Suite au thibillet d’avant-hier, Fernand a fourni un tableau en commentaire. Il s’agit de la cotation des CDS (Credit default swaps) sur les différentes banques et gouvernements, comparée à leur notation de solvabilité annoncée par Standards and Poors. Ce tableau étant peu lisible en commentaire, je l’ai remis en forme et le fournis ici. (il faut descendre dans la page…)
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Pour les non familiers des CDS, leur cotation indique le prix que le marché est actuellement prêt à les payer, qui est lié à l’estimation du risque de faillite (plus le CDS est cher, plus les investisseurs parient (littéralement) sur la faillite. Si l’on prend comme hypothèse que les notes de Standards and Poors sont raisonnablement correctes, on constate des divergences de prix étonnantes : certains actifs sont estimés par le marché comme étant beaucoup plus proches de la faillite que d’autres. Pour simplifier les comparaison, j’ai fait deux classements : par note décroissante (de AAA à BBB+), c’est le tableau à gauche, puis par prix de CDS croissant (de celui le moins cher, donc moindre probabilité de faillite estimée par le marché, jusqu’au plus cher). Cf. ci-dessous. |
Voici maintenant le tableau classé par prix de CDS croissant : les États (ou banques) considérés comme étant peu en risque de défaut sont en haut, les autres en bas.
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Je cite Fernand « Sans surprise, le CDS des USA côte le tiers de celui de la France, malgré un AA+ contre un AAA. Et, il représente environ la moitié de celui de l’Allemagne. Le marché est donc indifférent aux états d’âme de S&P, et se demande pourquoi la France est encore AAA. Par ailleurs, le CDS du japon (AA-) reste nettement inférieur à celui de la France.
Même le CDS de Standard Chartered (A) est inférieur à celui de l’Etat français. Là, on peut se poser des questions sur le raisonnement du marché. A titre personnel, je pense encore qu’il y a bien moins de risque que l’Etat français soit en cessation de paiement que StandChart ne fasse faillite. Autre incohérence, plus facile à appréhender au niveau national : le CDS de Natixis est légèrement inférieur à celui de CA SA, et même à celui de BNP Paribas. La différence n’est pas bien grande, mais il est de notoriété publique que Natixis a été en quasi faillite et est perfusé par BPCE. Dans le cas présent, le marché anticipe probablement que le fonctionnement du système bancaire français est conçu de telle façon que Natixis ne pourra pas faire faillite, quitte à appeler l’Etat ou les autres banques françaises à son secours. Curieusement, dans le cas présent, S&P et le marché sont d’accord. Bon, je ne vais pas vous commenter toute la liste, je vous laisse regarder et relever vous-mêmes les écarts qui peuvent vous surprendre. » |
Une belle illustration de la prétendue rationalité des marchés en ces temps troublés. Tiens, en parlant de ça, comme je le pensais, l’action Apple a bien ouvert en baisse : -2% à cette heure… Cela dit, la perte est faible, le marché digère bien l’information.
Hey Joe
Le seul tableau qui soit vraiment intéressant est le deuxième. C’est facile de classer les CDS, c’est du continu, mais quel est le critère pour classer les notes équivalentes dans le premier tableau ? Entre deux "AAA", qui passe en premier ? Pourquoi c’est Allemagne/France/Royaume-Uni et pas Allemagne/Royaume-Uni/France ? Ca ne changerait rien au fond (les AAA seraient toujours groupés) mais ça éviterait de donner l’impression (vraie ou fausse) que la France est mieux notée que le Royaume-Uni alors que son CDS est beaucoup plus élevé. Parce que là quand on regarde le premier tableau on se dit "ah bah oui c’est n’importe quoi, les notes ne veulent vraiment rien dire, la France a une meilleure note que le Royaume-Uni et un CDS beaucoup moins bon", alors que si là note égale on classait les pays par CDS ça deviendrait déjà nettement plus logique.
Ceci dit, le deuxième tableau n’est pas tellement irrationnel… Mis à part quelques exceptions (France, WestLB notamment), le reste est plutôt en ordre. Donc de mon point de vue le marché n’est pas aussi schizophrène qu’on veut nous le faire croire.
Et puis notes et CDS ont deux logiques différentes. La note définit une classe d’actifs, c’est plus un label qu’une donnée mathématique (c’est bien la raison pour laquelle c’est une donnée discrète et pas continue). On n’est pas censé dire : la note est AA+, donc la prime de risque est de très exactement 3.65787% (peut-être que c’est justement cette confusion qui est à l’origine du pouvoir exagéré qu’on accorde aux agences, d’autant plus que les investisseurs ne se donnent plus les moyens de mener leurs propres recherches). Le CDS c’est un pari sur le court/moyen-terme. Même si j’ai parié que Manchester United allait gagner la Premier League cette année, je vais pas miser sur Manchester United gagnant à CHAQUE match, cela ne serait illogique et même contre-productif. C’est la même chose avec la note et le CDS.
Moi je trouve même ça rassurant que notes et CDS ne soient pas parfaitement synchronisés. Ca veut dire que le marché et les agences de notation ont des critères et des horizons différents. Et c’est ce qu’ont leur demande (que dirait-on si les notes de S&P changeaient tous les jours ? Ou si les CDS changeaient une fois tous les six mois et annonçaient une perspective d’évolution avant ?). On ne demande pas à un climatologue le temps qu’il va faire demain, je doute qu’Evelyne Dhéliat ou Sébastien Folin puissent me prédire l’évolution du climat en Afrique sur les deux siècles à venir. C’est pas le même boulot, ça ne sert pas à la même chose ni aux mêmes personnes, ce sont juste deux choses différentes, qui ont chacune leur utilité.
Après, bien sûr, on peut discuter :cette note est trop élevée, ce CDS est trop bas… OK. Mais dire "la note et le CDS ne collent pas parfaitement, c’est pas normal", ça n’a pas vraiment de sens. D’autant plus que globalement (si on prenait un échantillon large et une période plus longue), il semble quand même y avoir une corrélation assez forte (c’est en tout cas ce que laisse penser le deuxième tableau).
Hello superb0y, comme d’habitude, j’ai quelques remarques, que je liste au fur et à mesure :
Premier tableau « mal » classé : OK, vous avez raison, mais c’est la faute à fernand ! :-p Déjà que je me suis coltiné de tout mettre en forme sous LibreOffice, exporter au format CSV, re-mettre en forme sous LibreOffice, trier par CDS pour obtenir le deuxième tableau, puis ré-exporter sous Kompozer… Donc oui, votre remarque a du sens, j’aurais dû re-classer le premier tableau par rapport à ce que fernand avait publié : première clé de classement, la notation par ordre décroissant, et au sein de chaque classe, la cotation du CDS par ordre décroissant. Mais je ne le ferai pas, et le lecteur scrupuleux lira votre commentaire, puis le mien : vous avez raison, voilà.
Deuxième tableau pas si irrationnel : je comprends ce que vous voulez dire. C’est quand même heureux que dans le second tableau, il n’y ait pas QUE des aberrations 😉 Mon propos (en fait, celui de fernand) n’est pas de dire « regardez le deuxième tableau, c’est du n’importe quoi à chaque ligne » : la plupart des lignes donnent en effet une valeur « logique ». En résumé : pour la plupart des États / banques, la cotation du CDS est globalement en ligne avec la notation. Ce qui choque fernand (et moi-même), à raison, ce sont quelques aberrations : cotation de CDS très différente dans la même classe de risque ; cotation de CDS de même niveau avec des classes de risque différentes. Que dans la note AAA, on constate des différences, OK, tous les AAA ne se valent pas au dixième de décimale près. Mais que dans la même classe de risque, on ait des écarts du simple au double (AAA, France vs. Allemagne et R-U), cela me gêne.
Maintenant, je n’ai pas eu le temps d’être clair à ce sujet, je le dis donc maintenant : pour moi, ce n’est pas un signe d’irrationalité ou d’incompétence des marchés ; c’est plutôt le signe que certains investisseurs spéculent sur ces valeurs. Je détaille mon opinion à ce sujet :
En conclusion : mon opinion sur les divergences du deuxième tableau n’est pas que les marchés sont inefficients. Ces divergences soulignent, à mon avis, le travail spéculatif d’investisseurs qui « s’attaquent » à certaines valeurs via les CDS. Aussi, un pékin lambda qui regarderait le niveau des CDS aurait une vision fausse de la solvabilité estimée par le marché, car certains CDS sont désormais éloignés de leurs fondamentaux. C’était, je crois, l’argument de fernand, et c’est le mien.
Je vous rejoins donc tous les deux sur votre critique des CDS (dont la détention devrait être conditionnée par la détention de l’actif sous-jacent). C’est vrai que la perspective de pouvoir toucher la prime d’assurance de la maison de mon voisin me donne furieusement envie de la cramer…
Mais dans l’absolu, CDS n’ont pas à être parfaitement et constamment proportionnels puisqu’ils ne reflètent pas les mêmes risques et horizons, on est d’accord là-dessus aussi ?
Donc tout le monde est d’accord. C’est un peu ennuyeux et ça me donne presque envie de défendre les CDS…
superb0y, je trouve qu’avec fernand, vous avez des illustrations pédagogiques fort pertinentes. Intéressé par la carrière académique ? 😉
« [les] CDS n’ont pas à être parfaitement et constamment proportionnels puisqu’ils ne reflètent pas les mêmes risques et horizons, on est d’accord là-dessus aussi ? », oui, je suis d’accord. La note, c’est comme de dire « la température du malade est de 38°C », ça ne préjuge pas de la tension artérielle, de l’état du foie, etc.
Et désolé pour cet accord, qui j’en suis sûr, ne sera que temporaire 😉
Attention doc, comparer un cds d’ un pays qui peut battre monnaie a un autre qui ne peut pas c du bullshit… Genre la le cds de la Chine est en train d’ exploser et ça me fait doucement rigoler…. Je te conseille la lecture du blog macroman. Essentiellement des mecs de FX assez smart.
Et aujourd’hui hui les agences de notation notent plus la capacite d’ un gouvernement a modifier la trajectoire de la dette (cf sanction récente des US) que le risque de défaut. (ce que le cds lui fait plus). Enfin ( et surtout ) méfies toi des contraintes de liquidité sur ce marche peu liquide. C d’ ailleurs pour ça qu on a rapidement délaisse le cds grec pour shooter la Grèce via l euro nettement plus liquide…. Les moove sur les cds sont très sensibles a des effets de mode particulièrement dangereux.
Hello Nerik, tout ceci est plein de bon sens, merci. Un thibillet est en gestation sur la volatilité, à ce propos… 🙂
Une preuve de plus de l’intérêt très relatif des notes attribuées par les agences, et surtout de leur décalage par rapport à la réalité économique appréhendée par le marché, cqfd €¦
http://www.lemonde.fr/economie/a...