Polissons

Depuis quelque temps, j’ai l’impression de perdre du sens, et des auditeurs, dans mes cours. Un sentiment de redite – classique chez un prof – m’étreint. Ayant l’impression d’être moins intéressant, je suis moins motivé, donc moins intéressant, etc. Alors je me dis, tel le Phénix moyen : réinventons-nous. Si en 13 ans, je n’ai pas réussi à avoir le même support de cours pendant plus de 6 mois, ça veut dire qu’il y a toujours quelque chose à améliorer, changer, supprimer. Surtout supprimer. Je me souviens d’un manuel américain qui, dans sa 2ème ou 3ème édition, se vantait d’avoir réduit son nombre de pages. Il avait entièrement raison (et pas seulement parce que c’était un manuel de compta).
Je liste donc ici quelques points, quelques pistes de réflexion :

  • plus le temps passe, plus je deviens adepte du learning by doing (l’apprentissage par le faisage, ou l’apprentissure par la facture. plus celle-ci est salée, plus on apprend). Maintenant, le teaching by doing (l’enseignance par faisance) est difficile à développer, car il présuppose une certaine liberté (celle de laisser l’étudiant se tromper, ou errer) tout en gardant à l’esprit un fil, non, pas bon, un ensemble de concepts qu’on veut faire passer. C’est ça, il n’y a pas de chemin absolu, mais clairement, des points de passage.
  • mes séances d’intro à la finance, autrefois unanimement (c’est-à-dire, par ma seule voix) considérées comme des modèles de clarté et de synthèse, deviennent, à mes yeux au moins, une suite de sentences assénées et d’exemples desséchés usés jusqu’à la corde. De plus, et c’est là où le couteau virevolte dans la plaie, cela m’a l’air complètement déconnecté de la séance 2, où l’on se mange direct des Mathématiques Financières.
  • Hier soir en live, j’ai été défié sur l’efficience des marchés, et – probablement parce que j’en ai beaucoup parlé, en cours et ailleurs – je n’ai pas été très bon à la réponse. Je veux dire, bien sûr que j’ai été incroyablement bon, excellent, et tout et tout, mais en me mettant à la place du questionneur, je me dis « ce n’était pas convaincant ». Ce matin aux lieux d’aisance, j’ai mis le doigt sur le problème : plutôt que de partir bille en tête sur la création de valeur, on devrait commencer par l’être humain, la rationalité (supposée, et de toute façon limitée) et l’efficience. Si j’arrive à montrer que l’efficience des marchés est une conséquence logique de ce que l’on sait sur la manière de raisonner de l’être humain, je pense que je retrouverai mon état de Phénix aux ailes dorées.

Donc je commence à glaner des articles sur les singes (les vrais, pas certains de mes collègues) pour appuyer ma réflexion future.

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0 réponse à Polissons

  1. Christian dit :

    Normalement, les élèves de première année étudient en psychologie et management ("psycho pipo"), les modèles d’Herbert et de rationalité limitée et autres théories sur les choix.
    Peut-être qu’un peu de transversalité dans ton cours ne te ferait pas de mal, en t’appuyant ce qu’ils ont déjà vu 6 mois auparavant (si on donne cette espérance de vie aux cours engrangés la veille de partiels).
    Bon courage.

  2. Très bonne idée, que je vais creuser. Ma question était néanmoins plus générale : je faisais aussi référence à des cours avec cadres (formation permanente ou MBA exec), qui n’ont pas eu ces cours auparavant (enfin, pas systématiquement). Mais revenir aux bases ne me fera pas de mal, moi aussi j’ai une faible espérance de vie de mes connaissances dans ce domaine 😉

  3. Nerik partit bille en tête sur la création de valeur. dit :

    Ci-dessous un petit extrait d’Analyste d’Edouard Tétreau qui parle de la création de valeur.
    « Quand un peuple tombe en esclavage, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clé de sa prison », écrivait Alphonse Daudet dans la dernière classe Récit d’un petit Alsacien.
    « Est-ce que vous comptez créer beaucoup de valeur cette année ? »
    Ce qu’Augustin Brogniard ne savait pas , c’est que sa création de valeur n’est qu’un erreur de traduction. En Français, cette expression a une visée prométhenne. Qui donc crée de la valeur, à part les dieux ? Dans notre langue, on peut dire que telle personne, tel objet « a » de la valeur. Il arrive aussi que l’on « hérite » de valeurs qui nous précédaient. Mais la création de valeur, ex-nihilo, mazette ! Serions nous puissants à ce point, sur les marchés, que nous créerions de la valeur, des valeurs, sans le savoir explicitement. Augustin Brongniard faisait partie de ces nombreux Monisuer Jourdain de la création de valeur. Il ne se demandait pas si l’entreprise concernée avait réalisé des profits cette année là. Il ne se demandait pas non plus si les actionnaires avaient reçu des dividendes. Il était déjà au-delà de ces ennuyeuses réalités terrestres et comptables. Il était dans le champ élyséen de la création de valeur.
    La création de valeur vient d’une expression anglo-saxonne to create value for the shareholders, littéralement et bêtement traduite en français par « créer de la valeur pour les actionnaires ». Mais, en fait, to create value for the shareholders vient d’un concept beaucoup moins démiurgique, beaucoup plus prosaïque, qui est le shareholders’ value. Ce qui signifie€¦ les fonds propres qui reviennent à l’actionnaire !
    En six années d’analyse financière, je me suis aperçu que la plupart des gigantesques erreurs d’appréciation des investisseurs, et des entreprises qui auront trop joué le jeu de ces derniers, ne provenaient pas de chiffres mal audités, mal calculés ou mal interprétés, mais de mots mal employés, mal formulés, mal compris.
    La création de valeur est une formidable baudruche intellectuelle, une figure de style pour faire chic, et qui a éclipsé la base de la finance : les fonds propres, le retour sur fonds propres, la rentabilité. Et la prise en compte du risque, le risque assumé.

  4. Merci pour cette référence, Nerik, je me pencherai peut-être sur les écrits de Tétreau, et peut-être pas… En effet, autant je pense qu’il vaudrait mieux bien réfléchir sur « la nécessité de créer de la valeur » (et je m’y emploirerai à l’occasion), autant je ne suis pas d’accord avec l’ami. Il n’y a pas que les dieux qui créent de la valeur, car il n’y a pas que les dieux qui font monter la valeur d’une entreprise. Je ne parle même pas obligatoirement de société cotée. Je crée une boite au capital de 10 000 €, et je lance un produit génial, avec buzz, phishing et autre tactique de neo-marketing viral. Si quelques mois après, j’ai un marché de 10 000 consommateuses qui génèrent un cash-flow annuel de 1 M€, ma boite vaudra entre 1 M€ et 20 M€, suivant l’humeur. Je ne fais pas dans la précision, mais dans la démonstration : si ma boite vaut 5 M€, cela signifie que j’ai créé 4,990 M€ de valeur.
    Et je ne suis pas un dieu, malgré certains commentaires sympathiques, mais éthyliques et nocturnes. Enfin, j’aimerais que l’ami Tétreau m’explique ce que signifie « to create value for shareholders », si ce n’est pas « créer de la valeur pour les actionnaires ». Parce que les fonds propres, ça se dit Equity, le retour (mauvais terme) sur fonds propres, c’est return on equity, et la rentabilité (bon terme), c’est return. Je ne vois nulle part les mots « value » ou « creation ».

  5. nerik dit :

    Allez faut pas s’énerver, c’est juste que c’a m’a fait marrer, au moment ou je lis votre blog, je venais de finir le chapitre la dessus dans son bouquin Analyste qui se lit tout seul. Article à venir sur le géniallissime blog adebains.over-blog.com

  6. spritz dit :

    Pour ma part, j’ai trouvé la séance d’intro à la finance pour l’exec-MBA intéressante! Et je ne dis pas cela pour avoir une bonne note à l’examen d’août! :-p C’était clair, vivant, avec des gags plus ou moins réussis (souvent moins d’ailleurs!) et l’exemple notamment du fermier avec son champs m’a permis de me familiariser plutôt bien avec des notions que je ne connaissais que vaguement. J’attends donc de nouveaux exemples pour les Mathématiques Financières!

  7. Christophe Thibierge dit :

    @ nerik : comme le dit Ben, « je m’énerve pas, j’explique ! » 😉 La citation m’a fait bondir, car (1) je suis en pleine crise existentielle sur l’efficience des marchés (j’y crois sans aucun doute, mais je m’épuise à la défendre) et (2) je reconnaissais le ton des personnes qui n’ont jamais pondu un cahier de recherche ou un article, mais qui « savent ». Grrr… Cela dit, l’excellent blog sus-mentionné présente une critique de l’ouvrage qui me donne envie de le lire…

    @ spritz : OK, merci de ce feed-back. J’avais déjà noté, pour les gags, il faut que je me calme. Je vais travailler mes exemples 😉

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