Finance durable – éclosion d’un livre #1

Germination, efflorescence, éclosion…

Ce livre n’a pas été prémédité, il est plutôt venu comme une surprise. Pendant 30 ans en tant que professeur, tel un petit âne laborieux, j’ai essayé de faire passer les concepts de finance d’entreprise de la manière la plus claire et la plus pédagogique possible, en travaillant notamment sur l’humour et les analogies. C’est le fruit de ce travail qui a abouti en 2012, après 8 ans de rédaction, à la publication de Comprendre toute la finance. À sa sortie en librairie, je me suis juré que c’était mon dernier livre, et je comptais bien tenir parole – les personnes qui ont déjà écrit un livre savent ce que cela signifie en termes de travail et de temps passé. Donc les années passent, j’engrange mes droits d’auteur et mon activité d’écriture se borne à préparer les nouvelles éditions de mes ouvrages. Le point de bascule arrive il y a 2 ans.

En 2019, je décide de me reconnecter avec les étudiants et étudiantes en première année de l’école, avec lesquels j’avais de moins en moins de contacts. En effet, j’étais progressivement devenu un vieux prof expérimenté qu’on envoyait plus vers l’Executive Education – MBAs, managers ou dirigeant(e)s – que vers les cours de 1ère année. Je postule alors pour faire partie de l’équipe qui anime le séminaire d’intégration de la nouvelle promotion qui entre à l’école. Or, l’année où je postule, les collègues responsables sont en train d’opérer une refonte majeure de ce séminaire : il sera désormais focalisé avant tout sur le développement durable et la soutenabilité.

À cette époque, je ne connais pas grand-chose à ces éléments. Certes, j’avais déjà développé une conscience écologique, comme en atteste cette catégorie de mon blog, mais elle se bornait à notre vie familiale (me débarrasser de ma voiture, diminuer notre consommation de viande tout en maintenant notre consommation de produits issus de la vigne, acheter des produits de seconde main…). Or, pour les besoins de ce séminaire « business & sustainability« , je dois aller me former à la Fresque du Climat. A cette occasion, je prends une claque – comme à peu près toutes les personnes qui font une Fresque du Climat – sur l’importance des enjeux climatiques et la situation assez inquiétante des effets de serre additionnels issus de l’activité humaine, notamment les émissions de CO².

Cette prise de conscience durant l’année 2019 va être alimentée par 2 événements extérieurs :

Lady Greta – by European Parliament.
  • d’une part, la médiatisation croissante des actions de Greta Thunberg ;
  • d’autre part, les réactions de mes étudiant(e)s – pas tellement plus agé(e)s que Mademoiselle Thunberg – en septembre 2019 lors du séminaire, et leurs nombreuses interrogations sur le rôle et la mission des entreprises pour les années à venir.

Je commence alors à faire des recherches sur la finance verte, qui – dans mon ignorance de l’époque – a l’air de se borner à 2 ou 3 termes : les green bonds, l’investissement socialement responsable, le reporting ESG… Au fil de mes lectures et de mes discussions, quelques idées commencent à se préciser, et celles-ci vont devenir l’épine dorsale d’un nouveau livre.

  1. La première idée est issue d’un paradoxe : en salle de formation et en amphi de cours, j’entends une demande croissante – venant la plupart du temps des jeunes générations – pour des réflexions structurées sur la finance durable, et dans le même temps, le peu d’empressement des auteurs de manuels de finance à remettre en cause les dogmes de la finance classique (« le but d’une entreprise est de maximiser la richesse de ses actionnaires »).
  2. La deuxième idée est plutôt une observation : la majorité des outils développés en finance verte concernent les marchés financiers. L’investissement socialement responsable (ISR) dérive de la gestion de portefeuille d’actifs cotés en Bourse ; les obligations vertes (green bonds) sont une variante des emprunts émis sur les marchés obligataires ; les prix du carbone sont fixés par mises aux enchères ou en gré à gré, à l’instar de quantité d’autres actifs ; quant à la publication des informations extra financières, elle est faite dans une logique de marché, puisqu’il s’agit pour les sociétés cotées d’informer les investisseurs sur la qualité de l’entreprise en tant qu’investissement. Comparativement, je trouve assez peu de choses en finance d’entreprise : comment les modèles classiques d’évaluation des investissements sont-ils impactés par les enjeux de soutenabilité ? Est-ce que l’appréciation des risques a évolué dans les directions financières ? Comment va évoluer la politique financière des sociétés dans un monde à taux d’intérêt négatifs ? Comment concilier les demandes des actionnaires et investisseurs d’une part, et les besoins des autres parties prenantes de l’entreprise (salariés, clients, fournisseurs, collectivités locales…) ?
  3. Enfin, j’ai une troisième idée, sous forme d’une conviction : malgré l’envie de certains de tout réinventer, il faut constater que le système financier actuel est implanté dans les esprits depuis des générations et qu’à ce titre, il est probablement indéracinable. Il ne s’agit donc pas d’évangéliser uniquement les nouvelles promotions qui rentrent aujourd’hui en formation : il faut aussi tenir compte des managers et des dirigeants qui ont fait leurs études en finance il y a 10 ans, 20 ans ou 30 ans… La troisième idée est donc de partir des modèles de la finance classique, tels qu’ils continuent à être enseignés dans la majorité des cours, et de proposer à chaque fois des éclairages pour permettre d’intégrer dans ces modèles des variables environnementales, sociales ou de gouvernance (critères ESG).

En 2020, je crée une option de spécialisation en finance durable à l’ESCP business school, et en parallèle, je commence à inclure quelques notions de soutenabilité dans mes cours de finance d’entreprise. L’arrivée de la pandémie et du premier confinement retardent énormément la conception et la rédaction du livre, puisque toute l’énergie de votre serviteur, comme celle de tous ses collègues, est consacrée – en plein milieu d’un semestre – à faire basculer tous les cours à une version en ligne qui ne soit pas trop catastrophique. Nous sommes maintenant à la rentrée de septembre 2021. Les 3 premières parties du livre sont écrites, et la quatrième partie est bien avancée. Date de publication estimée : décembre 2021.


Liberté éditoriale #1

Pour ce qui est de la forme de l’ouvrage, l’idée générale tient en un mot : Liberté. Au fur et à mesure, je déclinerai quelques choix qui vont tous dans le même sens : le souhait de garder une totale liberté éditoriale, tant dans le fond que dans la forme. C’est pour cela (premier exemple) que je ne vais pas proposer de relecture – malgré les propositions fort sympathiques de plusieurs personnes qui se sont inscrites à la newsletter. Ce n’est pas une posture de monsieur-je-sais-tout, bien au contraire. Dès l’introduction, ce livre indique ce que je ne suis pas : je ne suis ni économiste, ni climatologue, ni juriste ou fiscaliste, ni expert en développement durable. Mon domaine de compétence, c’est la finance d’entreprise. C’est donc de ce point de vue que je souhaite m’exprimer, au risque – assumé – de rater des nuances, de manquer de culture ou d’avoir tort.


Coup de pied à suivre…

Si cette première présentation vous a intéressé(e), n’hésitez pas à la partager autour de vous, ou à indiquer le lien d’inscription vers la newsletter : https://bit.ly/financedurable (10 personnes de cette liste seront tirées au sort pour recevoir gratuitement un exemplaire dédicacé). Vous pouvez aussi déposer un commentaire en bas de la page.

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4 réponses à Finance durable – éclosion d’un livre #1

  1. Jerome Le Jamtel dit :

    Bravo Christophe! Du point de vue d’un établissement financier global actif en financement des entreprises et en gestion d’actifs, les tendances sont claires et en accélération forte. Les principaux régulateurs commencent à développer l’encadrement des transitions écologiques et sociales et les incitations et contraintes associées. Cela aboutira pour les acteurs les moins vertueux, à raréfier et/ou renchérir les financements (working capital, capex and strategic financing) et les solutions de couverture de risques (taux, change, matières premières, actions, etc). Les établissements développent des méthodes d’analyse et de scoring qui complémentent les analyses de risque classiques. Et plein d’autres choses… Amicalement

    • Docthib dit :

      Merci pour ces informations, Jérôme ! Mon souci est double : d’une part, il n’y a pas encore de consensus sur des normes (standards) appliquées par tou.te.s. Ensuite, quand bien même cela arrivera un jour, il faudra encore un système de contrôle / sanction… ou alors espérer une efficience des marchés (raréfier / renchérir les financements), ce qui ne me semble pas être le cas, par exemple, pour le financement des énergies fossiles. Amitiés, C

  2. GRIVOTET Antoine dit :

    Bravo Professeur Thibierge et effectivement peu d’outils et d’ouvrages en place à ce jour. Sujet essentiel pour l’avenir ! Devant l’urgence climatique nous devons tous agir mais comme vous dites parfaitement, l’économie de marché et la globalisation ne changeront pas si facilement, d’ou l’idée de ne pas chercher une révolution violente mais un changement profond sur la durée. Les questions auxquelles je réfléchis continuellement sont les suivantes:
    – comment arrêter/changer la recherche permanente de performance financière / de croissance dans les entreprises ? Ce n’est pas soutenable !
    – pourquoi les actions vertes sont en réalité une échappatoire au problème (j’achète du carbone et je continue à polluer en bonne conscience …)
    – comment faire en sorte que les investisseurs ne regardent plus uniquement les ratios de performance financière, mais commencent à prendre en compte des ratios sociaux (impact sur la société/communauté) et climatiques (sur l’environnement), ce qui permettrait je pense de répondre à la question 1 (continuer à attirer les investisseurs pour des entreprises qui chercheraient une performance raisonnable et raisonnée, tout en développant les actions sur la société et le climat).
    Au plaisir d’échanger et pourquoi pas contribuer à vos réflexions sur ce mouvement.
    De la part d’un ancien élève ! (promo 2003)

    • Docthib dit :

      Bonjour Antoine,
      nous sommes parfaitement alignés ! 🙂
      Ce n’est pas simple… Je constate malgré tout un intérêt croissant sur ces sujets, non pas dans la catégorie Greenwashing (où nous sommes amplement servis depuis des années, et ça va continuer), mais dans la catégorie : « comment mettre du sens dans tout celà ? ». Comme vous le soulignez, la composante humaine est cruciale : comment changer le système d’exploitation d’une personne pour la sortir d’une logique de maximisation de ses investissements ? La réponse – à nouveau – est : ce n’est pas simple !! 😉 Le changement sera progressif. Espérons juste qu’il ne sera pas trop tardif… :-/

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