Livre lu : Valery Larbaud Enfantines

Offert par mon éditeuse, ce livre (Valery Larbaud, Enfantines, L’imaginaire, Gallimard, 190 p.) rassemble 8 nouvelles écrites par des enfants, ou plutôt, vues par des yeux d’enfants. Et même si on se situe au début du XXème siècle (il y a des domestiques, des calèches), cette vision d’enfants est toujours transposable.

On venait de vider une boite de soldats tout neufs et on les avait alignés sur le trottoir, devant le ministère des Finances.
Valery Larbaud, Enfantines, L’imaginaire, Gallimard, p. 136.

J’ai énormément aimé ce livre, pour quelques raisons simples qui agissent comme des évidences (voire des conseils à toute une génération d’écrivains) :

  • C’est très bien écrit. Le style est celui d’un français soutenu, recherché, mais sans tomber dans le côté littérateur de certains académiciens (je pense par exemple à François Cheng, dont Le dit de Tianyi, qui est pourtant poignant, est à mon avis desservi par une écriture trop « je veux être académicien, je démontre cela dans mes phrases longues et équilibrées »). Quand je lis Valery Larbaud, j’ai une sensation de pureté et d’intelligence.
  • C’est poétique. Je me répète, mais quand un auteur arrive à conjuguer une grande sensibilité personnelle, une capacité à se mettre dans les sentiments de ses personnages, et une grande maîtrise de la langue, cela devient superbe.
  • Et Marcel sent le besoin d’aller raconter son triomphe à tout le jardin. Il sort dans la tiédeur dorée. Mais comme tout est drôle, ce soir ! On a dû jouer aussi là-haut, et on a laissé le ciel en désordre ; et il est ici, tout près, mélangé à la terre. Le ciel est rempli de montagnes jetées les unes sur les autres. Un promontoire, pareil à l’avant d’un grand cuirassé, crève un océan d’or. De hautes falaises sont percées d’interminables canons au bout desquels brille une mer toute mauve.
    Valery Larbaud, Enfantines, L’imaginaire, Gallimard, p. 116.

  • C’est puissamment observé. Il faut plus qu’un regard, ce sont des antennes supra-sensibles qui peuvent capturer, avec autant de justesse, les états d’mes d’enfants, qui sont bien souvent plus graves que ceux d’adultes. Je ne veux pas en dire trop, car tout cela est très personnel, mais prenons par exemple la rentrée scolaire à la fin des vacances. C’est dans l’air du temps, on le sent dans certains billets de blog ou des commentaires, mais rappelez-vous, ce sentiment poignant quand on avait 8 ans, 10 ans, la première entrée au collège, au lycée, le côté qui nous apparaissait comme inhumain de ces grands lieux gristres, tous ces visages inconnus. Bien sûr, on savait qu’au bout d’une semaine, ces visages deviendraient des prénoms, des amis, et l’on essayait de s’en convaincre bravement. Mais c’était dur, on était trop jeunes, pas assez préparés. C’est tout cela que je retrouve, et encore plus, dans ces Enfantines.
  • Enfin, et surtout, ce livre donne la version des enfants, qui contient son lot de gravité et d’angoisses, mais aussi sa part d’optimisme. Plus que de l’optimisme : un esprit pur, conquérant, qui ne connaît, finalement, que très peu de limites. J’adore, et j’envie, cette pureté, et j’y ressource mon optimisme.
  • Un grand ciel de couchant, plein de longs nuages, l’invite à voyager parmi ses continents et ses îles. C’est le bon Dieu lui-même qui l’accueille et lui ouvre tout grand son grand dimanche. Et Marcel, sans se gêner, vient s’asseoir sur les genoux du bon Dieu, et regarde avec lui les images qu’il trace à mesure dans le ciel.
    – Mon bon Dieu, votre ciel est bien beau, et votre terre aussi n’est pas mal.
    Valery Larbaud, Enfantines, L’imaginaire, Gallimard, p. 120.

Et puis, enfin, une méditation permanente pour le professeur que je suis :

… cette nourriture intellectuelle qu’on nous présentait toute mchée nous soulevait le coeur. Et puis, enfin, nous n’étions pas des anges pour tout concevoir sans l’aide des sens, pour descendre toujours de l’abstrait au concret. […] Mais ce n’était pas seulement cela. Ce qui nous rebutait le plus dans nos études, c’était l’inutilité de nos travaux. Toujours s’exercer, et ne jamais rien faire.
Valery Larbaud, Enfantines, L’imaginaire, Gallimard, p. 152.

Correspondance : spontanément, je pense à Jules Romains. Normalien, poète, académicien, et contemporain de Larbaud, il écrit aussi avec fluidité, dans une belle langue, les états d’âme d’une population parisienne (Les hommes de bonne volonté, 27 volumes, superbe). Il va même jusqu’à se mettre, avec justesse me semble-t-il, dans la peau du chien Macaire pendant quelques pages. D’octobre 1908 à octobre 1933, on suit une foultitude de personnages, certains meurent (notamment dans l’horreur de Verdun), d’autres tombent en déchéance, certains disparaissent des romans puis réapparaissent, ou pas. Un grand chef d’oeuvre. (malgré ce qu’en dit le paragraphe « Critique » dans l’article de Wikipedia sur Jules Romains. Scrogneugneu, je m’en vais t’éditer ça rapido, moi) (MàJ : c’est fait)

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0 réponse à Livre lu : Valery Larbaud Enfantines

  1. Mais t’as raison ! Cet article de Wikipedia est vraiment partial. La seule critique publié est négative, et en plus elle est signée Léon Trotsky, comme si ça la rendait indiscutable !
    Je ne connais pas cet auteur (mais je vais réparer ce manque de ce pas, ou du moins la prochaine fois que j’irai à la bibliothèque) grce à toi.
    Ton blog m’a l’air diantrement intéressant ! Je suis tombée dessus par hasard en cherchant les paroles de ‘envie de l’eau’ de Charlélie Couture’ (rien à voir avec Jules Romain donc !…). Il faut que je revienne pour en lire un peu plus.

  2. Docthib dit :

    @ madamedekeravel : merci pour tes commentaires et compliments. Je viens de modifier la page de Jules Romains sous Wikipedia 😉

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