Magnolia Express – 1ère partie – # 14

Des nuages et des chats
 
Depuis quelques jours, je sentais qu’Aline ruminait quelque chose. Elle restait de temps en temps les yeux dans le vague, ni gaie ni triste, un peu pensive, et puis soudain elle s’ébrouait et je la retrouvais, un peu comme si un petit nuage floconneux était passé dans sa tête. Ça n’est pas très facile, quand on est un peu pataud, de savoir comment réagir avec ce genre de nuages, s’il faut attendre tout simplement, ou bien quoi.
Je me souviens d’une petite dame au yeux clairs, elle avait eu un chat comme ça, elle me disait : « Vous comprenez, il était bien chez nous, et pourtant, de temps à autre, il partait dans les bois, on ne le revoyait pas pendant une semaine, il ne pouvait pas s’en empêcher. Pourtant, il avait tout chez nous, il aurait pu être heureux comme ça… « .
Puis sa voix s’était un peu brisée : « Et quand il revenait, il était si affectueux… ».
Elle restait les yeux dans le vague, avec une petite ombre de larme au bord des cils, parce qu’elle l’aimait trop pour l’enfermer, elle comprenait qu’il avait malgré tout besoin de sa liberté, et qu’il ne lui appartiendrait jamais entièrement.

– Aline ?
– … moui ?
– Tu es libre. Je ne te tiens pas.

Elle a souri, puis elle m’a ébouriffé les cheveux en riant, elle fronçait son petit nez en me regardant, en riant toujours. On peut toujours poser des questions, les mots les plus importants sont ceux qu’on ne dit pas.
Si, si.

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Roman, publié progressivement, sous un contrat Creative Commons. Et aussi sous licence Touchatougiciel.
Le roman, dans l’ordre, est .

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0 réponse à Magnolia Express – 1ère partie – # 14

  1. Atchoum dit :

    Ouh, ce que j’aime ces Magnolias ! On s’approprie ces personnages à vitesse V. On les aime. Un peu comme des personnages de Vargas. Le rythme de publication s’accélère, tant mieux, tant mieux !

    Dis, ils ont tous les yeux dans le vague, tes personnages ! Déjà Conrad, dans le #13, et maintenant Aline… c’est un tic de langage du libraire ou bien un trait récurrent ?

    J’ai lu et relu attentivement en cherchant à voir comment s’expriment les deux narrateurs. La difficulté, quand on adopte des points de vue différents, c’est de changer de mode de pensée, et de changer de style, parce que ce n’est pas la même personne qui parle. Un type très fort dans ce domaine c’est George R. Martin, auteur de "A Song of Ice and Fire", en français "Le Trône de Fer". Je vous le conseille ("vous" collectif), c’est de la fantasy, mais qui plaît même à ceux qui n’aiment pas la fantasy. Ne pas se laisser décourager par le début, peu digeste. Après ça se dévore. Mais je m’égare, revenons à nos personnages.

    Il y a des différences. C’est fort. Certaines sont d’ordre "technique" : déjà, les deux ne parlent pas de la même chose. Aline s’exprime au passé, elle raconte la rencontre. Le libraire, lui, parle au présent. Il raconte le quotidien, les habitudes, on sent que ces habitudes sont déjà bien ancrées en lui. A cet égard, l’épisode 14 marque un tournant car pour la première fois il s’exprime au passé.

    Encore plus fort : il y a des différences de point de vue, au sens premier, car ces deux-là ne regardent pas les mêmes choses. Ils ne pensent pas pareil. C’est bon.

    Pourtant, il y a aussi des points communs : dans la manière de transcrire les pensées, les apartés, les dialogues. En même temps, si ces deux-là se sont rencontrés et aimés, ce n’est peut-être pas par hasard…

    J’aime aussi les références. Elles créent une impression de connivence avec le lecteur qui les découvre (ou croit les découvrir), et les autres lecteurs continuent leur bonhomme de chemin sans s’arrêter, tranquillement. Rilke, par exemple (cf. la Stratégie du Champignon). Et le passage sur le chat m’a fait penser à Giono, Pagnol… ou bien c’est moi qui ai rêvé.

    Là où je suis un poil plus réservé (il faut bien une petite critique de temps en temps, pour que l’auteur garde les pieds sur terre, au lieu de s’ennuager au milieu de ses fleurs, ses poèmes et ses chats), c’est sur la chronologie. Tu me diras peut-être que tout s’explique, que tout est calculé au millimètre, pour l’instant je suis sceptique.

    Aline dit : "Je m’appelle Aline, et il y a un mois…"
    Donc on va dire que le présent, pour Aline, c’est un mois après sa rencontre avec le libraire. Après cette rencontre, il s’est passé quelques jours : "Je suis retrounée au magasin quelques jours après…" et ensuite… l’ensuite, on ne peut que l’imaginer, pour l’instant. Bref : entre le présent d’Aline et sa première nuit chez lui, il s’est passé maximum 3 semaines et demie.

    Notre libraire, lui, parle comme si Aline et lui vivaient ensemble depuis longtemps. Alors, est-ce que toutes ces petites habitudes si bien installées ont le temps de se mettre en place au bout de 3 semaines et demie ? Pas sûr. Dans ce cas, cela veut dire que le présent d’Aline et son présent à lui sont différents. C’est possible.

    Là où je tique, c’est quand il dit, à propos de la première fois où Aline a vu Bob : "…je ne la connaissais que depuis la veille…" Or, on sait que c’est faux, puisqu’entre la première et la deuxième rencontre, il s’est déjà passé quelques jours !
    Tu vas peut-être t’en tirer en me disant que dans l’esprit du libraire, il faut prendre le verbe "connaître" au sens biblique. Mouais. Un peu tiré par les cheveux, non ?

    Ok, ok, ok, je chipote. C’est mon côté auditeur. Mais auditeur souriant, toujours.

    "Merci !" et "Encore !"

    Atchoum

  2. Lili dit :

    Doc, help, mes commentaires sont censurés par votre anti-spam, ou bien suis-je bannie?

  3. Lili dit :

    @Atchoum, avez vous déja essayé d’entrer dans l’ambiance du récit, en laissant aux vestiaire votre esprit cartésien?
    même si j’ai aussi cette impression de "pas lié" , une sucession d’instannés…
    il y a dans chacun un rythme , une musique ( qui me fait penser à la musique rouillée des souvenirs) ..mais après tout dans chaque histoire, y compris , la grande histoire de l’humanité , vivons nous tous le même temps ?hein, je vous le demande…

  4. Docthib dit :

    Nan, z’êtes pas bannie (je ne sais même pas comment on bannit quelqu’un(e), alors…) J’investigue et je vous dis.

    OK, ça y est. Je crois que La grande Loulou en avait aussi été victime : IRS est considéré comme un mot spam, du coup, « souvenirs » ou « déplaisirs » aussi.
    Oui, je sais, c’est très con.
    IRS est supprimé, donc à nous les déplaisirs 🙂

  5. Docthib dit :

    @ Atchoum et Lili : on sent le gars qu’a bossé (cabossé ?), c’est sûr ! Quelle analyse de texte, quelle finesse ! (sérieux…) Bon, ça me fait un peu penser au conférencier qui avait convié Paul Valéry à sa conférence : il allait lire « le cimetière marin », puis en faire un commentaire (« voici ce que l’auteur voulait dire, voilà ce qui est inapproprié »), devant l’auteur lui-même. J’admire ce conférencier. Mais la réponse de Paul Valéry vaut son pesant de cacahuettes : Monsieur, je sors de votre conférence en même temps grandi et diminué. Grandi, car vous m’avez attribué des idées brillantes que je n’avais pas eues, et diminué, car vous n’avez pas vu certaines des choses que j’avais mises dans ce poème.
    Loin de moi l’idée de me comparer à Paul Valery (dont j’ai déjà parlé), mais il est hors de question que je vous donne des clés. Préparé au millimètre ou vécu au jour le jour, rationalisé ou subi, Rilke ou Pagnol, vous n’aurez rien que vous n’ayiez apporté. Tout au plus (et encore) m’autoriserai-je à détromper les commentaires les plus catégoriques (« il est évident que l’auteur fait référence aux théories de Jung sur la giration de droite, l’opérationnelle »).
    Merci à tous deux pour vos lectures attentives. Elèves en progrès, continuez comme ça.

  6. lili dit :

    enfin heureusement que vous n’avez pas poussé le caprice divin jusqu’a nous faire commenter sans cette association de lettres "irs" (comment ça s’apelle ce procédé ? )…bon , mais attention vous présentez les symptomes de la maladie professionnelle du prof qui ne peut s’empêcher de mettre une appréciation 🙂

    Aprés tout , un livre est un chemin que chacun est libre d’emprunter à sa guise. A nous de le suivre ou de prendre un chemin de traverse.

  7. Docthib dit :

    100% raison, Lili. Du coup, je ne vous dirai pas que le fait de faire un texte sans une certaine lettre (ou certaines lettres) est un lipogramme, j’aurais l’air trop professoral.

  8. camille dit :

    et vous faites bien (de ne pas le dire), puisque c’est hors sujet : un texte sans i, ni r, ni s, serait un lipogramme, certes, mais un texte sans l’association de lettres "irs" n’en est pas tout à fait un…
    [et là j’ai l’air de l’élève chiante du premier rang qui lève le doigt pour dire "M’sieur vous vous êtes trompé !"] 🙂
    [d’ailleurs, ça s’appelle comment, un texte sans une certaine association de lettres, hein, Monsieur le professeur ?]

  9. Docthib dit :

    (…m’énerve…)
    Je ne trouve pas, et m’en trouve fort dépité.
    Je propose logogramme. Z’avez mieux, ô studieuse ?

  10. camille dit :

    pas convaincue par votre logogramme…
    lipo- est à garder je pense, il faudrait juste tripler la lettre, donc :
    lipotrigramme. Et je propose dans la foulée le lipodigramme, le lipotétragramme…
    et le lipopolygramme pour généraliser (il me plait ce dernier !).
    Et je retourne me faire toute petite sous ma table du premier rang… 🙂

  11. Docthib dit :

    Vous êtes excellente ! Je suis une truffe vermiculée :je n’ai même pas vu que je supprimais lipo-, alors que je voulais le garder. L’idée était lipo- (enlever) gramme (une lettre) et ce que je voulais suggérer (mais mon clavier, ou plutôt mon cerveau diabolique, a fourché) c’était lipologue (enlever – une partie d’ – un mot). Mais lipopolygramme est parfait, l’hippo poli gramme (un hippo complexé par son poids, ce qui fait qu’il devient fort courtois).
    ça me requinque, tiens…

  12. Atchoum dit :

    "…Déférence gardée envers Paul Valéry
    Moi l’humble troubadour sur lui je renchéris
    Le bon maître me le pardonne !
    Et qu’au moins si ses vers valent mieux que les miens
    Mon cimetière soit plus marin que le sien
    Et n’en déplaise aux autochtones…"

    Georges Brassens, "Supplique pour être enterré à la plage de Sète"

    Je me suis toujours demandé si c’était un véritable hommage ou une petite pique déguisée, comme pour Claudel dans une autre chanson.
    Est-ce de la vraie admiration ou la fausse modestie d’un qui connaît la valeur de son propre génie ?
    Tant que Brassens sera mort, je n’aurai jamais la réponse et c’est sans doute mieux ainsi.

    @Doc : pas besoin de clés. Mes commentaires concernent surtout la forme, pas le sens ! Tu as bien raison pour les références : on les apporte avec soi.

    @Lili : détrompez-vous, je suis un lecteur enthousiaste et je me laisse porter plus souvent qu’à mon tour ! En temps normal, je ne décortique pas les textes, pas du tout, et là j’en avais envie. Sais pas pourquoi. Enfin si, j’ai une idée, mais… Vivons-nous le même temps ? Sans doute pas. Vous avez raison. Continuons le voyage.

  13. Docthib dit :

    Personnellement, je ne vois pas trop Brassens se comparer (en mieux) à Paul Valery. Je pense qu’il pensait ce qu’il disait, en susbstance : mes vers sont moins bons, mais mon cimetière est plus marin (et mon pilum est plus solide que votre sternum).

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