Marathon de Berlin – Hailé Gebrselassie et moi

Dimanche matin, réveil dans un Berlin gristre (notre hôtel était du côté Est de Berlin) vers 6h45. Laurent fait son yoga, j’enfile vite un jean et je descends prendre un petit déjeuner. Un thé, des céréales au lait, quelques tranches de jambon, une pomme que je ne peux pas avaler. Dans les néons bleus et verts de la salle aux murs métalliques, je vois beaucoup de convives en collant de course, les chaussures de running aux pieds, chacun est dans son silence.
Retour à la chambre, préparation sans état d’âme (tout était prêt depuis la veille), installation de toute l’électronique : puce du marathon sur la chaussure droire, accéléromètre sur la gauche, walkman au côté, casque ultra-léger autour du cou, montre cardio-fréquencemètre avec batterie neuve (merci Cécile), brassard contenant 6 gels au glucose.
7h30, RV dans le hall de l’hôtel, départ en métro à 8 coureurs. Matin gristre, des pans de ciel clair commencent à apparaître, les nuages sont poudrés de rayons de soleil. Il va faire beau, il fait froid.
A la station d’arrivée, il n’y a qu’à suivre les gens déguisés – comme nous – en préservatifs jaunes (« Adidas, c’est la classe ! »), ça n’est pas dur, quand 40 000 personnes convergent à pied vers un lieu, ça se remarque. Répartition dans les sas, je suis dans le dernier sas avec Joce, ce qui nous vaudra de franchir la ligne avec 24 minutes de décalage par rapport aux premiers. Il fait froid, je garde le sac jusqu’au dernier moment. Superbe moment quand le lâcher de ballons peuple le ciel de Berlin de milliers de ballons orange, sous le ballet des hélicoptères.
Et c’est le départ. Même si je cours à côté de Joce, cette fois, c’est décidé : ce sera à mon rythme, j’arrête les conneries, je vais courir lentement, avec une stratégie de course prudente, pour en garder sous le pied pour la seconde partie du parcours. Malgré la foule (c’est l’inconvénient des départs, surtout dans le dernier sas, qui mélange ceux qui veulent faire 4h15, 4h30, 5h, 5h30 ou plus…), je garde l’oeil sur la montre, je déroule la foulée sans accélérer (ce n’est pas l’envie qui m’en manque). Il fait 13°.
Km 10, je prends mon premier gel un peu avant le ravitaillement en eau, tout est sous contrôle, Joce me rejoint quelques centaines de mètres plus tard. Un gars reconnaît mon T shirt, il est ESCP, 54 ans, DG d’une boite d’informatique. Il nous montre quelques btiments, mais le rythme est un peu trop rapide, ça se joue à une poignée de secondes, mais je préfère décrocher. Seul dans la course, je suis en moi-même, toujours attentif à maintenir un rythme serein. Je m’étais fixé de courir à 6’20 » au kilomètre, j’ai du mal à ne pas descendre en dessous des 6′, mais je me freine. Je me souviens de toutes ces compétitions où j’ai explosé en vol à la moitié de la distance, pas question de me cramer à nouveau.
Km 20, deuxième gel au glucose. Encore 1 km et quelques, et ce sera le semi. Je prends soin d’éviter les jets d’eau rafraichissants, à 14-15°, le plus souvent à l’ombre, c’est la caillante assurée.
Semi-marathon. Je voulais le passer à 2h13, je le passe à 2h15, tout va bien, j’ai bien géré cette partie. A Madrid, j’avais passé le semi à 2h03, tout content de ma rapidité, et j’avais explosé dès le 23ème kilomètre (il en restait donc 19 à courir…).
Conformément à ce que j’avais décidé, je chausse le casque du walkman à partir du semi : la première partie a été concentrée et silencieuse, la deuxième partie va être rythmée et en musique. J’accélère pour passer à 5’40 » au kilomètre, et commence donc mon negative split. Dans ma stratégie de course, je dois maintenir cette allure jusqu’au km 31 : à ce moment-là, je verrai si je peux encore accélérer (5’30 » ou moins) ou bien s’il vaut mieux rester à cette allure. Un morceau de Graham Nash et David Crosby, un instrumental tiré de Rocky, la musique est agréable, et puis cette chanson faite pour la course, Men In Black, par Will Smith. Dopé par le rythme, je double des coureurs sans effort, sans à-coup, je suis dans la course.

Km 25, gel anti-crampes. Les ravitaillements sont de grandes flaques d’eau, des amoncellements de gobelets en plastiques que l’on écrase, on se fait souvent pousser dans le dos, chacun est énervé par sa contrainte de temps. Je saute un ravitaillement sur deux, il y en a trop.

Km 30, je pense que je ne pourrai pas accélerer. Je suis tombé sur l’intro de Rocky II, superbe morceau bien rythmé, ça m’a redonné la pêche. Je suis bien content d’avoir acheté ce disque, plus quelques morceaux en ligne, voilà de l’argent bien investi.

Km 31, ça devient dur, je ralentis insensiblement, je dois me motiver pour maintenir l’allure de croisière. Je monte souvent à 5’50 » au km, il faut être vigilant. Pas question d’accélérer comme prévu initialement, il faut se maintenir. Mais en même temps, je n’ai pas eu « le mur » (que j’avais eu à Paris 2002, puis Paris 2006 au 26è km, et à Madrid 2007 au 23ème), je ne l’aurai pas de tout le parcours. Km 35, dernier gel « coup de fouet ». Mon t-shirt est trempé, je suis glacé. J’ai eu Eddy Mitchell et Johnny « on veut des légendes », tout ça c’est du bon. Je passe tous ceux que je peux, je ne suis plus doublé depuis des kilomètres. En revanche, de plus en plus de personnes se mettent à marcher (c’est leur droit) au milieu de la route (c’est pas sympa). Depuis le début, c’est une gestion des doublements, des trottoirs, des encombrements de personnes.
Dès que je le sens, dès que je le peux, je tape dans les mains des petits gosses sur les côtés, ça me booste.
Km 40, celui-là je l’ai attendu longtemps, ça fait depuis le km 28 que je guette le panneau kilométrique suivant. Un thé chaud au ravitaillement, c’est la dernière fois que je m’arrête. OK, encore 2 km, je fais ce que j’avais prévu : j’accélère. Il s’agit tout de même de tenir 2 bornes, avec les 40 que j’ai déjà dans les pattes, mais je le sens bien. De toute façon, je vois vite mes limites : oui, j’ai pu accélérer, mais pas énormément, et maintenant, il s’agit de tenir. Je convoque mon loup intérieur, je grogne à chaque foulée, les autres coureurs tournent la tête, je m’en fous, ça m’aide, et je les dépasse un à un, inexorablement. Longue avenue d’Unter den Linden, je vois la Porte de Brandebourg au bout, je sais qu’il ne faut pas se démobiliser, l’arrivée sera quelques 200 m après. Je passe la porte dans la bousculade, il ne s’agit plus de trébucher. Longue avenue, dernière course tendue, la foule des deux côtés sur des gradins, des hauts-parleurs annoncent qu’Hailé Gebrselassie a battu le record du monde du marathon, je passe la ligne, top chrono, j’ai fait 4h18’25 », mon meilleur temps à ce jour, 22 minutes de mieux que mon premier marathon (2002), 34 mn de mieux qu’en 2006, 29 mn de mieux qu’à Madrid.

Depuis dimanche, je suis sur mon nuage.

Prochaine étape : le 13 avril, quelques jours avant mes 40 ans, Marathon de Londres.
Mais pour l’instant, baguette, fromage au lait cru, vin rouge, viandes rouges, expressos : ça fait du bien…

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17 réponses à Marathon de Berlin – Hailé Gebrselassie et moi

  1. Julien dit :

    Toujours autant impressionné. Et par l’explot de Berlin et par cette qualité de la narration.
    Chapeau Doc !

  2. Yann dit :

    Chapal Monsieur, pour le temps et le negative split !!!!!! Et maintenant je prends le temps de lire tout ça….

  3. AlfOnsOs dit :

    Bravo! Bravo!! Bravo!!!
    Et merci pour les détails, j’y étais presque…

  4. joséphine dit :

    superbe gestion de course, ça doit vraiment être jouissif de réussir un negative split.. et très émouvant récit (que de souvenirs), j’en ai les larmes aux yeux !!

  5. Monsieur Jean dit :

    Partir à fond, accélerer tranquillement, terminer en trombe… Respect.
    J’en retiens aussi un conseil, 42km, c’est moins long avec un iPod – right ?

  6. Docthib dit :

    Merci à tous/tes, z’êtes trop gentils. Bon, quand est-ce que vous venez vous faire péter les rotules ? Ce n’est pas qu’un sport de bourrins, regardez, ça émeut Joséphine…
    @ Monsieur Jean : je crois que 42 km, c’est 42 km, quel que soit ce que l’on emporte avec soi. Maintenant, pour courir à vitesse constante, ou pour maintenir / relancer sa motivation, oui, la musique est bien pratique. Les encouragements aussi, même après coup, sur un blog 🙂

  7. Christian dit :

    excellent, on n’avait pas eu le temps de débriefer (ni l’énergie), mais très content pour toi.
    Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire mon négative split mais je m’en rapproche.
    A quand le dîner d’après marathon ?

    bon courage,
    tiens j’ai perdu déjà deux ongles, le reste suit 🙂

  8. Docthib dit :

    Brrr, perdre ses ongles, aglagla. C’est ce genre d’information qui me fait penser que je dois courir trop pépère, je ne prends pas assez de risques. Bon, je vais quand même en rester là. Une bouffe d’après-marathon ? J’en fais deux fois par jour, c’est donc quand tu veux !

  9. joséphine dit :

    c’est surtout que le jeune Christian doit courir avec des chaussures trop petites pour lui… m’enfin ,j’dis ça…

  10. Lulu dit :

    Démonstration épatante … ! Rien de plus jouissif que de voir un projets avancer, dans la douleur (!!) un peu, parfois, mais avec la sensation tellement agréable de progresser. Et ce, à n’importe quel âge !
    C’est le moment d’envisager un passage de décennie festif sous le soleil (!!) londonien.
    Bon entrainement …
    Question existentielle : c’est aussi bon qu’efficace le gel au glucose ?

  11. Docthib dit :

    @ Joséphine : et où tu as pris que Christian est "jeune", hein, ça m’énerve ça, ces a prioris positifs sur des inconnus… 🙁

    @ Lulu : c’est en effet un grand plaisir… même avec l’approche de la prochaine décennie (mais c’est dans la tête que ça se joue). Réponse existentielle : j’ai essayé tellement de trucs en même temps que je ne sais pas reconnaître la valeur individuelle de chacun. C’est pas mauvais au goût, et je pense, vu comme c’est sucré, que cela doit apporter un méchant complément en sucre. Maintenant, d’ici à mesurer effectivement le gain… On est dans l’immatériel, le sublimé, le psychologique 😉

  12. Docthib dit :

    Comme me l’a dit Joséphine, c’est le seul sport où des amateurs côtoient des professionnels, dans la même épreuve, sur le même parcours. Nous sommes tous des Berlinois 😉

  13. biloute dit :

    je trouve que tu as du talent j’aime lire ton blog et je le trouve très instructif,continue et merçi encore!

  14. Docthib dit :

    je me suis permis de supprimer ton lien commercial, Biloute, tu m’en veux pas ?

  15. biloute dit :

    non de rien:)

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