
La sortie de la saison 8 de Game of Thrones est l’occasion de jouer à un jeu répandu parmi les adeptes des typologies de personnalités, c’est-à-dire reconnaître dans les personnages marquants de la série un type de personnalité marqué, en utilisant par exemple le modèle du MBTI ou celui de l’Ennéagramme, la Process Com’, le DISC… Évidemment, cette démarche de typage fonctionne aussi très bien avec les romans Le Trône de Fer d’où sont issues les premières saisons de la série.
Je me suis donc prêté au jeu, à travers le prisme de l’Ennéagramme, modèle complexe et très riche des motivations humaines. Attention, spoiler alert : si vous ne connaissez pas les premières saisons de Game of Thrones ET que vous souhaitez vous y mettre un jour, ne lisez pas la suite. Ce n’est pas tant que je vais dévoiler des éléments majeurs de l’intrigue, mais je connais le plaisir qu’il y a à aborder un livre / un film / une série sans rien savoir de ce qu’on va y trouver, donc vous êtes prévenu(e)s.
Et en fait, ceci n’est pas un typage des personnages, plutôt une réflexion sur « pourquoi certaines certitudes sur un personnage peuvent en fait prêter à discussion ».

(Macho menos ?)
Commençons par un exemple de personnage de la saison 1. Khal Drogo, du fier peuple des Dothrakis. Je ne sais pas pour vous, mais en Ennéagramme, ça me rappelle furieusement une base 8 : il évite à tout prix la faiblesse, se positionne en tant que protecteur et défenseur, il utilise son énergie instinctive à tout moment, on pourrait presque dire qu’il pense et qu’il parle par ses actes. Oh le beau 8, pourrait-on se dire, et on aurait probablement raison, mais… Mais Khal Drogo est un Dothraki, élevé dans une culture extrêmement codifiée pour donner des guerriers forts, évitant la faiblesse, et habitués à porter leur marque sur le monde. Ce processus tribal ressemble à une sélection darwinienne : les moins adaptés à cet environnement sont éliminés à coups de duels officiels ou de rixes officieuses. Il ne se passe pas une journée sans que deux hommes aient le sentiment que l’autre a bafoué leur honneur, et la journée n’est pas terminée qu’un des deux est passé de vie à trépas. Donc Khal Drogo n’est peut-être pas un 8, au sens de l’Ennéagramme, il est juste un personnage qui a réussi à survivre dans une société dont les valeurs dominantes ressemblent à celles d’un type 8. On pourrait ainsi comparer le Khal Drogo en public, en tant que chef de tribu, et le Khal Drogo intime, qui est, sinon amadoué, du moins attendri (comme on attendrit une viande coriace) par son amour, sa Khaleesi. N’est-ce pas dans ce deuxième environnement qu’il montre ses vrais traits de caractère ?

Continuons avec les Stark. Le chef de clan, l’homme sans tache, c’est Ned Stark. Hautes valeurs morales, volonté de toujours faire bien, avec une quête à peine compulsive de perfectionnisme, il est droit, mais tourmenté, avec une colère qui explose parfois – et qu’il se reproche. Les fans d’Ennéagramme entendent probablement un type 1 derrière ces éléments. Et il se peut en effet que Ned Stark soit un 1, et en même temps… Il est chef de famille, responsable non seulement de ses proches, mais littéralement, de tous les sujets du Nord. En tant que Gardien du Nord, il est obligé d’être le bourreau de tout contrevenant, c’est une tradition, mais c’est aussi un poids énorme : c’est lui qui brandit l’épée, après avoir pris la décision de mise à mort. Ajoutons à cela que nous sommes dans le Nord : une erreur, un oubli, un peu trop d’insouciance, et les loups vous dévorent, ou vous périssez gelé, ou égorgé par les maraudeurs ou un sauvageon loin de ses bases. Mon propos est le suivant : et si, comme Khal Drogo, Ned Stark était le produit de son environnement ? Et si, comme Khal Drogo, son véritable caractère disparaissait sous le poids écrasant d’un titre, d’un poste, d’un rôle ? Pour nourrir cette hypothèse, il n’y a qu’à voir les discussions privées que Ned a avec son roi : appelé à devenir la Main du Roi, il va accepter (parce que bien obligé), tout en avouant qu’il aurait préféré rester seul dans son Nord chéri, loin de toute obligation. Mais il y va, contraint et loyal.

Dernier exemple, pour ne pas en faire un thibillet trop long : les Lannister. Quelle belle bande de méchants, ceux-là, entre le père Tywin qui joue la statue du Commandeur, Cersei et Jaime qui sont complexes, sans états d’âme apparents vis-à-vis des extérieurs à leur famille, et puis le petit sympa, le Gnome / Lutin jouisseur et qui manie beaucoup la raison et l’intelligence (oui, ça sent bien la base 7). Mais plutôt que d’essayer de typer chaque personnage individuellement, regardons la maison Lannister dans son ensemble, notamment à travers les discours du père au gant de fer. Lors de plusieurs discussions musclées avec l’un ou l’autre de ses enfants, Tywin Lannister donne sa vision du monde : lui n’est rien ; ses enfants ne sont rien ; personne ne doit se lamenter, ou réclamer d’être aimé, ou compris, ou pardonné ; la seule chose qui compte, c’est la maison Lannister, et le nom de la famille ; tout effort doit être entrepris pour que cette maison, et ce nom, perdurent pendant des générations et des générations. C’est pour cela que Tywin n’a pas tué Tyrion à la naissance : c’était un Lannister, et un Lannister ne tue pas un autre Lannister, aussi difforme soit-il. C’est probablement aussi ce qui conduit certains membres de la famille à créer une descendance qui soit du pur Lannister… 😉 La perpétuation du nom, la dynastie, la famille. Tous ceux qui sont de ce nom ou de cette famille doivent être protégés, quelles que soient leurs fautes ; et le reste du monde peut mourir, car il n’est rien, s’il n’est pas Lannister. Une fois que cela est posé, et bien posé, par le père tyran (lui-même l’ayant probablement hérité à coups de trique de la part de ses parents), quelle est la latitude d’un des enfants pour exprimer son vrai caractère ? Prenons Cersei : mazette, quel personnage complexe dans ses passions et ses frustrations, protectrice comme une louve pour ses enfants, méprisante de son mari, rabaissée par son père, « coriace comme un steak à 10 cents », comme dirait Frank Underwood dans House of Cards. Qui est la vraie Cersei derrière ces actes ?
J’arrête là cette réflexion, qui pourrait être généralisée à d’autres familles (les Martell de Dorne, les Tyrell de Hautjardin) ou groupements (je pense par exemple aux sauvageons et à leur culture survivaliste, assez proche de celle des Dothrakis), et dont je n’ai livré que quelques exemples ci-dessus. On pourrait poursuivre l’investigation de la question (« est-ce que l’environnement conduit à masquer l’expression de certaines personnalités ») en prenant des exemples de personnages dont on connaît moins, voire pas du tout, le milieu familial.

Les frères Clegane (le Limier / The Hound vs. La Montagne / The Mountain that rides), par exemple : pratiquant apparemment la même violence brutale, ils diffèrent sur beaucoup de points… et se détestent. Le Limier est plus réfléchi, plus loyal, plus humain (par exemple dans sa protection de Sansa) tandis que la Montagne est visiblement une brute qui tranche tout par la force.

Enfin, j’aime bien Samwell Tarly. Éjecté de son environnement familial, condamné par son père à une vie qui ne lui convient pas, il est un beau type 9, qui arrive à exprimer ce que je prends pour son propre caractère, malgré tout un environnement qui aurait pu le condamner à la dissimulation. Ce n’est pas un personnage majeur peut-être, mais c’est probablement l’un des plus avancés sur le chemin de la connaissance de lui-même.
(discussion à suivre… Tout commentaire est le bienvenu !)