Novela – Transluxion

Je voudrais parler d’Enzo Korzyb. Il a tellement défrayé les tabloïds qu’on peut se demander ce qu’il y a encore à en dire. Probablement rien. Mais sous l’abondance d’information, la vérité disparaît souvent. C’est comme un prisme optique : vu de côté, il ne fait apparaître qu’une tranche d’un gris mat, sans épaisseur. Certains de nos contemporains fonctionnent ainsi : ils ne peuvent voir que la tranche d’une personne, comme la tranche d’un livre. Untel sera catalogué comme rêveur, et malgré les années qui passent, ou nonobstant son insertion réussie dans la société, il restera « le rêveur ». Car, de même qu’il y a de moins en moins de personnes qui lisent des livres, de même, de plus en plus de personnes lisent les tranches. Et si « le rêveur » commet l’erreur de vouloir affirmer une seconde dimension, c’est-à-dire outrepasser son rôle unidimensionnel de tranche, la société se chargera vite de l’émonder, de raboter ce relief inopportun. Après tout, comment ranger une tranche dans la grande bibliothèque, si elle se met à avoir la fantaisie de changer de forme ? Korzyb aurait aimé être comparé à un prisme, lui qui aimait tant les jeux de lumière, les irisations, et qui aurait rêvé de voir une aurore boréale en vrai. Vous vous étonnez ? Cela ne correspond pas à l’homme des tabloïds ? Ah oui, j’oubliais, Korzyb n’était qu’une tranche, et sur la tranche, on lisait « Scientifique génial (et donc torturé, évidemment) qui a découvert la transluxion ». Inutile de lire le livre, le titre sur la tranche est censé vous avoir repu. Mais pour ceux et celles qui daigneraient déplacer un peu leur angle de vue, le prisme peut offrir quelques couleurs diffractées. Je ne vous propose pas l’effort épuisant de lire le livre Enzo Korzyb, je sais que vous n’y êtes pas préparés. Je veux juste rendre compte de quelques notes que j’ai prises dans la marge du livre de sa vie.

Chapitre 1. L’isolé.
Tout est connu de lui, sauf l’essentiel. On l’étiquette comme Polonais, orphelin, né à la fin du XXème siècle, jeune chercheur, boursier laborieux. La vérité n’est pas loin, il suffirait, pour une fois, de le traiter comme un être humain. Korzyb n’a jamais eu de famille, probablement pas d’amis, et moi qui ai été son directeur de laboratoire pendant sa thèse – et je crois, un proche au cours des années qui ont suivi – je ne saurais l’aimer. Il n’était pas de notre monde, et personne n’a jamais été du sien, à part Celia. On a beaucoup glosé sur le pauvre étudiant polonais qui est arrivé, déraciné, dans notre pays pour y poursuivre ses études. Mais on ne peut pas déraciner ce qui n’a aucune attache. Korzyb n’a jamais eu de compatriote, car sa patrie, s’il en avait une, était un pays imaginaire dont il était à la fois le roi et le plus humble vagabond, en un mot, le seul citoyen.

Chapitre 2. La lumière.
A la racine des grandes découvertes, il y a toujours des choses simples. Derrière une formule abstraite, un concept, se cache toujours une première intuition, un désir. Vous voulez aller au-delà de la tranche d’un chercheur ? Demandez-vous ce qui l’a attiré dans son sujet. Car on ne choisit pas par hasard de travailler sur les corpuscules, ou la sociologie des tribus, ou encore l’excitabilité des arthropodes. La plupart d’entre vous en sont restés au titre sur la tranche de la thèse de Korzyb, en croyant sincèrement que quelqu’un dans le monde pouvait s’intéresser aux « mécanismes ondulatoires et chroniques des photons ». La vérité est que Korzyb était fasciné par la lumière, qui représentait pour lui la perfection en terme de couleur (toutes les couleurs réunies en une seule, aveuglante) et de vitesse (la référence absolue de notre monde et de son échelle de temps). Toute sa vie, Korzyb a recherché la lumière, et ce qu’il y avait derrière.

Chapitre 3. Spéculations scientifiques.
Les résultats des recherches d’Enzo Korzyb lui ont valu le prix Nobel de physique à titre posthume, ils sont donc connus de tous, et ils ont fondé notre société actuelle. Je me borne donc à résumer les grandes étapes de sa démarche. Mais pour cela, il faut d’abord se replacer dans le contexte pré-Korzyb, que nous avons trop vite oublié, tant notre monde a été modifié en profondeur par ces découvertes. Autrefois, toute référence au Temps était fondée sur la vitesse de la lumière, qui non seulement était une constante, mais aussi réputée être une barrière infranchissable. Selon le paradigme de l’époque, un vaisseau spatial qui atteindrait la vitesse de la lumière verrait le temps s’arrêter totalement. Je me souviens ainsi, dans mon encyclopédie d’enfant, de l’illustration d’un voyageur spatial chevauchant un rayon de soleil, et regardant la trotteuse de sa montre, définitivement figée sur le cadran. Korzyb se refusait à penser à la lumière comme à un phénomène électromagnétique fixé de toute éternité, il y voyait des variations. Et qui dit variable, dit transformable. Si la lumière était un livre, le mérite de Korzyb aura été d’en changer le nombre de pages. Il a commencé par accélérer les particules de lumière, là où tous les autres chercheurs se demandaient comment ralentir les photons pour pouvoir mieux les observer. J’en ai retiré une idée : la meilleure manière d’observer un animal sauvage, ce n’est pas de le domestiquer, mais de le remettre en liberté. Il en va de même pour tous les concepts. Enzo a non seulement remis les photons en liberté, mais en leur donnant un supplément de vitesse. C’est lui qui a fixé l’étalon lumière : la vitesse standard de la lumière étant de 300 000 km par seconde, cela correspondait, selon lui, à 1 Lux. En six mois de travail sur des accélérateurs de particules, Korzyb arrivait à des vitesses de 3 Lux, soit presque 1 million de kilomètres à la seconde. La lumière s’enfuyait toujours plus vite, mais Korzyb s’entêtait à la poursuivre.

Chapitre 4. Spéculations temporelles.
Ce passage des travaux de Korzyb est celui qui est le plus ardu à comprendre, mais peu importe d’en saisir la subtilité, il suffit d’en comprendre les fondements. En accélérant la lumière, Korzyb avait changé notre référentiel de temps, tandis que les distances restaient les mêmes. Par exemple, un photon à Lux 1 parcourait 900 000 km en 3 secondes, tandis qu’un photon à Lux 3 parcourait cette même distance en 1 seconde. Mais il pouvait s’agir du même photon. En d’autres termes, la vitesse de la lumière était variable, mais le temps aussi : pour un photon donné, une seconde valait trois secondes. Korzyb a prouvé que l’illustration de mon enfance était vraie : un spationaute voyageant à la vitesse de Lux 1 verrait la trotteuse de sa montre s’arrêter. Mais il est allé plus loin, et il a démontré qu’un spationaute voyageant à une vitesse supérieure verrait la trotteuse de sa montre se mettre à reculer. A Lux 2, une seconde de voyage fait reculer dans le temps de 2 secondes. Une année de voyage nous ramène deux ans en arrière. Korzyb avait inventé le principe du voyage dans le temps.

Chapitre 5. Spéculations commerciales.
De grands groupes de télécommunication finançaient notre laboratoire depuis des années. Les recherches de Korzyb les intéressaient particulièrement, car tout ce qui augmentait la rapidité de transmission des signaux les intéressait. Puis vinrent les fabricants de fibres optiques, les concepteurs de circuits imprimés… et l’industrie aérospatiale. Etant donné que Korzyb n’avait rien à gagner (si je dois m’exprimer en termes journalistiques, il méprisait l’argent), il imposa ses conditions, et tous les groupes s’y plièrent : mettre en commun leurs bases de connaissances, sans limitation aucune, pour faire progresser la recherche. C’est ce que l’on a appelé Le Club des Neurones. Korzyb n’était pas le scientifique naïf qu’on a présenté : il était extrêmement lucide, et cynique, sur les opportunités commerciales qu’il offrait ainsi à ces grands groupes. Mais pour lui, rien ne valait l’accélération des connaissances. Un jour que nous parlions en privé, il me fit cette remarque « Pour aller jusqu’à Lux 5, il faudra qu’ils déboursent Milliard 5 ». Tous les moyens sont bons, pour le vrai croyant. En deux ans, nous disposions d’un prototype d’engin spatial atteignant Lux 1,1. Encore une année, et le mur de Lux 2 était franchi. Il allait s’écouler dix ans avant que les premiers engins « grand public » voient le jour, mais entre temps, les voyages spatiaux avaient décollé. On ne parlait plus de translation (dans l’espace), chacun, pour une somme comparativement modique, pouvait désormais s’offrir une transluxion (dans le temps).

Chapitre 6. Spéculations financières.
Dans l’histoire humaine, les premières applications des inventions ont toujours été, soit militaires, soit intéressées. Les voyages transluxiens n’y ont pas fait exception. Les premières déviances ont été discrètes, et le phénomène n’a été identifié que tardivement. Entre temps, des centaines de milliers de personnes s’étaient enrichies. Les terrains de jeu de ces aventuriers étaient les marchés financiers. Il suffisait d’analyser comment les cours boursiers avaient évolué sur l’année passée, puis de faire un discret voyage dans le temps pour prendre une position favorable. Evidemment, la prime allait aux plus riches : pour revenir une année en arrière, un voyage à Lux 2 prenait 6 mois, un voyage à Lux 1,1 (moins coûteux) prenait presque une année. Divers scandales financiers démontrèrent que les dirigeants des plus grands groupes avaient profité de leur position pour « emprunter » les prototypes qui étaient encore en phase de développement, le temps d’une excursion de quelques semaines en arrière. Comme souvent, la réponse des gouvernements fut lente et inefficace. Mais les marchés se régulaient eux-mêmes : les prix des voyages à Lux 2 augmentèrent, les voyages à Lux 3, déjà onéreux, devinrent inaccessibles, tandis que les Lux 1,1 voyaient leurs prix dégringoler avec l’arrivée de compagnies low cost. Il devenait de plus en plus difficile de spéculer en arrière : un investisseur qui arrivait à – 6 mois avait de grandes chances d’avoir été devancé… ou alors il rencontrait des dizaines d’investisseurs débarquant du même vol. Il n’y avait plus d’argent facile : les vols standard (- 1, – 3, – 6 mois) étaient saturés, et les vols sur mesure (- 1,17 mois) coûtaient cher. Les gains potentiels étaient faibles, et ne couvraient plus les coûts de transaction. L’époque de la spéculation effrénée était terminée.

Chapitre 7. Régulations.
J’inclus ce chapitre, juste pour montrer un aspect paradoxal, et probablement inconnu, de Korzyb. Autant il ne reconnaissait aucun intérêt aux individus en tant que tels, autant il avait foi dans la masse. Selon ses propres termes « ils ont probablement un neurone chacun, mais s’il y en a un million, ça fait un million de neurones ». Il n’y a peut-être qu’une reine dans une fourmilière, mais c’est la masse des ouvrières qui assure la survie du groupe. Korzyb a été la reine de son temps, quelques princes aventureux ont pu profiter du système, mais la masse des individus a annulé toute opportunité de gain. Puis sont venus quelques roitelets, chacun avec une petite idée, et la masse de ces idées a donné un système à nouveau régulé. L’idée régulatrice la plus amusante a probablement été la création du Marché Passé, qui était le double, symétrique, du marché à terme. Désormais, il n’y avait plus besoin de voyager en transluxion pour aller prendre des positions dans le passé : il suffisait de passer une transaction sur le Marché Passé. On achetait dans le passé pour revendre aujourd’hui, ce qui annulait les gains de ceux qui voyageaient dans le passé, aussi le Marché Passé a très vite été renommé pour sa très faible volatilité.
Korzyb s’amusait de tout cela, sans y prendre part, il s’émerveillait de l’intelligence collective sur des motifs aussi futiles. A propos du Marché Passé, il a eu ce genre de phrase : « On dirait que j’aurais acheté dans le passé, et que j’aurais eu espéré gagner dans le futur antérieur, avant que les autres n’auraient eu racheté. Mais j’ai été mouru avant. »

Chapitre 8. Disparition.
Korzyb, le solitaire, l’homme de toutes les frasques (copieusement organisées par les journaux) a disparu il y a maintenant 2 mois. J’ai constaté que les journaux couvrent de moins en moins cet événement, avantageusement remplacé par les nouvelles émissions télévisées ou le lancement d’une startup révolutionnaire. Je n’ai jamais été à l’aise devant les micros, je me réjouis donc de cette déshérence dans laquelle je suis laissé. Pourtant, j’aurais un scoop. Je sais, non pas où est Korzyb, mais pourquoi il est parti. J’utilise à bon escient le terme « parti », car je n’ai pas été abusé par son corps, privé de vie, retrouvé dans son appartement modeste. Je sais où il allait, car il me l’a dit. Mais il faut, pour expliquer cela, repartir dans le passé.

Chapitre 9. Illumination.
Korzyb n’a pas été toujours solitaire. Je ne veux pas parler de ses multiples liaisons, utilisées pour alimenter le tirage de la presse à scandales, alors même que je sais que Korzyb a toujours été solitaire. Croyez-en mon expérience, un directeur de labo passe plus de temps avec ses chercheurs qu’avec sa femme. Korzyb pouvait être exubérant, voire charmant, mais il a toujours été seul. Cette solitude, c’était en même temps une armure et une prison, dont les murs tombaient pour un moment, à la faveur d’une soirée arrosée, mais je le voyais, il n’était pas avec nous, il jouait juste un rôle d’animal social, parce qu’il le voulait bien. C’est lors d’une de ces soirées qu’il m’a parlé de Celia.
Celia a été une de ses groupies, une fille qui lisait les journaux grand public, et qui rêvait de rencontrer le jeune génie de la physique, celui qu’on voyait dans des cocktails avec la cravate de travers et les yeux au loin. J’ai dû rencontrer Celia, sans la remarquer, dans la foule. Il y avait toujours dix jeunes filles (et trente jeunes chercheurs) à la porte de notre labo, et je dois avouer que les jeunes filles ont trouvé plus souvent du succès dans mon labo que les jeunes chercheurs. Mais Korzyb était inexpugnable. Jeune homme ou jeune fille, il écoutait tous et toutes, pendant quelques minutes ou plusieurs heures, mais aucun ne trouvait grce à ses yeux. Je pense aujourd’hui qu’il aurait aimé rencontré un autre Korzyb, mais comment cela peut-il arriver ? Puis est venue Celia. Je ne me souviens pas d’elle, je ne l’ai jamais remarquée aux côtés de Korzyb, mais un soir, il m’a avoué sa passion. Lui, le génie, l’homme de la lumière, le maître du temps, était allumé par une jeunette qui ne comprenait même pas ses théories. Elle aimait faire la fête, et il la suivait comme un gamin, poursuivi par des photographes avides de sensations.
Les travaux de recherche se poursuivaient, le Club des Neurones fonctionnait selon tous les critères apparents de l’honnêteté intellectuelle, mais Korzyb passait ses nuit dans des night clubs, à entretenir une troupe de fêtards qui lui étaient étrangers et familiers en même temps.
Puis, je retrouvai un matin Korzyb dans mon bureau, le corps glacé, livide, prostré. Celia était morte dans la nuit, sous les lumières d’une boite de nuit à la mode, victime d’un mélange de substances qu’elle avait ingurgité de son plein gré, un petit cocktail de fêtard comme elle en prenait tous les soirs, mais qui avait été fatal ce soir-là. J’ai cru que c’était une passade, j’ai pensé qu’il avait eu un choc en étant présent à côté de cette inconnue mourante, je l’ai pris pour un enfant qu’il fallait consoler. Pour un temps, le temps m’a donné raison. Korzyb s’est repris, il s’est investi dans ses recherches avec une intensité renouvelée, et j’étais content de voir qu’il délaissait ses anciennes connaissances nocturnes pour se consacrer à nouveau corps et me à son travail. C’est à cette période que nous avons sorti le prototype de Lux 1,1. Les industriels se félicitaient, tandis que Korzyb et moi étions déjà en train de nous pencher sur Lux 2 et Lux 3.

Chapitre 10. Accumulation.
Korzyb a disparu il y a deux mois, laissant une enveloppe corporelle exsangue, des piles de notes manuscrites, et un mystère insondable. L’autopsie n’a révélé aucune trace de violence, aucune substance chimique toxique, et j’aurais été surpris s’il en avait été autrement. Je peux maintenant révéler où il est allé.
Korzyb n’aimait pas l’argent, mais il en comprenait le pouvoir. Durant toutes ces années, il n’est pas resté l’inventeur désintéressé qu’on a voulu vendre au grand public : à chaque contrat, il exigeait sa part. Et ses colères étaient sans égales, pour obtenir ce qu’il voulait. Il m’avait confié un jour « Je vaux ce que je vends. Si je me donne gratuitement, je ne vaux plus rien ». Je suis probablement le seul à comprendre que l’argent que Korzyb exigeait, c’était une manière d’obtenir de l’amour. Et je ne crois pas me tromper en disant qu’il n’a jamais obtenu ce qu’il voulait. Excepté à la toute fin de sa vie.

Chapitre 11. Transluxion.
Korzyb n’a jamais voulu profiter de l’argent qu’il gagnait. Cet argent, c’était une preuve d’amour, cela n’était pas destiné à la consommation. Il le laissait sur un compte, juste pour en sentir la présence distante, symbolique, amassée. Puis Celia est morte. Alors Korzyb a commencé à investir. Pas seulement son propre argent, mais aussi celui des sociétés partenaires du Club des Neurones. A chaque fois que Korzyb parlait, les compagnies signaient un chèque supplémentaire. Il leur promettait des voyages aux confins du cosmos, et elles achetaient ce rêve. Puis il investissait l’argent, sagement, rationnellement, dans son projet secret. Je le dis sans honte : nous avions plusieurs années d’avance, et à chaque point d’avancement, nous fournissions de nouveaux résultats scientifiques. Tout le monde était content.
Puis, il y a quelques mois, Korzyb m’a annoncé qu’il était prêt. Il avait mené à bien la réalisation du prototype Lux 10. Tout son argent – et, à ma grande honte, tout l’argent des sponsors – avait été consacré à ce projet, qui ne verrait jamais le jour. Je fus le seul, un dimanche soir, dans la solitude du labo, à voir Korzyb monter dans ce vaisseau, pour un trajet dont je savais qu’il ne reviendrait pas.

Chapitre 12. Annonciation.
Le calcul de Korzyb était simple. Il a utilisé toute sa fortune, et sacrifié sa vie pour retourner dans son passé, au seul moment digne d’intérêt selon lui : sa rencontre avec Celia. Il a développé un prototype ultime, qui lui permette de revivre ces quelques mois en sa compagnie. A l’heure où je parle, Korzyb est déjà présent dans notre passé, il vit instantanément, et éternellement, aux côtés de Celia. Je retranscris, pour mémoire, notre dernière conversation, ce fameux dimanche soir où il nous a quittés :

– Mais vers quoi veux-tu partir ?
– Vers les uniques moments de bonheur de ma vie.
– Sais-tu ce que tu abandonnes ?
– Oui (il sourit) et ça n’en vaut pas la peine.
– Mais tes découvertes…
– Je vous les laisse.
– Et tes futures découvertes ?
– Appartiennent au passé.
– Tu es fou, Korzyb, tu ne te rends pas compte.
– Oui, c’est possible. Il faut que j’y aille, maintenant. Le temps n’aime pas qu’on le fasse attendre.
– Attends ! Qu’est-ce que je vais dire aux journalistes, comment je vais expliquer ton départ ?
– Dites-leur qu’il y a quantité de domaines de la recherche qui mériteraient d’être explorés. Les mécanismes du coeur. La mémoire. Le temps des souvenirs passés. L’attachement. La perception de la présence. Cette histoire ne fait que commencer.

Il me fit un dernier signe de la main, sourit, et enclencha le réacteur de départ.


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0 réponse à Novela – Transluxion

  1. NonsJoke dit :

    Savoureuse utilisation des réflexions que vous aviez partagé avec vos humbles lecteurs il y a quelques mois. J’adore.

    Cordialement.
    Arnaud.

  2. Docthib dit :

    @ Arnaud "Nonsjoke" : y en a au moins un qui suit ! Quelle mémoire… En effet, c’est .
    Et merci pour les compliments… je ne suis pas tout à fait satisfait, mais bon, c’est venu comme ça.

  3. Yann dit :

    @ Nonsjoke: Il n’y a qu’une explication à ce commentaire, avouez le, vous êtes un voyageur Lux0,7

    @ Docthib, j’aime beaucoup, comme toutes tes tentatives vers la "SF". J’apprécie la référence à la finance en contrepoint du récit, clin d’oeil aux lecteurs. Il ne reste qu’à s’attaquer à la Finance Fantasy, un mélange au moins lumineux de Conan le Barbare et de Wall Street.

  4. Docthib dit :

    Ah, Yann, tu as trouvé le joint : Nonsjoke a profité du paradoxe temporel, il a pris une position dans les commentaires d’il y a quelques mois, et l’a revendue aujourd’hui. Quant aux idées de SFF, j’en ai pas tant, mais je vais creuser, si je ne suis pas bloqué entre temps par une option à barrière désactivante.

  5. Kate dit :

    Récemment en vacances dans la maison familiale, une nuit d’insomnie, j’ai retrouvé une édition poche Penguin de Lolita, et j’ai commencé à le relire. Arrivée à un passage du chapitre 5, je me suis souvenue d’une conversation ancienne, et voilà, c’était ça l’exemple que je n’avais pas trouvé sur le coup, pour compléter les pointillés, dire ce qui manquait, à mon sens, avec la non-description de Celia, pourquoi elle, alors qu’elle ressemblait à toutes les autres ?
    Donc le passage est ici : docs.google.com/View?id=d…

  6. Docthib dit :

    @ Kate : je ne sais que dire. Parce que Nabokov insiste beaucoup sur ce que *n’est pas* ce profil, mais beaucoup moins sur les signes distinctifs. Pourquoi Korzyb l’avait-elle choisie elle ? Pour reprendre Nabokov, c’est dans l’oeil de Korzyb que réside le choix, lui seul avec sa flamme, sa douleur, que sais-je, a pu voir ce que les autres ignoraient – et probablement, à la Nabokov, Célia elle-même ignorait ce pouvoir qu’elle avait.
    Je m’en tire par ce qui pourrait être une pirouette, mais qui est en fait le reflet de ma vérité : seul Korzyb aurait pu répondre, il a emporté cette réponse avec lui, et je ne suis pas Korzyb, donc je l’ignore. Je me borne à penser qu’elle avait *quelque chose* que les autres n’ont pas.

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