Hier, j’ai eu des soucis sur mon vol retour avec Air France. Nous étions 200 passagers débarqués sans information, et le vol a été annulé quelques heures après (lien vers la page Facebook où j’ai posté ma lettre). Je développe ici cette histoire (qui est toujours en cours à l’heure où j’écris), car elle me permet de faire quelques expériences et observations sociologiques – sans grande prétention, c’est plutôt pour nourrir ma propre réflexion – et vos commentaires sont les bienvenus, comme toujours. L’ensemble des réflexions étant long, j’en livre juste la première partie (introduction) ici, en attente de la suite…
1. La philosophie de l’action
Hier, quand nous avons été débarqués du vol, il y a eu les réactions typiques, j’en cite ici quelques unes :
- ceux qui vont au comptoir d’information pour obtenir de l’information
- ceux qui vont au comptoir d’information pour gueuler, soit pour établir un rapport de force (dans la croyance que « si j’attaque le premier, alors j’aurai droit à des compensations »), soit pour évacuer sa frustration (« je vais me payer un responsable, et je m’en fous s’il n’est pas responsable »)
- ceux qui commentent à haute voix, en petit groupe, de manière désabusée, sur la faillite du modèle français
- ceux qui appellent un proche pour lui raconter
- ceux qui attendent
- ceux qui bougent
Dans ce genre de situation, j’ai constaté que le fatalisme désabusé (asseyons-nous et attendons) a tendance à me déprimer encore plus, car j’ai le sentiment de ne plus rien maîtriser. Aussi, ma philosophie dans ces cas-là, c’est de bouger avant tout : me déplacer, aller écouter, revenir, discuter, passer aux toilettes pour remplir une bouteille d’eau, revenir, écouter, échanger. En fait, peu importe que certains mouvements ne soient pas « efficaces », il s’agit plus de me maintenir en action – aussi futile soit cette action. En revanche, c’est tout de même une philosophie de l’action, c’est-à-dire que chaque geste a un objectif visant à résoudre le problème ou une partie du problème. Aussi, par opposition, je ne me vois pas appeler un(e) proche pour lui raconter mes malheurs et qu’on ergote ensemble sur la splendeur passée du service à la française. En revanche, remplir une bouteille d’eau, c’est contribuer à s’hydrater, et si ça ne résout pas totalement le problème, c’est tout de même une gestion active de la situation. En d’autres termes, bouger m’aide à maintenir ma motivation.
2. Les initiatives personnelles et la coordination collective
Un des passagers m’a inspiré par son action. Comme beaucoup d’entre nous, il a appelé les services d’Air France, et comme beaucoup d’entre nous, il patientait sur un message sirupeux qui se terminait 9 fois sur 10 par « Tous nos conseillers sont actuellement en ligne, merci de rappeler ultérieurement ». (Rappel : 35° dans l’aérogare, plusieurs vols annulés, soit un millier de personnes dont beaucoup d’enfants en bas-âge). Mais ce monsieur a persisté, il s’est entêté à rappeler, et au bout de de quelques euros (car il faut rappeler que ces appels sont facturés par Air France, y compris le temps d’attente qui représente 90 % du temps de conversation total), il a eu un conseiller en ligne, et lui a exposé la situation. Certes, à l’autre bout de la ligne, le conseiller s’est contenté de dire qu’il allait transmettre à ses chefs (et la suite a montré la priorité toute relative que ses chefs accordaient à un millier de personnes en rade), mais au moins, il avait agi.
Et il avait apporté un argument intéressant dans sa conversation : 200 passagers, ce sont 200 appels téléphoniques individuels ; mais s’il y a un problème dû à la déshydratation (il y avait des personnes âgées, des enfants voyageant non accompagnés, des bébés), cela se transforme en plainte collective.
Du coup j’ai eu une idée : je suis allé voir les gens de mon vol, et je leur ai proposé de m’envoyer leurs cartes d’embarquement pour faire du nombre. Une sorte de Class Action (recours collectif), en d’autres termes.
Et c’est là que l’expérience sociologique commence.
(suite dans un prochain thibillet…)