Livre lu : Douglas Kennedy – L’homme qui voulait vivre sa vie

Je suis toujours sans réponse, quand on me demande « que veux-tu pour Noël / ton anniversaire ? » (oui, je fais partie d’une famille où cela se pratique encore, même à un grand âge comme le mien). Aussi, il y a quelques années, j’ai pris le renne du Père Noël par les cornes, et je me suis fondé sur l’excellent guide Fnac 10 ans de littérature[s] en 200 livres (lui-même m’ayant été offert en cadeau). Ces guides Fnac (à l’instar de celui sur les disques de jazz) sont très bien faits, car ils donnent notamment des correspondances, au sens baudelairien du terme : « si vous avez aimé ce livre/disque, vous aimerez aussi … »
Je me suis donc constitué une liste, par correspondances successives, de « nouveaux livres à lire / cadeaux à demander ». Douglas Kennedy en faisait partie.
Je n’ai pas vraiment pu décoller de ce roman, que j’ai lu très vite. Très rapidement, je me suis senti happé par le style, qui est pourtant assez fluide, et par l’histoire, qui commence par un désenchantement, un homme qui a le sentiment de vivre à côté de sa vie. A propos du style, je me suis dit : « y a pas à dire, ces américains savent écrire de manière rapide et sans détours ». Cela m’a rappelé les deux John Grisham que j’ai lus : The Firm, et The Street Lawyer. Mais dans les romans américains, on passe vite du style efficace à la « soupe » populaire. La distinction est subtile, et je me permets de citer avec délectation Douglas Kennedy lui-même, ou plutôt le narrateur de son roman :

Dans la salle d’attente de la gare de New London, j’ai soufflé une demi-heure en essayant de me plonger dans le roman – de gare, justement – que j’avais pris avec moi. L’habituelle salade à la Tom Clancy, Jack Ryan sauvant les Etats-Unis d’une poignée d’islamistes fanatisés qui menaçaient de balancer une bombe atomique sur Cleveland. Il y avait une scène dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, avec le Président déclarant au héros : « La nation compte sur vous, Jack » ; une autre où Ryan annonçait à sa femme « La nation compte sur moi, chérie » ; une autre où le même Ryan affirmait à l’un de ses coéquipiers : « la nation compte sur nous, Bob. » Ce Clancy n’est pas un écrivain, c’est une sous-direction de la CIA à lui tout seul.

Douglas Kennedy, L’homme qui voulait vivre sa vie, Pocket, n° 10571, p. 251-252.

L’histoire est bien rythmée, les personnages sont en même temps plausibles et relativement imprévisibles, bref, quelques jours de détente. De surcroît, sans avoir l’air d’y toucher, l’auteur distille quelques idées sur la vie américaine (la californication, un équivalent outré de nos BoBos) ou la photographie. J’ai bien aimé par exemple :

Une bonne photo, c’est toujours un accident. […] On peut passer des heures à attendre « la » photo, pour finir par constater que le moment attendu ne s’est pas produit, mais par découvrir aussi qu’en déclenchant l’appareil pour tuer le temps on a obtenu quelques prises vibrant d’une spontanéité qui manquera toujours aux compositions les plus léchées. Règle numéro un de cet art : on ne choisit pas le bon moment, on tombe dessus, en priant le ciel d’avoir alors le doigt sur le déclencheur.

Douglas Kennedy, L’homme qui voulait vivre sa vie, Pocket, n° 10571, p. 129-130.

Bon, je mettrais bien un boitier numérique Nikon dans ma liste de cadeaux d’anniversaire (merci à Yann pour l’idée de changer le boitier, puisque j’ai déjà les objectifs Nikon), mais il va falloir faire un achat groupé… N’empêche, la phrase du commentaire (« Il bénéficie d’ajustements qui aideront les photographes à saisir l’instant décisif dès qu’il se présente. ») entre en correspondance certaine avec le paragraphe de Douglas Kennedy.
Allez, je retourne corriger mes copies, ça me fera des sous.

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Repentir

Dans un billet récent, je disais :

Quand un peintre se ravise, et qu’il recouvre une partie de son tableau (pour effacer un personnage, par exemple), on dit qu’il fait une repentance. Contrairement à mon habitude, je ne pointe pas vers l’article correspondant de Wikipedia, car Wikipedia ne mentionne pas ce sens-là. Une recherche sous Google ne donne que des pages portant sur le sens religieux du mot […]. C’est assez étonnant, je suis sûr du terme et de sa signification. […] puis, si comme je m’en doute, le terme repentance est accepté dans les meilleurs cercles de la société, je m’en irai augmenter Wikipedia. Mais si mon contact au Musée du Louvre m’éternue de rire au nez « Comment, mon pauvre garçon, quel terme baroque veux-tu inventer ?! », je m’en irai faire repentance dans un quelconque bougnat.

Bien. C’est donc l’heure du bougnat. Mon contact au Musée du Louvre (elle vient d’ailleurs de mettre au point le mini-site sur l’exposition Ingres) m’a détrompé : on ne dit pas une repentance, mais un repentir.
Je m’en vais donc corriger les articles concernés, et dans un second temps, j’alimenterai Wikipedia (qui utilise le terme pour Le Greco, mais sans le définir)(MAJ du 26 février : c’est fait).

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Zephirum

La première fois que j’entendis parler du zephirum (le zéro), c’était dans La nuit des enfants-rois, de Bernard Lenteric, où un très jeune garçon prodige étonnait un adulte en remarquant que (je cite de mémoire) « de tous les chiffres, seul le zéro gardait la même signification quelle que soit sa place dans le nombre. » J’y avais souvent repensé sans, je l’avoue, arriver vraiment à comprendre.
Puis, dans un roman de Jean d’Ormesson que je lisais (Histoire du juif errant, je crois), un personnage arabe dessine dans le sable un petit cercle, en disant que ce zephir est la plus grande invention de tous les temps.
Puis, dans Le théorème du perroquet, déjà mentionné en fin de ce billet, nouvelle mention des chiffres arabes, sans insistance particulière sur le rôle – et la spécificité – du zéro. Donc, entre La nuit des enfants-rois, que j’ai dû lire vers 1985, et Le théorème du perroquet (lu pour la première fois en 2003), 18 années d’incompréhension, sauvées depuis hier par la lecture d’un ouvrage de 1202. Léonard de Pise nous le dit, et c’est pour moi la deuxième révolution des chiffres arabes :

« Ainsi, si c’est le nombre cinq cents que vous souhaitez écrire, en première et en deuxième place, vous inscrirez le zephir, en en troisième place, le chiffre cinq, de cette manière : 500 ; et ainsi vous pourrez écrire une ou plusieurs centaines avec deux zephirs. »
(traduction par mes soins depuis le livre en anglais, p. 18).

Ainsi, de même que le blanc n’est pas une couleur, de même que notre écriture se compose de 26 lettres et de l’espace, de la même manière, notre « alphabet mathématique » se compose de 9 chiffres et d’un espace, communément appelé Zéro. Un 1 à la place des unités signifie « un ». A la place des dizaines, il signifie « dix », « cent » a la place des centaines, et ainsi de suite. Il en va de même pour les 9 chiffres, en revanche, quelle que soit sa place, un 0 signifie toujours « il n’y a rien ici ».

Le zéro, c’est le vide à côté de l’arc-en-ciel, celui qui, par sa non-existence, donne sa stature à l’existant.

Cela me fait immanquablement penser à La disparition, de Georges Perec, que je vais essayer de décrire dans le style, et selon la contrainte, de l’auteur :

un roman où, sur vingt-six signifiants, tous sont là sauf un, l’absolu. Absolu, non, mais important, car l’individu (composant pourtant moult mots) fut banni du discours. Imaginons l’abstraction du Z, ou l’abolition du K dans un roman : coton, mais pas surhumain, car la proportion du discours français où Z apparaît (ou K) vaut un minimum. Mais l’individu abstrait ici fut plus courant qu’un K, plus primordial, surtout pour un continuum bâti sans lui. L’amputation du discours signifiait l’aboli par omission, lui dont la disparition occupait un quatuor d’individus durant tout l’opus.

A plus.

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Histoire de la finance – la révolution des chiffres arabes

Je travaille sur deux livres actuellement, il ne s’agit pas de ceux que j’écris (ma traduction, et mon Grand Projet), mais de deux livres d’histoire de la finance que j’ai achetés récemment :

Ce sont deux livres qui traitent de l’histoire de la finance, soit sous l’angle d’une impressionnante somme chronologique, analysée et commentée avec intelligence, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours (Belze et Spieser), soit en prenant l’exemple d’un manuel de mathématiques (mais aussi de commerce) du XIIIème siècle sans aucune équation (la traduction du manuel de Fibonacci). Je me régale, car cela comble mon inculture encyclopédique. Je découvre quantité de choses, aussi je partage mon étonnement.

La découverte du jour porte plutôt sur le Fibonacci (je me réserve, pour la suite, de parler du Code d’Hammourabi dans le Belze-Spieser), précisément sur l’avènement des « chiffres arabes » en Europe. C’est Fibonacci qui a tout fait en 1202, si, si. Ces chiffres étaient anciens, puisque en fin de mon billet, je citais Brahmagupta au VIème siècle après JC. Fibonacci n’a donc pas inventé ces chiffres, mais il en a popularisé l’usage avec un manuel qui m’a l’air extrêmement clair et pédagogique.

Empruntons la De Lorean de Marty McFly et opérons un Retour vers le Futur.
Nous sommes au XIIIème siècle, et depuis la Rome antique, on compte en chiffres romains. Ce n’est pas le nirvana, pour deux raisons détaillées ci-dessous :

  • C’est super fastidieux à écrire. Même s’il y a un ordre logique (les chiffres des centaines arrivent avant les chiffres des dizaines, eux-mêmes passant devant les chiffres des unités), il faut avoir une plume bien taillée pour écrire huit cent quatre-vingt sept : en chiffres romains, cela nécessite DCCCLXXXVII = 11 caractères. Vous me direz, en lettres, cela nécessitait 27 signes (espaces et tiret inclus). En chiffres arabes, 3 caractères : 887. Je ne vais pas en dériver une loi absolue, mais pour chaque chiffre arabe (unités, dizaines, centaines, milliers, etc.) il faut en moyenne 2 à 3 chiffres romains. 4212 nécessite MMMMCCXII = 9 caractères. Que dire de 763 987 238…
  • Ces chiffres arabes ont permis de gagner du temps, car auparavant, il y avait deux mondes distincts : celui de l’écriture des nombres (en chiffres romains) et celui des calculs (réalisés avec un boulier). Pour faire XIX plus XLIII, il fallait « introduire » ces valeurs dans un boulier, calculer la somme, puis la retranscrire en chiffres romains (soit LXII). Fibonacci arrive, et hop, ce qu’il a appris des Arabes (qui l’ont eux-mêmes appris des Indiens), ce n’est pas seulement un système de codage plus efficace : cela vient aussi avec une boite à outils d’algorithmes, c’est-à-dire de manipulations de ces chiffres pour réaliser toutes sortes d’opérations. Exit le boulier : le chiffre est devenu matière malléable, sur laquelle on peut directement travailler. On pose une addition, on retient 2, qu’on rajoute aux dizaines, ou on calcule le reste d’une division sur un coin de table : chapeau, Fibo !

Je cherche une analogie en informatique, et la trouve approximativement: aux beaux temps de l’Intelligence artificielle et des systèmes experts (toute ma jeunesse), on opposait l’informatique procédurale (un programme est constitué d’une part d’un listing d’instructions, figées dans la pierre, qui sont censées réaliser des opérations, et d’autre part, de variables mouvantes, qui prennent différentes valeurs, dynamiquement) et les langages d’intelligence artificielle où il n’y avait plus, ni linéarité de l’algorithme (Exit le if… then… else…), ni variables en tant que telles: tout le programme devenait variable…

Je sens que vous ne suivez déjà plus, je vous parlerai donc une autre fois du Zéphir, cette absence qui a une valeur.

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Caillou – Ma vie se débite en tranches de 10

Ma vie se débite en tranches de dix.
10 euros, 20 euros, 30 euros,
je glisse des billets
et rien ne me reste.
La petite monnaie me manque.
J’aimerais avoir des pièces
pour acheter du pain,
pour mes enfants, pour moi.

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Nos retraites : rien que du bonheur…

Cela fait plusieurs semaines/mois/années que je souhaite mettre à plat une réflexion sur le financement des retraites. Donc, je voudrais réaliser, et mettre en ligne, un petit utilitaire de calcul de retraite, avec le pré-requis suivant : c’est pessimiste, mais ce modèle supposerait que la retraite versée par répartition sera dérisoire, bref, ce sera un modèle de retraite par capitalisation (je verse de l’argent sur un compte, il fructifie au fil du temps, et à ma retraite, hop, je me paye tout le Viagra que je veux). Je ne prends aucune position politique, mon domaine, c’est l’économique. Donc, je ne prédis rien, mais cela m’intéresse de tester la sensibilité, en d’autres termes, « combien faut-il que je verse chaque mois pour être sûr de pouvoir vivre décemment jusqu’à ma mort ? »
Oui, je sais, la finance, c’est que du fun.

J’ai donc en tête les paramètres suivants (que je récupère notamment d’un excellent ouvrage que j’ai traduit en 2000, précisément au chapitre 5) :

  1. le montant que l’on souhaite épargner chaque mois
  2. le taux d’intérêt auquel on peut placer cet argent
  3. le nombre de mois d’ici la retraite (donc le nombre de versements)
  4. => Cela devrait donner une somme d’argent : « à la date de votre retraite, vous aurez accumulé XX zilliards d’euros, yo !« 

    Restent les paramètres de l’après :

  5. le niveau de vie souhaité après retraite i.e. ce que l’on dépenserait chaque mois (pour savoir en combien de mois/années le capital sera cramé)
  6. à comparer notamment au niveau de vie avant retraite i.e. ce qu’il restait du salaire chaque mois (après épargne retraite) pour vivre
  7. l’espérance de vie, qui permettra d’obtenir la durée de la retraite

Pourquoi, tout à coup, décidé-je de mettre sur le cyberpapier ces réflexions, en attendant de développer la feuille de tableur qui tue ? (au figuré…)
Parce qu’hier soir, mon ami Jim Mahar (ce n’est pas mon ami, il ne me connaît pas, mais dans la blogosphère, on se tutoie et on cotoie les grands pour s’asperger d’un peu de leur poussière divine), de FinanceProfessor, a mis sur son blog le compte rendu d’un article qui établirait que l’espérance de vie étant bondissante chez les espèces dont la vie est fondée sur le carbone (pas les tigres, non, les humains), on devrait s’attendre à des âges de retraite évoluant à 75 ans, puis 85 ans. Donc mon point 3. devra clairement être un paramètre, et non une variable fixée… Que du bonheur, je vous dis.

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Des tigres, des actionnaires, et de l’éducation des masses

Ce soir, mon fils (6 ans, 39°6) me dit d’une voix faible, mais ferme :
– Papa, moi je ne veux pas qu’on chasse les tigres roux (car il connaît aussi les tigres blancs)

J’ai beau le rassurer en lui disant qu’ils font partie d’une espèce protégée, je sais que cet argument n’aura jamais de poids dans la tête d’un indigène qui espère se faire quelques dollars (soit, son salaire mensuel) en tuant un tigre pour le compte de quelque poussah luisant. Comme le dit (je cite de mémoire) Romain Gary dans Les racines du ciel,

« un éléphant, cela représentait plusieurs semaines de viande qu’un coup de sagaie heureux pourrait procurer à la tribu. La noblesse de l’éléphant, c’est une pensée d’homme rassasié ».

Et je me dis que l’évolution des esprits ne passera pas par les sanctions (les garde-chasses touchent quelques dollars de plus par mois, mais pas beaucoup plus) mais plutôt par l’éducation. S’il n’est pas trop tard.
L’analogie est bonne pour certains actionnaires – et analystes – sur les marchés financiers. Avoir l’oeil rivé sur le résultat du prochain trimestre, c’est vivre à très court terme, c’est tirer des tigres tant qu’il y en a, pour un petit profit. En revanche, permettre à un dirigeant de créer un projet d’entreprise, de motiver et rémunérer tous ses employés, et d’investir intelligemment, c’est comme de créer un parc zoologique de tigres : les recettes deviendront bien supérieures à celles obtenues en braconnant. Et le monde sera meilleur, oui, oui.
Mais qui sera assez éduqué pour avoir la patience d’attendre ?

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Livre lu : Stanislas Lem – Contes inoxydables

J’ai mis à profit ces vacances pour finir de lire les Contes inoxydables de Stanislas Lem. Cet auteur polonais serait toujours un inconnu pour moi, si je n’avais pas aimé le film Solaris (2002) de Steven Soderbergh. En effet, ce film est un avatar du Solaris (1973) d’Andreï Tartovski, film lui-même tiré du roman du même nom de Stanislas Lem.
Je m’attendais donc chez cet auteur à l’ambiance de Solaris-le-film : une forme de mysticisme, des jeux de miroir entre personnages, un grande froideur aussi. Et je suis tombé sur un recueil de nouvelles extrêmement ludiques, certes, c’est de la science-fiction, mais une science-fiction poétique, jouant constamment sur les mots (un sénéchal-ferrant, Automathieu, les trois électribuns…). Je plains – et j’admire – le traducteur, qui a dû retranscrire en français la frénésie de jeux de mots qui existait, je le suppose, dans le roman original en polonais.
C’est un mélange de Ray Bradbury (pour la poésie), Isaac Asimov (notamment pour le côté « robots ») et Douglas Adams (pour la folie imaginative), ce dernier étant le génial auteur du guide galactique (autrefois appelé le Guide du routard galactique).
Je n’ai pas de citation en particulier, mais une impression d’ensemble : je trouve sympathique que dans ce recueil de 11 nouvelles, on ait en même temps une explication alternative du Big Bang (« La fuite des nébuleuses »), donc le commencement, et une démonstration du ridicule de l’Univers (« Le roi Globares et les sages »), donc la fin. J’aurais bien dit « l’alpha et l’omega », mais ces temps-ci, on parle un peu trop de religion…

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Quelles sont les trois raisons pour devenir prof ?

« Juin, Juillet, Août. »
Et aussi les vacances de février.

Donc ce blog se met en vacances pour une semaine, et moi de même, par voie de conséquence. Je vais profiter de ces vacances pour :

  1. continuer à traduire le Brealey-Myers
  2. faire du ski de fond pour me préparer au semi-marathon et marathon de Paris (et il y a du boulot)
  3. gérer la meute (un homme pour deux femmes et quatre enfants entre 2 et 6 ans)
  4. et heureusement, faire des grosses bonnes bouffes (cf. point 2.)
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Citation – Le risque et le temps

J’aime beaucoup les écrits de Paul Valéry, mais je dois confesser que certaines pensées me dépassent. Le matin, après la douche et deux cafés, bien concentré et alerte dans mon métro matutinal, je capte beaucoup de choses, et je me dis « Ce Valéry, c’est un cador ». Le soir, après des heures passées dans mon bureau, à supporter des collègues à l’humeur volatile, des flots d’e-mails, et des amphis d’étudiants – la crème de la crème, mais il y en a certaines qui ont tourné – bref, dans mon métro vespéral, j’ai plus de mal à appréhender la profondeur des raisonnements du génial penseur.
Je viens de finir un livre commencé il y a… 9 mois, abandonné, repris, ça ne fait pas trop de mal, puisque c’est une collection de différents écrits (articles, lettres, conférences) de Paul Valéry. Intitulé Variété 1 et 2 (Idées, Gallimard, n° 394), l’ouvrage commence par cette fameuse phrase (issue d’une lettre écrite en 1919) :

Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

Au fil des pages et du rythme des rails, j’ai glané quelques passages à couleur financière (enfin, c’est moi qui trouve une résonance financière à ces passages) :

Nous espérons vaguement, nous redoutons précisément ; nos craintes sont infiniment plus précises que nos espérances.
p. 31.

Comment ne pas penser au couple espérance – variance, où la variance, c’est la fluctuation que l’on redoute ? 😉
Dans le même esprit :

Le mesurable a conquis presque toute la science et en a discrédité toutes les parties où il n’a pas pu s’introduire. La pratique presque tout entière lui est soumise. La vie, déjà à demi asservie, circonscrite ou alignée ou assujettie, se défend difficilement contre les horaires, les statistiques, les mensurations et les précisions quantitatives, dont le développement en réduit de plus en plus la diversité, en diminue l’incertitude, en améliore le fonctionnement d’ensemble, en rend le cours plus sûr, plus long, plus machinal.
p. 159.

En parlant d’Henri Beyle, c’est-à-dire de Stendhal :

Il avait remarqué que ces hommes importants, si nécessairement associés à la bonne marche des affaires, sont nuls et muets devant l’imprévu. Un Etat qui n’a pas quelques improvisateurs en réserve est un Etat sans nerfs. Tout ce qui marche vite le menace. Ce qui tombe des nues l’anéantit.
p. 193.

Ce « tout mesurable » m’inquiète. J’y vois un dessèchement des facultés d’imagination et d’improvisation, et une forme de religion aveugle vis-à-vis des machines.

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Livre lu : Paul Guimard – Les choses de la vie

Cela fait quelques jours que j’ai fini Les choses de la vie, de Paul Guimard (Folio n° 315). Comme je le mentionnais dans un billet collatéral, cela démarre avec le désenchantement quadra d’un avocat à qui tout a réussi, mais qui se tâte, bon, on se dit « calme-toi, vieux, bois un coup et respire ». Sauf qu’il ne peut pas boire un coup, il est en voiture et il médite.
Ce désenchantement, que je retrouve dans des romans contemporains d’Antoine Blondin (et paf, encore un qu’il va falloir que je wikipédise) ou de Paul Morand, vient à mon avis de cette génération qui a vécu la seconde guerre mondiale. Le narrateur des Choses de la vie est né en 1927, donc il avait 18 ans en 1945, à peu de choses près, l’âge de René Fallet, dont je relis régulièrement le Journal écrit dans les années 47-48. Je ne connais pas bien cette époque de l’intérieur, j’essaie de situer. Des gosses ont vécu des privations, certains ont fait de la résistance sur le tard (à cause de leur jeune ge), ça libère, les amerlauds apportent du pineutte beuteur et des disques de jazz, c’est l’euphorie zazou. Et puis hop, reconstruction, on se retrousse les manches et on touche les dommages de guerre, tout est à faire. 20-25 ans après, c’est l’époque des Choses de la vie, le narrateur est installé, et son désenchantement vient probablement de son confort matériel (il a une MG, gagne bien sa vie, est connu) qui ne suffit plus. Vue de loin, cette période des 30 glorieuses m’apparaît, sous le voile de la littérature, comme une période d’essoufflement : « Bon, OK, on a reconstruit, et maintenant, quel est le chantier motivant qui nous sortira de notre ornière confortable ? » Ce sera, pêle-mêle, la guerre froide, l’assassinat de Kennedy, Mai 68, le Vietnam…
Et puis le roman bascule, et j’ai le sentiment de passer dans un autre texte, beaucoup plus intemporel, probablement universel. Et je pense à L’homme pressé, de Paul Morand, avec des analogies et des dissemblances. Les deux romans contiennent une deuxième partie qui est une méditation (?), bref, une suite de pensées sur la mort, le temps, de la microseconde à l’année, qui enveloppe quelques gestes. Un bilan rapide sur une existence, et tout-à-coup, un renversement de l’ordre des choses, entre l’important et le futile.
Rien de bien nouveau, me direz-vous. Certes, mais bien condensé, et bien écrit. Et pour une fois, Paul Morand l’académique a été moins précis, ou moins profond, que Paul Guimard.

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De la microseconde à l’année

Quand on publie un article de blog, on peut le faire référencer (je crois qu’on dit pinguer, mais je ne sais pas si ça s’utilise à la voie active ou passive. Les Monty Python ont même une machine qui fait Ping), et en quelques secondes, Technorati l’a référencé, hop, on existe sur la Toile. En revanche, il y a des mises à jour qui prennent plus de temps. Aussi, certaines rubriques sont déjà du passé. Il convient de connaître le décalage temporel de ces pages, pour éviter des bévues. Voici quelques durées moyennes :

  • les liens d’une page Internet professionnelle datent en moyenne de 6 mois ;
  • les liens d’une page Internet personnelle datent en moyenne de la date de création de la page + 3 semaines ;
  • la photo en ligne d’une personne date en moyenne d’il y a 6 ans (écart-type de 2 ans), ce qui n’est guère pratique. On devrait disposer d’un vieillisseur de photos en ligne, ce qui éviterait de chercher un homme de 40 ans au cheveux aile-de-corbeau, alors qu’il s’agit d’un vieillard égrotant au cheveu plus sel que poivre.
  • le CV en ligne d’une personne a au moins deux ans de retard ; évidemment, la liste des publications d’un chercheur peut retarder de 2 ans ;
  • la page d’un salon ou d’un congrès propose toujours de s’inscrire alors que le congrès est terminé (ex : Solutions Linux 2006 affiche le 7 février « La prochaine édition de Solutions Linux : 31 janvier, 1er et 2 février 2006« ).
  • les locations de vacances sont encore libres dans le monde cyber, mais sont blindées depuis 3 mois dans le monde réel.

Mais il y a des satisfactions : Ibrahim Ferrer est encore vivant

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Les marchés financiers sont-ils efficients ? Partie II : les faits

Voici la deuxième partie d’une synthèse qui en comportera quatre. Après avoir posé les bases de ce qu’est l’efficience des marchés, résumons les résultats obtenus depuis… 50 ans de recherche.

Des études académiques ont été menées…

Il faut préciser ce que nous entendons par études académiques (ou travaux de recherche). Il s’agit d’études scientifiquement rigoureuses, reproductibles, et validées par d’autres scientifiques. Détaillons chaque terme :

  • études scientifiquement rigoureuses : on pourrait en écrire des tartines, il s’agit juste de préciser quelques idées.
    1. Pour valider une théorie, il faut des échantillons suffisamment importants, afin d’éviter les généralisations abusives (« l’auteur de ce blog sait jouer de l’harmonica, donc tous les auteurs de blog savent jouer de l’harmonica »).
    2. Ce n’est pas parce que deux événements sont corrélés qu’ils sont liés. L’apprenti chercheur – ou le mauvais journaliste – recherche à tout prix des corrélations, le chercheur recherche des événements liés entre eux. Citation attribuée à Mark Twain : « Le lit est l’endroit le plus dangereux du monde : 99 % des gens y meurent. »
    3. La précision des résultats dépend de la précision des outils. On ne peut généralement rien tirer de simples moyennes, ou de statistiques descriptives, sans les croiser avec des variables de contrôle. Exemple : sur toute sa vie, un homme aura consommé en moyenne 0,12 biberon par jour.
  • études reproductibles : une étude scientifique doit être livrée avec son protocole expérimental, de telle sorte qu’un autre chercheur puisse répliquer l’étude, et vérifier les résultats. Ce protocole expérimental contient notamment le mode de sélection de l’échantillon, la durée d’observation, les variables et les calculs statistiques réalisés. Contre-exemple : « une étude réalisée sur des entreprises européennes montre que celles-ci sont endettées ». Où, quand, comment, quomodo ?
  • études validées par d’autres scientifiques : la recherche est évaluée au sein de colloques ou de revues académiques. Chaque expert est régulièrement relecteur pour des revues, c’est-à-dire qu’on lui soumet des articles de manière anonyme, et il juge si la démarche et les résultats de l’article sont « corrects ». Les taux de rejet de certaines revues sont de plus de 90%.

Il s’ensuit qu’une étude qui ne respecte pas les critères énoncés ci-dessus devra être jetée à la poubelle interprétée avec de très grandes précautions, d’autant plus quand il s’agit de la performance des investissements boursiers.

Et les résultats sont…

… que les marchés boursiers sont efficients sous une forme semi-forte à forte. En français dans le texte

  • un investisseur ne peut pas durablement battre le marché, ou (exprimé autrement)
  • son profit, net des coûts qu’il a engagés (temps, abonnements, déjeuners…) ne sera pas supérieur – à long terme – à celui qu’il aurait eu en investissant passivement dans un portefeuille diversifié, ou encore
  • il n’existe pas de stratégie avérée pour gagner régulièrement plus que le marché, sauf à prendre plus de risques (mais un investisseur peut aussi le faire de manière passive).

FAQ :

– y a-t-il unanimité dans les études ?
Nan, mais une grosse majorité bien ventrue. Prenez les études qui concluent que les marchés ne sont pas efficients :

  • supprimez les études ne répondant pas aux critères académiques (donc, études aux résultats peu crédibles)
  • supprimez les études qui identifient une stratégie qui aurait marché dans le passé (backtracks), mais qui ne marche plus aujourd’hui
  • vérifiez que dans les études restantes, les critères d’efficience énoncés au précédent article (profit net des coûts, gain ajusté au risque pris) sont respectés
  • à ce point-là, s’il vous reste au moins une étude en mains, investissez à mort en suivant sa stratégie. Mais je ne vous suivrai pas 😉 Et tenez-moi au courant…

– Cela veut-il dire que personne n’a jamais de bonnes performances ?
Non, cela veut juste dire qu’en moyenne, sur plusieurs années, seules quelques personnes sortent du lot, et que leur performance est due pour beaucoup à la chance… ou à des recettes que des générations de chercheurs n’ont pas trouvées.

– à quoi cela sert-il d’investir, alors ?
Parce que « ne pas arriver à surperformer le marché » ne signifie pas « ne rien gagner ».

– La citation de la fin ?
Deux pour le prix d’une :

« Et quelqu’un qui prétend détenir des informations confidentielles, ou avoir une « stratégie automatiquement gagnante » est probablement, soit une crapule, soit un idiot ».
Bodie, Merton, Finance, chapitre 1, Pearson education France, 2001.

« J’ai remarqué que toutes les personnes qui m’ont dit que les marchés sont efficients, sont pauvres. »
Larry Hite, trader américain

Faites votre choix…
(à suivre)

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Repentance

Quand un peintre se ravise, et qu’il recouvre une partie de son tableau (pour effacer un personnage, par exemple), on dit qu’il fait une repentance (mise à jour du 25 février : un repentir). Contrairement à mon habitude, je ne pointe pas vers l’article correspondant de Wikipedia, car Wikipedia ne mentionne pas ce sens-là. Une recherche sous Google ne donne que des pages portant sur le sens religieux du mot (dans Les naufragés de l’autocar, un inconnu a peint « Repent » en haut d’une falaise). C’est assez étonnant, je suis sûr du terme et de sa signification.
Bref, je ne conçois pas ce blog comme un musée statique de mes pensées. J’en viendrai donc à compléter mes billets. Mais comme me l’a signalé Yann lors d’une discussion dans le monde réel, modifier un billet après que l’on aie reçu des commentaires dessus, c’est contraire à la netiquette (ou la blogtiquette, je ne sais).
Donc, quand je procèderai à une modification (signe que ma pensée a muri), je l’indiquerai toujours par le terme Repentance.
Pour ceux qui lisent parmi vous, ou pour ceux qui souhaiteraient lire, c’est par une repentance (picturale) que débute l’énigme du Tableau du maître flamand, d’Arturo Perez-Reverte.
Je vais procéder de ce pas à une repentance sur le billet concernant Léonard de Pise et (très accessoirement) Orange, puis, si comme je m’en doute, le terme repentance est accepté dans les meilleurs cercles de la société, je m’en irai augmenter Wikipedia. Mais si mon contact au Musée du Louvre m’éternue de rire au nez « Comment, mon pauvre garçon, quel terme baroque veux-tu inventer ?! », je m’en irai faire repentance dans un quelconque bougnat.
Suite et fin ici.

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La Bourse = du poker, de la roulette ou du tiercé ?

Je ne suis pas trop fana de la lecture quotidienne des cours boursiers, mais puisque je suis dans le sujet, et que la journée a été saumtre, une analogie vite fait. En salle de cours, ou au Café du Commerce, j’entends souvent « La Bourse, c’est comme de jouer à la roulette ».
Eh ben non, pô du tout. Je ne contesterai même pas l’emploi du terme « jouer », car il y a du frisson là dedans. Cela me rappelle une pensée de l’architecte Turpin (?) dans un des romans des Hommes de bonne volonté, de Jules Romains (dont la page Wikipedia est singulièrement courte, il faut que j’y mette bon ordre). Turpin doit concevoir un casino, et il a un raisonnement du type « Bon, la roulette, c’est de la raison et du hasard. Je te fais une bâtisse carrée, en angles, pour la géométrie des combinaisons, les calculs, la sensation que l’on peut tout maîtriser, et puis je te rajoute un dome façon minaret, une virgule qui s’envole, Mektoub, c’est le hasard, la fatalité ». (ce n’est pas une citation précise, je l’ai lu en 1996 ou 1997…)

Alors la Bourse, poker, roulette ou tiercé ?

Analysons rapidement :

  • Au poker, les cartes sont distribuées au hasard ; l’historique des jeux précédents est pris en ligne de compte, non pas à des fins statistiques, mais parce que cela contribue à comprendre la psychologie de chacun.
  • A la roulette, la bille tombe au hasard. L’historique ne sert à rien. Certes, il y a les partisans des séries statistiques, qui notent tous les numéros déjà sortis, en comptant sur les probabilités. Mais dire « la bille n’est pas tombée sur le 24 depuis 72 coups, donc je mise sur le 24 », c’est oublier qu’à chaque coup, il y a une chance sur 36 pour que la bille tombe sur le 24. Pas plus, pas moins. Ce sont que l’on pourrait appeler en économétrie des séries statistiques indépendantes.
  • Au tiercé, l’historique semble important : tel jockey a eu la mixomatose, tel canasson a surperformé le marché au Derby d’Epsom, voilà autant de « signes ». Le problème est que ces signes sont connus de tous (information publique) et qu’ils servent aux paris, donc à la cote. Telle action, pardon, tel cheval est très apprécié, donc tout le monde mise sur lui, et il va donner une rentabilité, pardon, un gain, relativement faible, car il est peu risqué. Telle autre action, pardon, tel autre bourrin, n’attirera que les amateurs de risque, qui ne seront pas légion, mais si le bourrin gagne, c’est 10 fois la culbute.

Vous la voyez venir, mon analogie. En Bourse, quoiqu’en disent les partisans de l’analyse technique (l’article de Wikipedia est très orienté, je m’en vais vous me le rechapper d’ici… quelques jours), l’historique ne sert à rien, dans la mesure où

  • les actions suivent une marche au hasard (ce qui n’exclut pas une tendance à la hausse ou à la baisse)
  • les informations publiques sont immédiatement intégrées dans les cours

Donc la bourse, ce n’est certainement pas du poker (mais c’était évident), ce n’est pas non plus de la roulette : c’est un marché où les informations publiques, les tuyaux, et l’historique (le tout servi par des bons commerciaux) fondent les offres et demandes de titres. C’est exactement la description du tiercé.

Mais j’aime bien la référence au poker, car il y a quelques similitudes psychologiques (que les sociologues ont dû investiguer) :

  • Overconfidence : quand on a gagné récemment, on prend plus de risques, on se croit meilleur que les autres
  • Refaire ses pertes : quand on a perdu, on a tendance à prendre plus de risques aussi, du genre « je vais me refaire ». Mais beaucoup d’investisseurs boursiers oublient que un titre qui fait -33% devra faire +50% pour revenir à son cours initial… Les pentes sont toujours plus faciles à dévaler qu’à remonter (non, ce n’est pas parce que les vacances de février approchent. Quoique. Finalement, la journée se termine de manière moins saumtre).
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Livre lu : John Steinbeck – Les naufragés de l’autocar

John Steinbeck est un vieil ami. Je n’en pas lu autant que j’ai lu de Giono ou Djian, mais je tiens John Steinbeck pour le plus grand écrivain américain du XXème siècle (oui, devant Richard Brautigan, oui, devant Jack Kerouac).
Le livre que je viens de (re)lire s’appelle Les naufragés de l’autocar, et étant donné que j’ai lu la majorité de mes Steinbeck avant de démarrer ce blog, je profite de cette critique pour faire une taxonomie rapide de l’auteur et de l’oeuvre.
Les naufragés de l’autocar est – je suppose – une oeuvre mineure de Steinbeck, mais ce n’est pas pour autant une oeuvre négligeable, loin de là. C’est amusant, parce que dans ma typologie des oeuvres de Steinbeck, je ne serais pas sûr de pouvoir loger facilement ce livre-là.
Steinbeck est connu pour les Raisins de la colère, que je classerai dans ses romans politiques, avec En un combat douteux. Une variante plus soft sur ce thème en sera Des souris et des hommes, qui est aussi un très beau film de Gary Sinise avec John Malkovich.

Il y a une autre veine, aussi chère à mon coeur, qui est la veine humoristico-tendre de Tortilla flat, Rue de la sardine et Tendre jeudi. S’il prenait la fantaisie à quelqu’un (au hasard parmi nous 😉 ) de croiser En un combat douteux et Tendre jeudi, je pense que toute la personnalité de Steinbeck serait révélée :

  • un étonnant observateur des personnes, mais aussi des paysages et des situations
  • un ardent défenseur de la cause humaine (ça sonne mal, je sais, mais il est tard), on va dire un ardent croyant en l’homme (c’est pas mieux, mais je fais ce que je peux)
  • un vivant ô combien vivant, actif et énergique, brûlant d’un idéal. Les premiers paragraphes de Travels with Charley sont marquants en ce sens : Steinbeck se positionne comme un éternel vagabond (« once a bum, always a bum ») prêt à bondir dès qu’un navire siffle son départ.

Une troisième catégorie de romans pourrait être « romans de la terre », dans lesquels je compterais La grande vallée, Au dieu inconnu et A l’est d’eden, le dernier étant de loin le plus âpre, le plus biblique (Caïn et Abel ne sont pas loin). J’avoue que le film m’a moins frappé, mais c’est peut-être une histoire de génération (quoique, j’aime bien James Dean par ailleurs). Autant A l’est d’eden est clairement biblique et américain, avec la Faute et le Pardon, autant Au dieu inconnu m’a fait penser à Colline, de Giono, avec cette nature animiste et rebelle.

Nous abordons maintenant les romans inclassables, ou multitrophes, dont Les naufragés de l’autocar.

  • La perle et Le poney rouge : je n’accroche pas, ce sont des romans pour enfants mais finalement destinés aux adultes, des allégories simples et finalement déprimantes ;
  • La coupe d’or : un roman historique, le premier livre de Steinbeck, l’histoire d’un homme (typique de Steinbeck) qui ne s’arrête pas aux frontières du raisonnable.

Il me reste trois romans / récits que j’ai gardés pour la fin. A eux trois, ils décrivent l’Amérique de Steinbeck, celle qui, sans forfanterie, me fait rêver.

  • Une saison amère est un des romans pour lequel j’ai une secrète préférence, ce ne sont pas les lumières amusées de Tortilla Flat, ni la grandeur de En un combat douteux, il s’agit d’un homme, épicier, qui décide de devenir riche, d’une manière directe, non pas brutale, mais pas loin, dans les limites de sa morale pragmatique, et le lecteur est d’accord pour le suivre.
  • Les naufragés de l’autocar représente une autre incursion dans l’amérique mythique, celle des années 50, mais je trouve ce roman toujours d’actualité. Les situations sont intemporelles, les personnages sont permanents. Je cite juste un exemple mais il y en a des centaines :
  • M. Pritchard usait d’une stratégie bien établie dans ses rapports avec les gens. Il n’oubliait jamais le nom d’un homme plus riche ou plus puissant que lui, mais il oubliait régulièrement le nom d’un inférieur. Il avait découvert que d’amener un homme à décliner son nom suffisait pour le placer dans une position légèrement désavantageuse.
    John Steinbeck, Les naufragés de l’autocar, Folio n° 861, p. 183.

  • Travels with Charley est, à ma connaissance, la dernière oeuvre de Steinbeck. Atteignant la soixantaine, il décide de partir seul (enfin, avec Charley, son grand caniche) en pickup pour « redécouvrir l’Amérique ». Un pionnier, je vous dis, un vrai. Le résultat est un récit forcément daté, mais une vraie bonne tranche de vie.

Voilà ma contribution, bien humblement.

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