Coop-actionnaires

Dans Direct Matin du 8 mars (je lis la presse économique de pointe), il est mentionné un article tiré de Courrier International (je me tiens au courant des faits du monde), lui-même ayant pioché dans un article de The Independent (j’aime citer mes sources). [et le fait que 3 journaux différents aient publié le même article mériterait à lui seul un thibillet]

L’actualité est la suivante : la majorité des pubs au Royaume-Uni ont été rachetés par des grandes chaînes ; et ceux qui n’ont pas été rachetés souffrent de leur dépendance vis-à-vis de leur fournisseur qui impose ses prix. Pour éviter la disparition des pubs typiques, des associations locales se créent, et rachètent « leur » pub. Exemple cité dans l’article : le Star Inn, 65 « actionnaires », 88 000 euros déboursés. Pour un investissement moyen inférieur à 1 400 euros, ces locaux sauvent leur pub et maintiennent son indépendance et son cachet. Le tout sans véritable volonté de profit : il est mentionné que « si l’affaire est rentable, des dividendes seront payés en espèces ou en bière », mais l’on comprend bien que l’enjeu n’est pas financier.

Cette anecdote m’inspire 3 idées.

  • Le profit. On voit émerger de nouvelles structures d’organisations où le profit devient accessoire. Il y a un objet social (et c’est un jeu de mot, puisque c’est ainsi qu’on désigne « ce pourquoi une entreprise a été créée »). Le profit n’est plus monétaire, mais social. Et il intéressant de voir que ces 65 « actionnaires » ont investi dans ce pub, en négligeant d’autres placements financiers qui leur auraient rapporté plus… financièrement. Qu’obtiennent-ils en échange ? Est-ce mesurable ? Ces questions ne sont pas anecdotiques. Dans un modèle d’actionnariat classique, l’objectif recherché est la maximisation du profit. Cela a conditionné (formaté) les outils de gestion, et les modes de décision dans les entreprises. Cela signifie que pour d’autres modèles d’organisation, tout un système sera à repenser, adapter, inventer.
  • La dilution. Dans un modèle classique, avoir un actionnariat très dilué empêche toute prise de décision. Cela conduit à des lenteurs, et puis des coûts : les actionnaires mandatent un gestionnaire qui gèrera en leur nom et leur rendra compte périodiquement. Mais ce gestionnaire, il faut le rémunérer, et le surveiller. Ici, il y a un glissement qui s’opère : en l’absence de profits individuels (chaque actionnaire cherche à obtenir plus de richesse individuelle), le mécanisme de gouvernance doit changer. Cela ne signifie pas qu’il n’y a rien à surveiller : de nombreuses années dans le milieu associatif m’ont montré qu’il peut y avoir des enjeux de pouvoir, ou des dysfonctionnements, alors même qu’il n’y a aucun enjeu de rémunération. Ici, en quelque sorte, la dilution de l’actionnariat est plutôt une bonne chose : les actionnaires consommateurs récupèrent si peu individuellement, et sont tellement conscients du fait que c’est l’unité de leur groupe qui assure leur cohésion, qu’ils peuvent représenter une organisation auto-gouvernante.
  • Le rejet du modèle classique. On constate de plus en plus qu’il y a une réaction des individus face à ce qui est perçu comme un modèle dominant (le capitalisme libéral), mais étouffant. Il y a un malaise devant la taille : les grandes entreprises, les grandes chaînes, se sont constituées ainsi pour des raisons d’économies d’échelles, et de synergies. Cela donne l’impression d’un effet bulldozer, qui écrase tout sous sa masse. Mais si l’on retire la maximisation du profit de l’équation, ou plutôt, si l’on admet d’autres versions du profit que les versions uniquement financières, il n’y a plus forcément de raison d’être Gros. Les petites unités, régulièrement méprisées ou rachetées, redeviennent à la mode. Small is beautiful (again).

Cela posé, revenons un moment au monde réel :
Ce mouvement n’est pas récent. Les micro-brasseries existent depuis longtemps, les années 70 ont eu leur lot d’utopies autarciques, il serait intéressant de se procurer un panorama de ces micro-entreprises et/ou coopératives, et des facteurs de leurs succès ou échecs.
Ce mouvement est minoritaire. Et en fait, il y a probablement sur-représentation de ces tendances dans les médias, parce que ça fait rêver sans réellement perturber le modèle actuel.

Cela dit, je retrouve dans cet investissement social beaucoup d’analogies avec les communautés de développeurs informatiques, les phénomènes de start-ups ou le micro-crédit : l’idée de la longue traîne, c’est-à-dire qu’il existe des niches qui sont trop petites pour intéresser des grands groupes. Il suffit de quelques personnes désintéressées financièrement pour rendre un service à la Société… et se faire plaisir au passage.

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