Magnolia Express – 2ème partie – # 4

Paquebot Taxi
 
Je n’ai jamais vu Conrad sans son taxi. Je ne sais pas qui garde l’autre, mais ils se déplacent ensemble, et le taxi est toujours resplendissant, les chromes astiqués, toute la carrosserie d’un jaune flamboyant, tandis que Conrad porte le plus souvent un vieux jean crasseux, une grosse chemise de coton, et il a toujours l’air de ne pas avoir dormi les deux derniers jours. (Ce qui n’est pas possible, si l’on y réfléchit deux minutes).
Quand il s’arrête aux feux avec son taxi, ça fait une sorte de soupir, de glissement d’air, et les deux attendent doucement que le feu passe au vert. Quand on est à côté du conducteur, on voit, loin devant, le bout du capot jaune, et les gens qui passent dans la rue, il y en a qui traversent, d’autre qui marchent au petit bonheur. Puis on redémarre. Sur les rives, des coraux multicolores, des rochers grisés défilent tandis que le taxi laisse derrière lui un sillage blanc.

Quand il rencontre un autre paquebot taxi, ils échangent des signes de reconnaissance, des signaux optiques ou bien un ou deux coups de trompe. Quand ils ont le temps, ils se mettent bord à bord et échangent des informations de voyages, se racontent leurs fortunes de mer.
– Attention vieux, par devant il y a une passe dangereuse, vaut mieux prendre vers le sud.

Ou bien
– Tu as des nouvelles de l’Argentin ? Ça fait plusieurs saisons que je ne l’ai pas vu…
– Oh, maintenant il croise plus souvent vers le trentième parallèle, il en avait marre de ces eaux-là, tu le connais, il lui faut du changement.

Ou encore
– Dis vieux, je n’ai plus tellement de gazoline, tu ne sais pas où je pourrais aller me ravitailler ?
– Suis les lumières de la côte sur deux milles : à l’embouchure du fleuve, tu as un comptoir qui vend de tout.
– Ah oui, je me souviens, j’y allais souvent il y a quelques années.
 
Ce sont toujours de courtes discussions, et puis chacun cingle à nouveau vers sa destination, sur cet océan liquide où chacun crée sa propre route.


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Le roman, dans l’ordre, est
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