Tu étais là
Je sortis de la librairie vers sept heures du soir. Je fermai le rideau métallique de devant, rangeai quelques bricoles, passai dans l’arrière-boutique et débouchai dans la ruelle derrière. J’aimais bien cette ruelle le soir, juste une petite issue entre deux maisons, j’aimais bien ma petite porte de derrière par laquelle je pouvais sortir sans éveiller l’attention de l’Ennemi. Avant de fermer la petite porte, je respirai l’odeur de la nuit tombée, jetai un coup d’œil vers le bout de la ruelle. Etait-ce un soir de calme bleuté, toute chose étant en harmonie ? Les éclairs allaient-ils déchirer la nuit et les cœurs ? Je pensais à ce petit chat qui était déjà venu deux fois, qui cherchait un livre, son livre, j’aurais voulu pouvoir l’aider mais pour une fois, je me sentais étrangement vide, impuissant.
Je restai ainsi à ruminer devant ma petite porte fermée, un petit vent s’engouffra dans la ruelle et fit flotter les pans de mon manteau, large manteau dissimulatoire. Le vent soufflait plus fort, je me drapai dans ce manteau flottant, ramenai un des pans sur mon visage. Métamorphose : d’obscur libraire perdu au sein de la nuit et de son impuissance, je devenais le Héros Masqué, et le souffle qui me portait était le Vent de l’Histoire. Quoi, y avait-il des injustices, des carnivores par delà le monde ? Le Héros Masqué était là pour faire régner le bon droit, et sa mission salvatrice l’emportait comme un surf sur les vagues de l’audace …
Ainsi drapé, superbe et solitaire, je me mis à courir comme un félin vers le bout de la ruelle, prenant mon élan pour m’envoler et accomplir mon devoir nocturne. Je sentais mon Manteau Dissimulatoire flotter comme une cape, j’étendis les bras et débouchai sur le trottoir éclairé, jaillissant de la ruelle sombre comme un éclair doré. Je virai sec à gauche pour rejoindre mon engin spatial, le Libelluloplane.
Aline était là, devant la librairie, elle tourna la tête vers moi qui surgissais des profondeurs de ma métamorphose.
Je décélérai,
les pans de mon manteau anodin flottaient,
je revins doucement au pas,
mis les mains dans mes poches
et avançai encore,
finissant sur mon élan.
– Belle nuit, n’est-ce pas ? dis-je d’un ton dégagé.
Fin de la deuxième partie
Roman, publié progressivement, sous un contrat Creative Commons. Et aussi sous licence Touchatougiciel.
Le roman, dans l’ordre, est là.