Il y a de cela quelques jours, j’ai atteint la limite de mon iPod classic : ma discothèque venait encore d’enfler de quelques albums, et le bon iPod qui me sert de chaîne hifi depuis des années, malgré sa très correcte capacité (80 gigas, soit 40 jours et nuits d’écoute non-stop), ne pouvait plus contenir toute ma musique.
Cela m’inspire quelques addendums à la stratégie du dressing, tant il est vrai que ce qui s’applique aux vêtements dans un dressing peut s’appliquer avec un même bonheur : aux mails ; aux fichiers informatiques – notamment aux photos et vidéos numériques ; mais aussi aux morceaux de musique (le propos de ce thibillet, mais les analogies avec les autres dressings ne sont jamais loin).
Commençons par la réflexion qui n’en est pas une, tellement elle me semble évidente :
0. La stratégie de « je vais acheter un iPod de 160 gigas » est vouée à l’échec. Agrandir son dressing ne fait que déplacer le propos dans l’avenir (il y aura toujours un moment où l’iPod sera rempli à nouveau), et cela ignore le fondement de la quête, qui est que 80 gigas de musique, c’est plus que suffisant. À la rigueur, une belle quête serait de remplacer l’iPod 80 par un iPod 40 gigas. Comme le dit un des protagonistes de 3 hommes dans un bâteau, à propos des listes de fournitures à emporter, « l’idée n’est pas de prendre tout ce que nous pouvons faire avec, mais plutôt, tout ce que nous ne pouvons pas faire sans ». Réduire de moitié la taille de l’espace serait un très bon exercice de « avec quelle musique je ne peux vraiment pas faire sans ». Plutôt que de la jouer liste noire (exclure le superflu), ce serait liste blanche (qu’est-ce que je décide d’avoir absolument).
Passons aux addendums (addenda ?) à ma réflexion sur la stratégie du dressing.
1. Le dressing est sournois. Il se remplit peu à peu. À chaque fois, pour la musique, je me dis « ah tiens, je vais acheter tel album, numériser tel autre et je l’écouterai plus tard ». C’est le grand règne du « au cas où ». Et ces quelques méga octets n’ont pas l’air de coûter cher, face à l’étendue disponible (80 gigas!)
2. Mais voilà, vient le moment où l’on déborde. Et là, je me rends compte qu’on ne peut pas traiter le flux de sortie de la même manière que le flux d’entrée. Je m’explique. Dans la discothèque (ou le dressing), les albums rentrent progressivement, un à un. C’est ce qui explique leur côté sournois : incrémentalement parlant, cela ne coûte pas beaucoup de faire rentrer un nouvel album. Et c’est là où la règle du « un qui rentre, un qui sort » devient illusoire. D’abord, parce que quand je suis dans l’état d’esprit « je vais découvrir des nouvelles choses », ce n’est pas du tout la même chose que l’état d’esprit « je vais virer des obscures musiques dont je ne veux plus ». Ensuite, parce que cette stratégie du « un pour un » connaît vite ses limites : en faisant sortir un seul album, je me retrouve à 79,98 gigas, il faudra donc recommencer demain. La bonne règle devient : « à flux d’entrée incrémental, flux de sortie par lots ». En d’autres termes, de temps en temps, faire un grand ménage de printemps. Ce qui veut dire, ne plus choisir les albums un à un (hand picking), car c’est une méthode incrémentale, donc longue et peu satisfaisante au final (« tiens, j’ai économisé 0,045 gigas »), mais procéder par lots d’albums : par nom d’artiste (tout Benabar, hop, poubelle), mais aussi par genre de musique (je pense que Celtique va souffrir, chez moi, de même), ou encore, plus marrant, par taille qu’ils prennent.
Nota : toutes ces idées s’appliquent à tous les dressings, il suffit de changer « nom d’artiste » par « marque de vêtement » ou « émetteur de l’e-mail », etc.
3. De même qu’on teste un dressing de vêtements en portant régulièrement les vêtements, en faisant tourner les tenues (et donc, en notant ceux qu’on ne porte jamais), écouter régulièrement les « au cas où » et sabrer sans pitié dans tous les albums, selon la règle du « puis-je faire sans ». Et comme « avec ou sans » est un peu binaire, il s’agit de mettre juste une petite gradation : (a) je ne peux pas faire sans ; (b) sans être vraiment indispensable, cela enjolive mon quotidien, ce serait dommage de m’en débarrasser ; (c) pour tester, pourquoi pas, il faut que je l’écoute pour décider s’il passe en (b) ou en (d) ; et enfin, (d) je ne sais pas pourquoi je garde ça.
(Notez, encore une fois, la subtile analogie avec des vêtements. (a) les basiques, (b) les pimenteurs, (c) les indécis et (d) les vêtements à donner.)
Plus les années passent, plus ma bibliothèque suit ce chemin. Et je constate avec plaisir que les (a) ont diminué pour ne plus représenter aujourd’hui qu’un noyau dur, affranchi de plus en plus des modes et des fausses idées que je m’imposais (« j’a-do-re Kérouac ! »)
On revient toujours à la même chose : la stratégie du dressing, c’est une quête d’authenticité personnelle…