • éduquer les gardes, par la manière forte (une punition douloureuse, à plusieurs niveaux, adaptée à chaque garde)
  • éduquer Duncan, par la manière forte (la culpabilité)

Et l’on en voit les effets, qui étaient prévisibles : « Certains lui tournaient la tête (sic) et plus personne n’acceptait de plaisanter avec lui. Tous lui gardaient visiblement rancune de leur punition » (id., p. 34).

Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe dans la tête des gardes, et ce qui pourrait s’y passer.

Ce qui se passe probablement dans la tête des gardes (changement de niveau 1, dans la terminologie du livre de Watzlawick et al., thibillet – et commentaires – sur ce sujet ici) :

  • Je suis puni à cause de ce petit idiot. Qu’avait-il besoin d’aller fouiner dans des endroits qu’il savait interdits. Je ne veux plus rien avoir à faire avec cet enfant, et je vais le punir à mon tour, je ne jouerai plus, je ne plaisanterai plus, ça lui fera les pieds.

C’est une réaction classique de « c’est la faute des autres », ce qui est une manière pratique de dire qu’on n’est pas responsable. Stratégie courante, mais qui empêche d’atteindre la sérénité.

Ce qui pourrait se passer dans la tête d’un garde (changement de niveau 2, source idem) :

  • Prétendre contraindre cet enfant à ne plus être curieux, c’est aller contre sa nature. Il a fait ce qu’il souhaitait faire, naturellement. Certes, il regrette les conséquences de son acte, car il a bon coeur, mais il ne regrette pas l’acte en tant que tel. Et le contraindre à modifier son attitude (ne plus s’éclipser) risque de ne pas marcher. Il va juste en dériver de la rancoeur contre la Révérende Mère, car on ne l’a pas puni, lui, mais c’est encore pire, puisqu’on lui a dit sciemment que nous serions punis.
  • En fait, la première responsabilité m’incomble. J’étais censé le surveiller. Il a échappé à ma surveillance. C’est donc normal que je sois puni pour mon manque de vigilance. On ne punit pas l’eau qui brise le barrage, on punit le barrage (voire le concepteur du barrage).
  • La deuxième responsabilité est plus subtile. Cet enfant a développé des relations d’amitié, et je m’y suis prêté. Est-ce que cela a diminué ma vigilance ? Peut-être. Je me disais qu’il ne me ferait pas de coup fourré, puisqu’il m’aimait bien. Mais en fait, ce sont deux choses distinctes. Il avait envie de savoir, et il n’a pas mesuré les conséquences que cela aurait pour moi. Je suis puni pour mon manque de vigilance, soit, et c’est de ma responsabilité. Mais la raison de ma punition n’a rien à voir avec mon amitié.
  • En fait, je ne devrais pas en vouloir au gosse. Je devrais m’en vouloir d’abord à moi-même, puis à celle qui me punit, car elle le fait aussi pour de mauvaises raisons, qui tiennent de la manipulation.
  • Je vais donc conserver mes relations d’amitié avec ce gosse, car il m’a aussi appris une leçon, à son corps défendant : le devoir n’exclut pas l’amitié ; mais ce sont deux choses distinctes, non reliées ; désormais, que mes liens d’amitié ne m’empêchent pas d’exécuter ma mission.

Je pense que le Duncan aurait été extrêmement content et touché du maintien de cette relation d’amitié, et qu’il aurait probablement appris la leçon de manière bien meilleure. Quitte à ce que le garde mette les points sur les I : « petit, je t’aime bien, mais sache que si jamais je te choppe à essayer de filer, je te décolle la peau en lanières. Ton job est peut-être d’essayer de tester les limites du système, mais moi, je suis le système, ne l’oublie pas ». (Hum, il y a un danger à dire ce genre de chose : provoquer une émulation chez le jeunôt, qui va se dire « Ouahé, il m’a défié, je vais lui faire voir ! »)

Les gardes n’ont probablement pas été éduqués, ni recrutés, selon un filtre « doit pouvoir changer ses représentations mentales ». Mais c’est fort dommage.

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Dette en Europe et marchés financiers – interview CCTV

Comme tous mes réseaux sociaux (oui, vous, les trois geeks au fond de la classe, là…) le savent, j’ai été interviewé le 18 août sur le mini-sommet franco-allemand et les marchés financiers. Cela a donné lieu à un reportage sur CCTV (China Central Television) dont le making of traîne sur la Toile (c’est fou ce que Gougl peut indexer comme contenu…). Ayant eu des problèmes à visionner la vidéo sur le site de CCTV, j’en poste une copie ici (merci à Olivier D. pour son aide, il a été 367 plus efficace que moi).

Je ne suis pas satisfait de ce reportage, car je suis incurablement perfectionniste et pointilleux. Passons sur le choix discutable de la photo (j’ai l’air de mcher une chique) ou la séquence fantôme tout à la fin (le téléspectateur chinois attend une ultime déclaration, je prends ma respiration genre Enzo dans Le Grand Bleu, et puis… rien). Il s’agit avant tout du fond de la discussion. Je vous livre ici (de mémoire) mes réponses aux questions de la journaliste, pour info et discussions. Cela me permet insidieusement de proposer des réponses un peu plus construites que ce que j’ai dit en 10 minutes (vs. les poignées de secondes qui ont été citées) et évitera les bafouillements du live. Comme d’habitude, ces propos n’engagent que moi, mais je suis intéressé par toute réaction / discussion sur ces thèmes.

Question 1 : le mini-sommet franco-allemand a annoncé 4 résolutions (inscrire une règle d’or dans la constitution ; instituer une taxe sur les transactions financières ; développer un gouvernement économique européen ; converger vers un impôt sur les sociétés commun au deux pays). Dans quelle mesure ces nouvelles sont-elles de nature à rassurer les marchés financiers ?

Ma réponse : En substance, ces 4 mesures ne changent pas grand chose. Prenons l’exemple de la règle d’or. Les marchés financiers sont déjà au courant du surendettement de certains États, et de leur incapacité actuelle à gérer leurs déficits. Le fait d’inscrire une règle d’or dans les textes officiels ne changera rien tant qu’il n’y aura pas d’actes concrets qui suivent. C’est la même chose pour la taxe sur les transactions financières. Cela fait presque 40 ans qu’on en parle, sous le nom de Taxe Tobin. Il faut croire qu’il y a des blocages (politiques, idéologiques) qui empêchent la mise en place pratique de ces solutions. C’est pourquoi on peut comprendre la déception des marchés financiers : même si ces déclarations annoncent une intention politique, il faut que derrière ces mots – et Dieu sait si on en entend, des mots – se réalisent des réformes. La convergence fiscale est une bonne idée, qui ne mange pas (trop) de pain, et qui permet d’afficher l’union franco-allemande, mais ce n’est clairement pas ce qui va changer la donne : disons que cela fait partie du ciment européen. Quant au gouvernement économique, c’est une vaste question.

Question 2 : Justement, que peut-on dire du gouvernement économique européen ?

Ma réponse : L’Europe s’est construite, et continue à se construire, sur un paradoxe : il s’agit de mettre en commun des ressources et d’harmoniser des pratiques d’un côté, tout en gardant à l’esprit les spécificités nationales qui font la richesse culturelle de l’espace européen. Certains pays en difficulté profitent de la vache à lait européenne, tandis que d’autres pays rechignent à sacrifier leurs avantages. Mais c’est le prix à payer pour avoir un espace riche et harmonisé. Tout cela illustre la difficulté d’un gouvernement économique : il faut tomber d’accord sur les décisions qui resteront du domaine national, et celles qui appartiendront au domaine européen. Sachant que les deux domaines sont liés, par exemple pour ce qui concerne les taux d’intérêt ou les déficits publics.

Question 3 : Justement, est-ce que l’émission d’euro-obligations (eurobonds) ne serait pas une solution ?

Ma réponse : Si c’est une solution, elle n’a pas été proposée pour l’instant. Rappelons quelques faits importants. La Banque centrale européenne (BCE) a avant tout un rôle monétaire. Il s’agit de maintenir l’inflation à des niveaux raisonnables, en fixant des taux directeurs qui influencent l’offre et la demande de crédit, c’est-à-dire de monnaie. La BCE n’a pas un rôle de finances publiques, ce rôle restant dévolu à chaque État européen. La première réponse est donc que, s’il y a émission d’euro-obligations, cela représentera un changement important dans les missions attribuées à l’Union Européenne, et tous les États ne sont pas d’accord avec cette évolution. Un deuxième aspect à considérer est l’aspect du risque. L’argument actuel en faveur des euro-obligations est de dire que la Grèce doit se financer actuellement à des taux extrêmement élevés, alors que si des euro-obligations étaient émises, cela constituerait une source de financement moins coûteuse. Mais qui dit mutualisation de la source de financement dit aussi mutualisation des risques. Une euro-obligation serait-elle notée AAA, sous prétexte que la France et l’Allemagne ont cette note ? J’en doute. Le risque des euro-obligations devra refléter la moyenne du risque
 de tous les pays européens. Cela conduirait à un renchérissement du coût de financement pour la France et l’Allemagne. Même si ce renchérissement était limité, on peut imaginer les blocages et les frilosités dans ces deux pays. Cela dit, on a du mal à imaginer un gouvernement économique mutualisé sans une politique de financement commune.

Question 4 : Est-ce que cette crise remet en cause l’avenir de l’Europe ?

Ma réponse : Cela fait plus d’un demi-siècle que l’Union européenne se construit et se développe. Cela représente un énorme effort, et probablement l’une des réalisations économiques les plus importantes sur cette période. Cette crise de la dette a du bon, car elle souligne les efforts qui restent à faire, et l’urgence de sortir des mots et des stratégies nationales, mais elle ne remet pas en cause le projet européen en tant que tel. Pour ma part, j’attribue les excès de volatilité des marchés à des pratiques spéculatives (ventes à découvert), tandis que les fondamentaux des sociétés et leur rentabilité restent plutôt bons. Mais la grande incertitude concerne le taux de croissance futur de l’économie : si le grand public et les entreprises sont convaincus d’une situation de crise, la consommation va ralentir, et la croissance va s’en ressentir fortement.

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Pour tout l'or du Transvaal : faut-il acheter de l'or en temps de crise ?

(merci à Hans Moretti pour ses liens et son initiation de couverture sur cette discussion).

L’or. Matière immarscescible (je ne sais jamais où mettre les S) et catalyseur de rêves pour les matérialistes.

Aujourd’hui, les marchés boursiers dégringolent, boing boing. Et certains de se tourner vers l’or, « valeur-refuge ». Ce qui m’inspire quelques réflexions (ceux qui veulent des conseils boursiers, passez votre chemin. Je peux donner des conseils boursiers, mais en échange d’une rémunération sans risque (cassoulet, foie gras, bons d’achat Amazon) et sans aucune garantie de quelque sorte que ce soit, sinon l’assurance d’avoir du fun et d’apprendre des choses)

  • « Le seul moyen de ne faire aucune concession à l’or, c’est d’en avoir soi-même » (Salvador Dali). Si l’on se méfie des marchés, il faut acheter de l’or physique. En effet, investir dans un tracker qui réplique le cours de l’or, c’est encore se rendre dépendant des fonds d’investissement qui font ces opérations de réplication. Et cela conduit à se poser la question sur la permanence de ces fonds, leur solvabilité, leur notation, etc. Il y a une solution (merci Charles Inznévour) : acheter un tracker qui réplique le cours de l’or, mais tout en donnant une garantie de détention physique. L’institution financière (HSBC en l’occurence) publie les numéros des barres détenues, et son encours correspond bien à la valeur déclarée.
  • L’or « valeur-refuge » est en fait un actif risqué. Il y a une confusion entretenue (ou simplement colportée) par les médias. L’or est une valeur refuge, dans la mesure où les cours de l’or sont (généralement) contra-cycliques : quand tout va bien, l’or n’intéresse personne, car tout le monde préfère la croissance des actions ; en revanche, quand ça va mal sur les marchés, les investisseurs se rabattent sur l’or, seule valeur dont le cours monte quand tout va mal. Mais valeur-refuge n’est pas synonyme d’actif sans risque. Le prix de l’or est volatil, la rentabilité d’un investissement en or n’est jamais garantie-certifiée-assurée, et donc l’or ne saurait être confondu avec un actif sans risque (je suis en vacances, donc je ne vais pas faire des calculs d’écart-type de rentabilité, mais je suis preneur de tout couple espérance-variance sérieux pour illustrer mon propos). Cela veut dire que tout ceux qui investissent dans l’or pour « garantir leur capital » ne font en fait que passer d’un actif volatil (les actions) à un autre actif volatil (l’or). Certes, l’or est moins volatil, mais il l’est tout de même. Le seul intérêt de l’or, c’est cette opposition de phase : ça monte quand les autres valeurs baissent. Ce qui nous amène à notre remarque suivante.
  • « Avec une île, il y a deux jours où tu es content : le jour où tu l’achètes ; le jour où tu la vends » (proverbe breton). Parlons d’abord de l’achat. C’est comme pour tout, les actions, l’immobilier, ou l’or : l’idéal serait d’acheter à un prix bas. Mais le problème pour l’or, comme pour l’immobilier, c’est que les marchés ne nous ont pas attendu : le prix est assez élevé, voire prohibitif. Et on le sait bien : plus on achète cher, plus le rendement sera faible, et la plus-value incertaine (et dans le cas de l’or, il n’y a pas de rendement, car ni coupon ni dividende…). Donc on se retrouve face à une quadrature du cercle : il faudrait acheter de l’or avant que son prix ne monte, c’est-à-dire avant l’annonce des crises, ou en d’autres termes, avant d’en avoir besoin. En résumé, si l’on vous dit « la valeur-refuge, c’est l’or », il est déjà trop tard. Parlons maintenant de la revente. On achète de l’or pour se prémunir contre les crises, OK. Mais quand est-ce que l’on sait que la crise est terminée ? En règle générale, on le sait quand les actions ont déjà remonté, que les entreprises ont fait des déclarations toniruantes… et que l’or n’est plus une valeur intéressante. En résumé, la question cruciale n’est pas « faut-il acheter de l’or », mais « jusqu’à quand faut-il rester investi en or ? »

Il me semble que les vraies valeurs-refuges sont les actifs sans risque (et l’or n’en est pas un), même si l’on peut avoir du mal à trouver un actif vraiment sans risque. Certes, on peut aussi enterrer ses picaillons dans son jardin. Mais il faut compter sur le risque de taupes vénales, ainsi que sur le pouvoir érodant de l’inflation. A cet effet, il existe des emprunts d’État indexés sur l’inflation (OATi) dont la rémunération est le taux d’inflation + une prime, ce qui permet de « coller » à l’évolution du coût de la vie (cf. Finance, 3ème édition, 2011, p. 151).

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Batana – la Schroube

Schroube (la) : n. f. Situation dans laquelle on ne peut pas s’installer à faire quelque chose sans que, dans les 5 mn, quelqu’un arrive et demande « Qu’est-ce que tu fais ? »
Par extension : Personne qui fait exprès de vous toucher pour pouvoir s’excuser et démarrer une conversation.

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Batana – Vibrignoyer

Vibrignoyer : v. i. Faire du sport (par exemple, de la course à pied) en sentant, sous ses vêtements, chaussettes et chaussures, des piqûres de moustiques.
Par extension : être assis au thétre, lors du 2ème acte, avec une furieuse envie de pisser.

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En coulisses

Cela le frappa un jour : s’il devait mourir, les personnes qui voudraient parler de lui seraient celles qui le connaissaient le moins bien. Les discours officiels auraient leur platitude iconisante habituelle. Les différentes facettes de sa personnalité resteraient majoritairement cachées au sein d’une poignée de personnes fuyant les hommages ou le devant de la scène. Cette constatation le tranquilisa : la recherche de la postérité ne devait plus être une priorité.

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