Nouvel exemple de synchronicité :
- hier, en cours de finance, un étudiant Exec MBA m’indique que sa société pratique la location (plutôt que d’investir), ce qui « améliore fictivement » sa rentabilité (je reprends sa pensée, sinon ses mots exacts), et nous avons alors une discussion sur la rentabilité des capitaux engagés
- dans l’après-midi, Yann R me fait passer un article américain qui fait référence à un autre article, titré de manière appropriée « comment la recherche des profits (je rajoute : à court terme) tue l’innovation aux USA »
Le propos est le suivant : supposons une société qui a des immeubles, des usines, des machines, des stocks, du cash, bref, des actifs, pour un total de 100 (non, merci à Matthieu, c’est un total de 50). Ces actifs ont permis de générer des ventes (50) qui, après déduction des coûts d’exploitation (-40) donnent un Résultat d’exploitation (ou un EBIT en normes internationales) de 10. Rentabilité de l’actif = 10 / 50 = 20%.
Et voilà qu’un consultant dit : « si vous revendez votre usine, et que vous la louez, vous allez faire baisser grandement vos actifs (disparition d’un actif « lourd »), et faiblement votre résultat d’exploitation (paiement d’un loyer).
- Imaginons que l’usine pèse 10 : les actifs deviennent 50 – 10 = 40. (On suppose que le fruit de la vente, soit 10, ne reste pas à dormir en cash, et qu’il est utilisé pour rembourser des dettes, donc les actifs – et les passifs – baissent bien de 10).
- Imaginons que le loyer soit de 1 : le résultat d’exploitation devient 10 – 1 = 9.
- la nouvelle rentabilité de l’actif devient 9 / 40 = 22,5%. C’est mieux que les 20% précédents.
Voici maintenant quelques remarques subséquentes, issues autant
- de ces articles américains (auxquels j’adhère tellement qu’il faudrait me décoller à la spatule)
- que d’une longue pratique des discours de consultants sur l’externalisation,
- le tout mâtiné d’une petite dose de finance comportementale et de théorie de l’agence :
« Il y a les mensonges, il y a les foutus mensonges, et puis il y a les statistiques » (Benjamin Disraeli)
- Si l’on se focalise sur le ratio, la performance s’améliore (20% => 22,5%). Si l’on regarde le résultat dégagé, la performance se dégrade (10 => 9). Or, ce que les banquiers / actionnaires / salariés regardent, ce ne sont pas tant les ratios que la somme d’argent dégagée (nécessaire pour investir, rembourser les dettes, et accessoirement, augmenter les salariés).
- Le calcul des ratios fait fureur dans la communication financière des sociétés. Cela permet souvent (argument positif) de raisonner en « ordres de grandeur ». Mais cela permet parfois de noyer le poisson. Dire qu’on a un ratio d’endettement (gearing) de 0,3 c’est tout de même plus rassurant que d’avouer qu’on a 3 milliards de dettes (certes, pour 10 milliards de capitaux propres. Mais, rappelons-le, les capitaux propres ne sont pas – et ne seront jamais – du cash disponible).
- Cela conduit à des comportements d’investisseurs qu’on appelle fixation fonctionnelle : les actionnaires font une fixette sur un indicateur (BPA, PER, ROE, OQP…) en oubliant de regarder les fondamentaux : la société dégage-t-elle du pognon ou pas.
« On ne fera rien jusqu’après les élections » (article III des quelques lois générales découvertes en écoutant parler les industriels, par Auguste Detoeuf in Propos de O. L. Barenton, confiseur)
- Il y a le temps du dirigeant, et le temps de la société. Le dirigeant est un actif à court terme qui cherche à se revendre sur le marché de l’emploi avec plus-value. La société est un actif à long terme qui met du temps à créer de la richesse. Aussi, si le dirigeant pousse son intérêt personnel avant celui de la société, il va prendre des décisions qui augmentent la valeur à court-terme, sans prendre en compte les conséquences à plus long terme. Take the money and run, comme dit Woody Allen.
- Or, un ratio est beaucoup plus malléable qu’un résultat : dans le ratio A/B, on peut travailler en même temps sur le numérateur (A) et sur le dénominateur (B). Les variations deviennent relatives, et non plus absolues. Le ratio permet de se focaliser sur les résultats à court terme. Exemple : si je n’investis pas, pendant un certain temps, je vais garder le même résultat alors que mes actifs vieillissent, donc ceux-ci seront de plus en plus amortis : le dénominateur B se réduit. Et quand le résultat A se mettra enfin à baisser (parce que, rappelons-le, on n’a pas investi), le dirigeant aurra changé de société… ou il aura changé de ratio pour sa communication.
- Les économies réalisées à court terme masquent souvent les coûts (conséquences) à plus long terme. J’en vois deux.
- Premièrement, externaliser conduit souvent à payer plus cher (à terme), car il faut bien que le sous-traitant vive, donc il prend une marge. Ce qui veut dire que plus on externalise ses activités, plus on paie des marges aux autres. Et que reste–t-il alors à la société ? Sur quelle création de valeur peut-elle s’appuyer pour justifier ses propres marges ?
- Deuxièmement, externaliser signifie perdre le contrôle des actifs. Et cette perte de contrôle a un coût qui n’apparaît généralement pas immédiatement, mais uniquement quand il est trop tard, ou trop coûteux, de faire machine arrière.
« Croissez et prospérez » (Dieu, dans La Bible, Genèse, 1:28).
- Le mythe des économies à court terme masque une réalité : chaque société devrait consacrer une partie de ses ressources à entretenir et développer sa capacité de production (au sens large). Certaines sociétés n’entretiennent pas assez la partie matérielle de leur capacité de production (machines, usines) ; mais beaucoup se préoccupent encore moins du développement de la partie immatérielle de leur capacité de production (formation, recherche, motivation des salariés), qui prend pourtant une importance croissante dans les économies actuelles ; enfin, que dire de la maintenance et du développement des ressources naturelles et humaines ? Elles sont rares, les sociétés qui consacrent 1% de leur chiffre d’affaires aux actions environnementales et sociales…
- On atteint un mythe de la valeur. La logique du court-terme veut que l’on augmente les profits, en croyant que c’est bon pour la valorisation des sociétés. Mais l’investisseur n’est pas (totalement) idiot : pour accepter de valoriser une société sur la foi de cash-flows actualisés à l’infini (c’est la pratique courante), encore faut-il que cette société puisse aller jusqu’à l’infini. Ce n’est pas en rognant sur ses dépenses actuelles que l’on va assurer la pérennité de la société. Le dilemme devient alors : soit vous maximisez vos cash-flows actuels en investissant moins que nécessaire, et votre valeur correspondra à 5 ans de ces cash-flows, guère plus ; soit vous jouez le jeu du développement de la capacité de production (au sens large : matérielle, intellectuelle, sociale), et vous aurez des cash-flows plus réduits, mais plus pérennes.
- Cette logique, que Yann R qualifiait de « typiquement occidentale », déborde de la sphère financière. Quand je vois des cadres supérieurs complètement exsangues, que l’on a habitués (entre addiction et pression) à réagir dans l’urgence en permanence, cela veut dire qu’ils sont à fond dans la production (P) et pas dans l’entretien de leur capacité de production (PC). C’est un thème P / PC cher à Stephen Covey : vérifiez que vous n’êtes pas uniquement en production, entraînez / maintenez votre capacité de production (bonne santé, formation, livres, réflexion…). Comme disait Jack Kérouac dans Sur la route : « a long way to go ».
Bonjour.
Je ne comprends pas un point.
Vous calculez un ratio de 10/50 qui semble être "Ebit/Ventes". Or si on cherche à déterminer une rentabilité de l’actif avec un actif total à 100, le ratio devrait être 10/100, non ?
Ou bien on doit déduire le montant des ventes du total de l’actif pour calculer le ratio (100-50) ?
Oulala, Matthieu, merci, j’étais complètement à la masse !! Il s’agissait d’un actif de 50, et non de 100 🙁
Je le corrige en faisant un edit…
(faut que je dorme, moi…)
Tout a fait d’accord sur le constat. Mais ensuite, on fait quoi?
Eh bien, cher JF, on lit les 3 conseils de la partie 3 (« croissez et prospérez ») et on essaie de les appliquer… Certes, ce n’est qu’un début, mais l’océan est fait de gouttes d’eau… 😉