Lors de ma seule incursion dans la lecture d’un livre d’un Chinois converti à la langue française (François Cheng, le dit de Tianyi), j’avais été déçu. Je m’attendais à la sagesse de l’orient transfigurée dans un français très épuré, et je tombais sur un récit certes très bien écrit, mais écrit comme un académicien écrit : belle langue, beaux effets.
Ma deuxième incursion est donc ce roman de Shan Sa. Et cela correspond beaucoup plus à ce que j’attendais, et dont je rêvais secrètement : lire en français, mais avoir l’impression d’entendre le musique de la langue, et surtout la poésie, chinoises. Il y a du Erri De Luca là-dedans, ou du Laurent Gaudé : des phrases courtes, des images poétiques, un langage très simple et très pur. Du haïku chinois.
(Mais aussi de la dureté terrible, miroir des périodes troublées de la Chine occupée en partie par le Japon dans les années 30).
Et puis cette analyse définitive du Jeu de Go (NB : pour apprécier la citation suivante, il faut rappeler quelques éléments du Jeu de Go : les pions, ou pierres, sont posés, et ne se déplacent pas. L’endroit où l’on pose les pierres, les liens entre elles, les espaces qu’elles circonscrivent, les pierres ennemies qu’elles encerclent, donnent sa dynamique au jeu, alors même que les pierres sont fixes).
La position d’un pion évolue au fur et à mesure qu’on déplace les autres. Leur relation, de plus en plus complexe, se transforme et ne correspond jamais tout à fait à ce qui fut médité. Le go se moque du calcul, fait affront à l’imagination. Imprévisible comme l’alchimie des nuages, chaque nouvelle formation est une trahison. Jamais de repos, toujours sur le qui-vive, toujours plus vite, vers ce qu’on a de plus habile, de plus libre, mais aussi de plus froid, précis, assassin. Le go est le jeu du mensonge. On encercle l’ennemi de chimères pour cette seule vérité qu’est la mort.
Shan Sa, La joueuse de go, Folio n° 3805, p. 294.