Magnolia Express – 4ème partie – # 8

Cailloux blancs
 
Le guichetier nous regardait alternativement, Conrad et moi, l’air incrédule.

– Vous voulez prendre un train à partir d’ici ?
– Oui, a répondu Conrad, c’est ce que je fais habituellement dans une gare.
– et … vous voulez embarquer votre taxi sur le train ?
– C’est bien une gare, non ?! Et il passe bien des trains par cette gare, non ?! Et sur ces trains, on peut embarquer des taxis, non ?! a grincé Conrad.
– … ben, techniquement parlant, c’est une gare, vous avez raison …

Conrad se tourna vers moi en faisant « Aaaaah, tu vois, petit, Monsieur est compétent, on est sauvés ».

– … mais il n’y a qu’un train qui peut faire ça, je veux dire, il n’y a qu’un train qui s’arrête ici : c’est le Fantôme.
– C’est bon, a dit Conrad.
– Il passe ici juste avant l’aube, et après ça, il ne s’arrête plus pendant cinq cents miles …
– ça nous va, on vous dit, vous pouvez l’emballer.
– … mais bon, c’est un peu spécial …
 
Conrad l’a regardé d’un œil mauvais, a enfoncé sa casquette sur ses yeux. Le guichetier m’a jeté un coup d’œil éperdu, ses yeux clignotaient S.O.S. en morse, il m’appelait à l’aide, c’était manifeste.
Je souris, il me rendit mon sourire avec un rictus un peu nerveux, et je lui demandais gentiment :

– Les toilettes, c’est par où ?
– … (… !) … au fond à droite …

Il m’a lancé un dernier regard suppliant tandis que je m’éloignais. Avant de quitter la salle, je vis Conrad qui s’était penché en avant, les doigts tambourinant un petit rythme sec sur le comptoir, les yeux dans les yeux avec le guichetier qui parlait nerveusement.

Comme je n’avais rien, mais alors rien à faire du tout aux toilettes, je sortis et m’assis sur les marchés en bois usé. Pourquoi donc avoir abandonné ce guichetier clignotant à la vindicte d’un Conrad grognon ? Pourquoi n’avoir point volé à son secours, afin qu’il me remercit désormais chaque soir, en faisant sa prière au pied de son lit ? Parce que c’était pour son bien, la vie est faite de petits cailloux blancs que l’on se prend sur le nez, et je n’y peux rien.

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Le roman, dans l’ordre, est
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Magnolia Express – 4ème partie – # 7

Grande pensée (5)
 
Par moments, de façon fugace, je me dis qu’on ne peut pas vivre avec autant d’insouciance que moi, et que les esprits chagrins, les fâcheux m’auront un jour au tournant. Je les vois arriver, traînant le fardeau de leurs défaites à venir, rien ne va, ils passent à côté de la vie, de toute façon, pour eux, c’est pas une vie, je les vois arriver avec émerveillement tant ils se démènent pour se compliquer, s’assombrir, se déliter, tandis que mon œil voltige par-dessus leur épaule, à l’affût d’un rayon de soleil sur les nuages. Ils m’expliquent pesamment qu’on ne peut pas vivre comme cela, qu’il faut être responsable et sourcilleux, alors je prends l’air sourcilleux pour une minute, hochant gravement la tête tout en pensant aux truites arc-en-ciel qu’on peut pêcher à la mouche, ou bien je me demande si le miel sera bon cette année, et quand je relève la tête, les fâcheux ont disparu dans une odeur de soufre, ou bien ils sont encore là à me regarder de leurs yeux globuleux, interrogateurs, si désireux de me convaincre.
Et j’essaie d’apaiser leurs angoisses en leur promettant que désormais, je sourirai moins, et ils s’en vont (un peu) rassérénés. C’est comme cela que je conçois mon rôle : aider ceux qui sont plus démunis que moi.

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Magnolia Express – 4ème partie – # 6

Grande pensée (4)
 
Il y a fort longtemps, j’ai décidé d’être un témoin. Aujourd’hui chacun veut être acteur, c’est la course pour briller plus que les autres, mais il n’y a plus vraiment de place sur scène, et il n’y a plus de spectateurs, ça déséquilibre tout, le monde n’est plus qu’un concert discordant de voix isolées. Quand j’ai décidé d’être témoin, c’était pour leur donner quelqu’un qui les écoute (ils en avaient tellement besoin), je voulais être le dernier spectateur.
Mais c’était aussi pour que quelqu’un se souvienne. C’est comme cela que je vois ma mission : je me souviens.

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Batana – Arnaude

Arnaude : n. f. Quand tu es bien, vraiment bien, le temps s’écoule mais tu ne regardes pas ta montre, et puis arrive le Réel, inopiné, même pas crédible, et avant même de t’en rendre compte, tu te retrouve seul, avec un grand vide triste.
Autre version : le moment où l’après-midi bien entamée transforme les façades en happy hours, le moment où tu ne comptes plus les additions empilées, et où surgit le pénible, au milieu d’un concert de klaxons et de moteurs.
Encore un essai : avant l’Arnaude, tu croyais que tu pouvais prendre cet espace de liberté, et tu le méritais, et tu en profitais. Après l’Arnaude, les choix sont individuels, les grandes idées ne peuvent rien contre la tyrannie du quotidien, alors tu rentres.
Par extension : tout ce qui te bloque, et te ramène méchamment, sans volonté de te comprendre, à ta vie et à tes choix (ou l’absence d’iceux).
En bref : la batana par excellence, la méta-batana, l’hydre.

Rappel : les batanas et les ubuntus passé(e)s sont . Et la genèse, toujours utile aux nouveaux/zelles venu(ze)s est .

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Magnolia Express – 4ème partie – # 5

Grande pensée (3)
 
J’aimerais tourner un film (ou écrire une histoire ou composer des chansons) où rien ne serait un problème : il n’y aurait pas de tristesse, pas de drame, juste des doutes, parce que le doute est moteur. Il n’y aurait pas de problème qui ne soit pas résolvable pour peu qu’on y mette un peu de bonne volonté, un peu d’amour des autres, un peu d’empathie. Je ne veux pas dire que je rêve à un monde futile, ou un monde idéal. Je souhaiterais démontrer, à travers un film (ou une histoire ou des chansons), que ce monde n’est pas si irréel que ça, et que nos vies sont essentiellement jalonnées de problèmes mineurs. Ces problèmes mineurs, il faut savoir les identifier, puis les regarder en face et leur dire « Non mon gars, tu ne m’inquiètes pas vraiment, tu n’es qu’un problème mineur » et le problème s’en irait tout penaud et voilà pour lui.
Bien sûr, il y a aussi, plus rarement qu’on ne le croit, des problèmes majeurs. Ceux-là, on ne peut pas les supprimer, de toute façon ils font partie de ce processus d’amélioration continue qu’on appelle nos vies, et c’est ainsi qu’il faut les accueillir.
Le titre du film ? Boh, c’est un problème mineur… On pourrait l’appeler « Réservoirs de bonheur », ou bien « Nous sommes tous des lacs de montagne », ou encore « Ne te casse pas la tête, Vieux ».

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Caillou – Blanche


Elle monte l’escalier devant moi
J’aime bien ses fesses rondouillardes.

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Magnolia Express – 4ème partie – # 4

Grande pensée (2)
 
Pendant longtemps, je me suis cherché des symboles que je pourrais dessiner sur les murs, des héros dont je pourrais m’inspirer. J’y trouvais les justifications de mes actes passés, je découvrais (toujours après coup) que j’étais fataliste, ou hédoniste, ou stoïque, ou bouddhiste-zen-du-petit-véhicule, ou n’importe quelle étiquette pour peu qu’elle sonne bien. Aujourd’hui, j’ai trouvé mon école philosophique, mon karma à moi : je fais partie des gratteurs de tête. Et pas n’importe quelle tête, non les amis, la mienne. A chaque fois que l’on souhaite ardemment, passionnément, me convaincre, à chaque fois qu’on m’explique que ce monde est injuste ou mal fait, ou effroyable, et que c’était mieux avant, alors je baisse les yeux et je me gratte le sommet ducrâne, et je dis « ben oui, ben oui » tout en pensant ben non ben non, ou bien je me dis que je n’en sais rien, j’admire la citerne d’incertitude que je représente. Je n’essaie pas de changer le monde, non, ça n’est pas pour moi, il y a des gens qui se font élire pour changer le monde, j’essaie juste de me dire que l’âge d’or n’est pas derrière nous, c’est maintenant.

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Gold nugget

Comme un orpailleur, je passe mes e-mails au tamis. Au lieu d’aller courir, je remonte le flot des mails. Ce week-end, j’ai acheté un CD rom de dactylo, je vise à être le Jimi Hendrix du clavier.

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Magnolia Express – 4ème partie – # 3

Grande pensée (1)
 
L’homme n’a pas encore assez évolué. Aujourd’hui, dans nos villes, l’homme ne sait plus qui il est : de temps en temps, il est piéton, et maudit les voitures ; en d’autres temps, il est automobiliste, et maudit les piétons. Sans s’en rendre compte, l’homme souffre de cette double identité. En vérité, je vous le dis, il viendra un temps où tous les hommes seront des piétons, et tous les conducteurs de taxi seront bénis, et représenteront une caste à part. C’est comme cela que je vois ma mission : je contribue à améliorer le genre humain. Par le petit bout.

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Magnolia Express – 4ème partie – # 2

Ceci est une citation à des fins d’illustration musicale (détails ici). Il s’agit d’un extrait, en mono, de Tamalpais High (at about 3), par David Crosby, sur le CD If I could only remember my name, Atco, 1991 (sortie initiale 1971). Le disque est en vente ici.

Hauteurs du Tamalpais, 3h du matin
 
La montée était sinueuse, à peine éclairée par un croissant de lune, on avait l’impression de n’en pas finir et qu’après le sommet, le taxi continuerait à monter dans la nuit. Mais après un dernier virage, les phares du taxi débouchèrent sur une étendue de gravier. Conrad laissa glisser sur quelques mètres, coupa le contact, les phares, puis nous descendîmes. On devinait les arbres qui entouraient cette clairière abandonnée, la nuit était sans nuages. Levant les yeux, nous vîmes un tapis d’étoiles, comme si une multitude de tigres nous fixait dans le noir.
Lumineux et féroces.
Inaccessibles et calmes.
 
Conrad s’était dirigé vers ce qui semblait être une trouée dans les buissons, un début de sentier. Nous nous faufilmes à la queue leu leu, environnés de feuillage chuintant, de feuilles luisant sous la lune comme des lames d’acier, et tous ces petits bruits (criquets craquement lapins lupin lutins) qui forment la rumeur de la nuit, auxquels se mêlaient nos pas furtifs, débonnaires, sensibles, amoureux.
Une ouverture dans les buissons nous révéla la baie tout en bas. Les lumières tremblotaient dans l’air nocturne, on voyait un phare qui clignotait tendrement au loin. Conrad s’arrêta, je sentais les ombres des pèlerins à côté de moi.

– C’est le moment d’avoir de grandes pensées. C’est le moment de pardonner au monde, dit Conrad.

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