J’y vais de mon petit commentaire sur le match d’hier soir, sans grand espoir d’originalité, plutôt, comme d’habitude, pour poser mon cerveau sur la table et en recopier les circonvolutions sur le papier.
Au sujet du match
J’ai bien apprécié ce match, tout en actions et en stress. Les Italiens sont des très bons joueurs, avec une défense nombreuse et des contres rapides. La deuxième mi-temps était française, et je retiens les deux presque buts que l’équipe de France aurait pu marquer : le tir de Ribéry qui a manqué le but de peu, et la tête de Zidane qui ressemblait presque geste pour geste au premier but de Zidane dans ce France-Brésil de 1998.
Au sujet du geste de Zidane
J’ai beaucoup d’indulgence pour ce geste. Bien sûr, ça ne se fait pas, et le carton rouge n’est que la sanction logique et évidente d’un tel geste. Ce qui m’intéresse et ce qui, à mon avis permet de comprendre ce qui a pu passer dans la tête de Zidane avant qu’elle ne se retrouve sur le sternum de Materazzi c’est le contexte. J’ai trois éléments de réflexion, qui entrent en résonance avec ma propre vie, ce qui explique mon indulgence pour ce geste brutal.
- La pression. On oublie vite que ces footballeurs sont totalement sous pression. Le niveau de stress, le mental qui vacille, le corps qui fatigue, ne peuvent être que vaguement imaginés par les observateurs extérieurs que nous sommes. Pendant les derniers matchs, et spécialement celui d’hier soir, je répétais souvent « qu’est-ce que c’est dur ! » J’étais littéralement dans les chaussettes des joueurs, et par empathie, je souffrais (un peu) avec eux. La pression de l’auditoire, le stress de la performance, le trottinement inexorable des aiguilles, doivent être une épreuve épuisante. Dans cette situation, on n’est plus vraiment soi-même.
- Le symbole et l’être humain. Je n’ai pas spécialement apprécié le commentaire « Oh non ! Pas maintenant ! Pas après tout le bonheur qu’il nous a donné ! » Je pense, comme beaucoup, que l’on a chargé Zidane d’un fardeau bien trop lourd à porter pour une seule personne. Et ce n’est pas en évoquant son salaire que l’on pourra justifier cela. Oui, Zidane est un exemple de réussite et de travail, mais ce n’est pas un être parfait, c’est un humain. Lui dénier le droit de s’emporter, c’est lui dénier sa liberté, et son côté humain. Dans un livre, j’avais lu « il ne faut pas aller toucher les idoles, la dorure reste sur les mains ». Je revendique au contraire le droit de dire : si la dorure reste sur les mains, c’est que c’était un être humain. Et tant mieux.
J’en viens même à me demander si ce coup de tête n’a pas été une ultime ruade, une manifestation de liberté. C’est probablement du domaine de l’inconscient, mais j’aime bien penser que Zidane s’est libéré par ce geste, comme un verre qu’on a voulu trop cristallin, et qui se brise. - Le comportement des joueurs. Si je devais dire toute ma rage et mon énervement, il me faudrait plusieurs pages. Je suis choqué, outré, j’ai physiquement mal, quand je vois ces comportements de déstabilisation sur le terrain. Les insultes, le harcèlement, les tapes sur la tête des joueurs sont inadmissibles. C’est une grande hypocrisie : le joueur fait semblant de tapoter la tête d’un concurrent malchanceux, mais ce geste est en fait extrêmement méprisant, il vise à énerver, et à faire sortir les adversaires de leurs gonds. Qu’on ne vienne pas me dire que cela fait partie de l’équation psychologique, et que toute politique est bonne pour saper le moral de l’adversaire : ces gestes, ces mots, sont à vomir. Je ne sais pas ce que Materazzi a pu dire à Zidane, mais pour récolter une telle réaction, il n’a pu dire que les choses les plus basses, les plus insultantes et blessantes. Ce n’est pas comme cela que ce jeu devrait se passer. Imaginerait-on des joueurs de tennis qui s’insultent à mots couverts ? Des golfeurs qui s’asticotent mutuellement ?
Cette rage que je ressens, c’est aussi celle de celui qui s’est trouvé plusieurs fois dans des situations de conflits (automobilistes, passagers de train) et qui s’est fait insulter copieusement, en prenant le plus souvent le parti d’encaisser avec calme et de tourner l’autre en dérision. Parce que je le pense sincèrement : la violence ne résout rien, et elle défoule à peine. Mais avec tous ces encaissements, j’ai une rage qui ne sort pas, et qui est susceptible de péter un jour. Ce que je pense partager avec Zidane, c’est ce sentiment d’une grande injustice : devoir tolérer sans broncher les piqûres infmantes, sans réagir, c’est parfois au-dessus des forces d’un homme normal. Et Zidane n’est rien d’autre qu’un homme normal, c’est pour cela que je l’apprécie, et continuerai à l’apprécier.
Je trouve, contrairement à ce que tu annonces, ton commentaire original et bien senti.
Concernant la pression : il y a un truc qui m’a souvent étonné pour justifier les salaires impressionnant des chefs d’entreprise. Ils sont bien payés parce qu’ils ont une très grande responsabilité et une énorme pression. Pour compenser, on les paye beaucoup. Finalement, on pourrait rapprocher cela du joueur de foot (encore que je pense que c’est la valeur qu’ils créent pour un club ou un sponsor ainsi qu’une simple confrontation de l’offre et la demande qui justifient leur salaire). Donc si on pousse le raisonnement, ils sont bien payés pour justement supporter une telle pression. Mais je suis d’accord, c’est plus facile à dire qu’à faire…
Concernant le comportement des joueurs: je ne sais pas si c’est quelque chose spécifique au foot. Mais clairement, on apprend à tous les défenseurs (je l’ai appris également) à marcher sur les pieds de l’attaquant, à lui dire des mots "doux" lorsque le ballon et l’arbitre se trouvent de l’autre côté du terrain. Bien entendu, ça l’énerve et on peut espérer qu’il sera moins lucide quand il devra jouer.
C’est, comme tu dis, à vomir. Mais si on ne s’en rend pas compte quand on regarde un match à la télé, il est clair que Zidane doit se faire insulter par tous les joueurs qu’il croise chaque week end. Un de plus ou de moins, à son âge et avec son expérience, ça devrait lui passer au dessus de la tête. Donc cette réaction d’énervement m’étonne encore plus.
Et avec tout ça, tout le monde a oublié son formidable coup de bluff sur le penalty !
(J’étais devant le Crillon tout à l’heure pour attendre les Bleus en vain. On a poireauté une heure et on s’est barré sans les voir. Les gens ont beaucoup crié pour Zizou)
Oui ok ils sont payes pour la pression qu’ils doivent subir mais quand je vois comment moi -qui ne suis meme pas une grande fan de foot- j’etais stressee hier pendant 3h, je me dis que pour eux sur le terrain c puissance 1000. Alors ok, les italiens eux aussi etaient sous pression me direz vous mais pas autant que zizou qui jouait son dernier match avec une nation entiere qui ne comptait quasiment que sur lui ! Et puis quand on voit les rumeurs qui tournent sur ce que l’italien lui a dit, on ne peut que pardonner ! Il faut pardonner a nos heros de n’etre que des hommes….
@ Julien : sur la pression, je veux juste souligner le salaire peut être une compensation, mais pas un remède. La pression se subit, elle fait du mal au corps et à l’esprit, et certain(e)s la tolèrent mieux que d’autres, par naissance ou par apprentissage. Quant à ce que tu me dis sur l’apprentissage de défenseur, ça me désole. Je vois bien que cela peut venir d’un excès de pression, mais franchement, en match de poule dans une région obscure, où est la pression ? (je me réponds à moi-même : ben si, bien sûr, la pression locale, les jalousies d’églises…)
L’argument « Zidane en a entendu d’autres », je le comprends, mais je compte l’effet « goutte qui fait déborder le vase ». Vient un jour où une insulte de plus, en situation de grande fatigue, déclenche une réaction disproportionnée… sauf si l’on prend en compte le cumul de toutes les insultes, blessures, avanies depuis des années.
@ Véro : Je suis entièrement d’accord. Je vois dans Libé que SOS Racisme a interpellé la FIFA pour que son discours-slogan sur le racisme soit mis en pratique, s’il est avéré que M… a tenu des propos racistes. Tout cela est désolant.
Dans l’équipe DocThib!
Pas de jugements sur Zidane, après tout il est difficile de comprendre ce qui se passe réellement sur le terrain quand on ne voit le jeu que par le bout de la lorgnette d’un réalisteur au passage minable (on ne compte plus les ralentis et autres plans serrés alors que 2 ou 3 action ont eu le temps de passer)
Petit hommage à Domenech, resté sur la pelouse "pour voir ce que ça fait" (avec la tension dans la voix à ce moment) et qui ne veut pas de descente des champs. Cohérent dans ses propos que de toute façon on joue la gagne.
Vivement l’Euro qu’ils ne dorment pas aussi les italiens! Yann dans une ville avec une population portugaise, française et italienne très importante, klaxon jusqu’à 3h00 et supporters moqueurs dans la rue argghh
@ Yann : oui, bravo pour l’hommage à Domenech, qui a bu le calice jusqu’à la lie. J’ai aussi trouvé Lilian Thuram admirable, tant en temps que défenseur, qu’en temps que fédérateur, grand frère, calmeur de jeu. Un vrai professionnel. Quant à l’Euro, oui, il faudra rechausser les crampons, mais d’ici là, repos 🙂
Le coup de tête c’est un peu comme de balancer son téléphone à l’autre bout de son bureau : ça sert pas à grand chose si ce n’est 1) à tester la résistance du portable 2) à se passer les nerfs sur le premier truc qui nous passe sous la main et par conséquent 3) à s’éviter un ulcère d’ici quelques années….. c’est très con mais c’est humain.
Et puis globalement, la présence de Zidane aurait-elle changé l’issue du match ? Il y a fort à parier que Trézéguet aurait de toute façon tirer un péno.
@ L’inconnu du 3ème étage (moins dure sera la chute) : « c’est très con mais c’est humain » : entièrement d’accord, c’est même un saisissant résumé de ce que je peux lire ou entendre sur cette affaire. Quant à la présence de Zidane, personne ne pourrait dire ce qu’elle aurait fait. Des amis m’ont dit « de toute façon, Trézéguet aurait tiré au but, donc ça n’aurait rien changé ». Sans vouloir réécrire l’histoire (elle est déjà écrite, et l’autre avenir n’existe pas), je pense qu’il n’est pas cohérent de dire « si Trézéguet a raté son but, il l’aurait raté dans d’autres circonstances ». Zidane qui tirait le premier, c’était une autre ambiance. Il n’y avait peut-être même pas de tirs aux buts : on a déjà vu deux buts être marqués dans les deux dernières minutes des prolongations…
Je repensais cette nuit à ce que je te disais sur la provocation entre footballeurs. Je repensais aussi à ce que tu disais sur le côté improbable de voir des joueurs de tennis ou des golfeurs faire de même.
Et je me suis dit que ce mauvais côté du foot est probablement plus lié au sport d’équipe en général. Dans le rugby, tu as aussi des mauvais coups dans les mêlées et j’imagine qu’au waterpolo ça ne doit pas être tendre non plus.
Quand tu joues dans une équipe, le plaisir n’est pas de jouer contre l’adversaire, mais de jouer avec ton équipe. Sauf qu’en face, t’as une bande de mecs qui veut te gcher ton plaisir. T’as pas de raison de devenir pote avec eux. Donc tu fais corps avec ton équipe contre l’autre équipe. C’est un des plaisirs du football. Il y a un peu un côté guerrier, mais sans les morts (enfin pas tout le temps). Et puis ne négligeons pas les contacts. Les joueurs de tennis ou les golfeurs ne sont pas en contact entre eux pour faire rater le coup à l’adversaire. Ne ferait-il pas comme les footballeurs ou doit-on considérer qu’ils ont un chromosome en plus (ou en moins c’est selon) ?
Je peux comprendre que cela parasisse désolant et infme. Mais je me souviens que j’étais hyper excité avant les matchs parce qu’on allait défier tous ensemble une autre équipe. Dès les vestiaires où l’on se croise jusqu’à l’échauffement puis la poignée de main finale, on essaye d’impressionner l’autre, voire le provoquer. Je ne sais pas si c’est malsain. Je l’ai toujours vécu comme un bonheur d’être une équipe.
Enfin je dirai que le football est avant tout un sport populaire, un sport qui se joue beaucoup dans la rue, où il faut montrer qu’on est le plus fort, le plus malin, le plus fier.
Et Zidane vient de la rue, non ?
Pour signaler un très bon article dans les Cahiers du Football qui fait echo à ce billet.
http://www.cahiersdufootball.net...
Je pense aussi que l’histoire du golf ou bien du tennis peut nous montrer aussi cet aspect. Que dire des colères de Mc Enroe, des balles vicieuses jouées sur l’homme, de ce qui peut se passer dans les vestiaires ou hors des compétitions?
J’ai joué 12 ans dans une équipe de Basket et je confirme ce que dis Julien… la chambre était un sport national et j’avoue que j’aimais bien mais on entendait rarement des injures (et sur la famille ou les origines jamais car après cela dépasse les limites de la provocation sportive et "bonne enfant")
Rien ne vaut l’équivalent anglais de la goutte d’eau. "It is the last straw that breaks the camel’s back…"
Zidane il a cassé..
Tir groupé de commentaires, messieurs ! C’est super, ça remplit mon vide existentiel…
@ Julien : oui, en effet, quand j’écrivais ma comparaison sur le tennis, je pensais à l’effet équipe. Donc tu as raison pour l’émulation. Maintenant, je pense qu’il y a une limite entre le fait de charrier les autres (« tu vas la rater, ta balle ! » ; « oh dis donc, c’est un festival ! ») et les insultes personnelles et dégradantes (t’as un gros cul, t’es un bougnoule, etc.). Le problème, le paradoxe, c’est que c’est un jeu médiatisé. Jeu, ça veut dire fair play, et plaisir, cela confine presque à l’art. Médiatisé, ça veut dire gros enjeux et grosse pression. Quant à l’origine de Zidane, ce n’est pas exactement la rue… Il n’était pas chef de bande (et je le tiens de source sûre : c’est dans le Youpi de mon fils).
@ Yann : merci pour la référence à ce très bon article, passionné et argumenté, très bien écrit à mon goût. Bon, OK, McEnroe : 1. je ne crois pas qu’il insultait personnellement les autres joueurs ; 2. Il était régulièrement sanctionné ;3. Ce n’est pas parce que McEnroe le faisait qu’on doit laisser Materazzi continuer à le faire.
@ Léo : OK, donc on est bien d’accord. Mais je dois confesser ma candeur : je n’ai joué que quelques années de hand-ball dans l’équipe de mon lycée, ce n’est pas beaucoup. Mais dans cette période je n’ai jamais entendu d’insultes.
@ Nerik : welcome back, young man ! En fait de paille, je pense que c’était plutôt une poutre 🙂