Enseigner, c'est quoi (en une idée) ?

Chaque année, j'ai le plaisir de participer à des simulations de cours. Cela consiste, pour des doctorantes et jeunes chercheurs en gestion, à faire un mini-cours devant un auditoire de leurs pairs (et un prof blanchi sous le harnais) pour recueillir des conseils, feedbacks et compliments.
Typiquement, la jeune prof fait un cours "comme pour de vrai" face à l'auditoire qui joue le rôle d'un public étudiant, et au bout de 15mn, on arrête, quitte à interrompre, et on passe à la partie "feedbacks, suggestions, points forts" pendant 20-25mn.
Cela donne des échanges passionnants, car autant de personnes, autant de manières d'enseigner, et cela me permet de découvrir quantité de nouveaux concepts dans les domaines de la gestion.
C'est aussi l'occasion de revenir aux fondamentaux de la pédagogie / andragogie. Dans la tête de certains jeunes enseignants, "Pour enseigner, il suffit de savoir" – et cette pensée magique est encore plus marquée quand ils sont en doctorat. Bien maîtriser son sujet et les concepts, et hop, ça passe. En d'autres termes, si je connais mon sujet, je peux enseigner.
Ce n'est pas faux, mais c'est une condition nécessaire, et non suffisante.
Alors, c'est quoi, la qualité de base pour enseigner, en une idée ?
  • Avoir des images et analogies ? Oui, ça aide énormément, mais ça n'est pas le point central. D'autant plus que les apprenants n'ont pas tous la même relation aux images : certains vont adorer résumer un concept en une image (le cash flow, c'est comme de l'eau qui coule dans une baignoire), d'autres seront plus à l'aise avec une formule mathématique, d'autres encore ne pourront retenir que si elles ou ils ont appliqué à un cas réel, etc.
  • Tenir sa structure et son timing ? Pareil, ce sont des conditions sine qua non pour la survie du prof / formateur en salle ou en ligne, mais ce n'est pas le coeur de l'idée.
  • Savoir s'adapter à son auditoire, ralentir quand nécessaire, ne pas hésiter à sauter des parties ? Oui, bien sûr, ça aide.
  • Savoir répondre à toutes les questions ? Mine de rien, on se rapproche, même si ça fait croire (à tort) que c'est exclusivement une question de savoir.
Ma réponse à cette question, elle est bête comme chou, et ne méritait peut-être pas un billet de blog... Mais ça n'est peut-être pas si évident que ça, puisqu'il m'a fallu 33 ans et plus pour formaliser cette idée simple.
Enseigner, c'est savoir expliquer.
J'ai rencontré parfois des formateurs et des professeures qui maîtrisaient à fond leur sujet et qui avaient réponse à tout... mais qui ne savaient pas expliquer clairement ou simplement. À l'inverse, je connais beaucoup de personnes qui ne sont pas des références académiques de pointe, mais qui savent expliquer clairement. Quand on a les deux dans la même personne, c'est évidemment l'idéal. Je garde ainsi un souvenir reconnaissant et admiratif de mes professeurs à Centrale (maintenant CentraleSupelec) qui étaient chargés d'expliquer différentes disciplines d'ingénieurs à nous autres, jeunes diplômés d'école de commerce. Face à ce public, ils faisaient tout "avec les mains", c'est-à-dire sans une seule équation. C'était lumineux.
À tout prendre, si l'on n'a pas la chance d'avoir une prof qui a en même temps un savoir gigantesque et la capacité à l'expliquer, eh bien, je préfère la personne qui sait bien expliquer. En effet, une fois qu'on a compris, on peut aller chercher par soi-même les approfondissements s'ils n'étaient pas fournis : on peut creuser. Alors que si on a raté la première marche, rien ne sera jamais simple : on répètera comme des animaux savants, sans comprendre.

Bonus : si le prof sait expliquer de différentes manières. Par exemple :
- donner une définition et la commenter OU
- faire une application pratique "pas-à-pas" OU
- donner une analogie / image / comparaison et la faire évoluer (ce qui est commun à l'analogie, ce qui est différent) OU
- donner l'intuition en une phrase ou deux (pas cinq) OU
- partir d'un problème courant et co-construire le concept OU
- ...

Parce que l'étudiante A aura une manière d'apprendre différente de l'étudiant B.


L'aberration du recyclage du verre

Il aura fallu que je lise le livre de John Seymour (Le grand guide Marabout de l'autosuffisance, à acheter auprès d'une librairie indépendante) pour que je prenne conscience de l'aberration du recyclage du verre.
John Seymour en mentionne l'idée en 1975 (!) au détour d'un paragraphe : la solution serait que tous les fabricants utilisent le même standard de contenant. Quand on y réfléchit, c'est un épouvantable gâchis d'utiliser un contenant de verre une seule fois, avec un processus long et coûteux (collecte, recyclage), qui nécessite de :
- demander aux ménages de trier leurs contenants en verre
- puis d'amener des sacs de contenants vides et les déposer dans des bacs à verre (où le verre est cassé)
- puis de collecter ce verre et l'amener à des usines
- où le verre est trié (?) et probablement lavé
- puis fondu / revendu (avec tous les traitements thermiques et chimiques)
- le tout pour revenir au contenant initial...

Prenons l'exemple des pots de confiture. La plupart de ceux du commerce sont de pots circulaires, avec 8 pans et un couvercle qui se visse. Pourquoi donc dois-je trier et apporter au recyclage un pot et un couvercle qui sont parfaitement fonctionnels ? Par expérience, un peu de trempage, un coup de machine à laver, et je peux faire mes confitures maison dedans. Donc, si tous les fabricants utilisaient le même modèle de pots de confiture, il y a quantité de cas où il n'y aurait pas besoin de recycler le verre. Ce serait moins coûteux, meilleur pour l'environnement et plus simple.
Certes, tout le monde n'a pas forcément l'utilité des pots de confiture et des bouteilles de verre, mais dans ce cas, pourquoi la consigne n'est-elle pas généralisée ? Si l'Europe arrive à se mettre d'accord sur un chargeur de téléphone standard, quel que soit le téléphone (sauf Apple), on aimerait bien qu'il en soit de même pour les récipients en verre. Des volumes standard (25cl, 33cl, 50cl, 75cl, 1l), avec des formes généralisées à l'industrie (le petit pot pour bébé, le pot de mayonnaise, la bouteille de soda...), et un système de consigne.
Cela permettrait aussi d'en finir avec l'aberration (une autre) de la production du plastique. Oui, les industriels nous disent que le plastique leur coûte moins cher que le verre. Mais :
1. en tant que consommateur, peu m'importe ce que ça coûte à l'entreprise, car je suis sûr qu'elle va me refacturer ses coûts dans le prix de vente.
2. les entreprises ne parlent que du coût financier, en passant sous silence l'abominable coût environnemental du plastique, sans parler de la santé humaine et animale (hello les micro-plastiques).
En résumé, la question du jour : pourquoi n'y a-t-il pas standardisation des récipients en verre ? Y a-t-il eu des tentatives pour légiférer sur ce sujet ?
Pour information, des entreprises comme Le Fourgon pratiquent déjà ce système, mais uniquement sur leur propre ligne de produits. 
(Mise à jour => ) Biocoop le fait aussi de manière plus globale (voici un lien Biocoop https://www.biocoop.fr/la-consigne-pour-reemploi et un article https://www.biolineaires.com/100-des-magasins-biocoop-seront-points-de-collecte-en-2025/).
[deuxième mise à jour, le même jour, merci à Chloé pour l'info] en Occitanie il y a plusieurs acteurs qui vont dans ce sens Oc'Consigne Consign'Up. Et les acteurs sont regroupés au sein du réseau national France Consigne
[ultime edit, en Anglais : tout est dit dans ce post sur Mastodon]



Les mots qui disent l'inverse

La majorité des mots sont censés dire ce qu'ils disent. Quand je dis "il fait beau", tout le monde comprend le sens de ma phrase, et il n'y a pas de vérité cachée.
Il y a aussi une minorité de tournures qui, elles, sont plus subtiles à analyser. Les litotes, les questions rhéthoriques, les variations de termes et de rythme : ces figures de style (figures stylées, comme dit Mathilde Levesque) demandent un effort de compréhension pour décrypter l'intention derrière la phrase. Quand un collègue me dit "j'admire ton opiniâtreté", je peux me demander à juste titre (1) s'il pense ce qu'il dit, c'est-à-dire qu'effectivement il est admiratif, ou bien (2) s'il n'est pas en train de se foutre de ma gueule, plus ou moins ouvertement, en me faisant comprendre à demi-mot qu'il y a peut-être des choses plus importantes dans la vie que le remboursement de cette note de frais de 2,30 €. Et il peut y avoir un (3), un (4), sur les multiples échelles du passif-agressif, de l'humour, de la mise en abyme et autres univers parallèles.
Et il y a, à part, les phrases qui disent l'inverse de ce qu'elles disent. Ce n'est pas une atténuation, c'est vraiment l'inverse de ce qui est dit. J'en ai trouvé trois pour l'instant :
  • "Si tu veux", qui arrive habituellement pour clore une discussion. Il n'y a ni consensus, ni accord. "Si tu veux" dit en fait "moi je ne veux pas, mais je lâche l'affaire". On est dans le centre émotionnel (comment je vis cette discussion).
  • "Admettons", qui arrive au milieu d'une discussion, pour passer à autre chose. "Admettons" peut être traduit par "j'ai écouté tes arguments, j'ai donné mes contre-arguments, et je vois que tu persistes à t'enferrer, donc je coupe court". "Admettons", c'est un peu comme "bref" : une manière plus ou moins polie de passer à un autre niveau de la discussion, en ignorant tout ce qui a été dit précédemment. On est là dans le centre mental (argumentation, logique...).
  • "J'arrive", qui est habituellement dit depuis un autre endroit, où on est invisible, mais à portée de voix. "J'arrive" ne signifie donc pas "j'arrive tout de suite", mais plutôt "je vais arriver plus tard". Un jour, une de mes connaissances a même répondu à sa femme "j'arrive" tout en quittant la pièce. C'est évidemment le centre instinctif, celui du mouvement, qui parle ici.
Je suis partant pour toute suggestion permettant d'augmenter cette liste embryonnaire et ô combien importante.
  • Frédéric suggère "c'est évident", qui est superbe, en effet ! Si tu te sens obligé de dire que c'est évident, c'est que ça ne l'est pas tant que ça... 



Pensée moulinière – Ramasser des noix

Depuis maintenant quelques années, nous sommes propriétaires d'un ancien moulin en Touraine. Ayant toujours été citadin auparavant, je découvre au fil des jours une autre manière de vivre, avec d'autres repères. Bienvenue dans ces pensées moulinières.

Quand vient l'automne, voici le moment de ramasser des noix. J'ai la chance d'avoir 3 noyers, et ces arbres vénérables me transmettent à chaque fois quelques leçons d'humilité.
Il y a d'abord la question de la date de ramassage : en règle générale, les écureuils sont un bon baromètre. Comme la grenouille qui monte et descend à l'échelle de son bocal, l'écureuil est un bon indicateur de la noixitude du voisinage. Si, au petit déjeuner, j'en vois passer plusieurs qui s'affairent tels des lapins de mars (« je suis en retard, je suis très en retard ! »), cela veut dire que c'est le bon moment pour aller leur faire concurrence dans le ramassage des noix. La date de ramassage est évidemment complètement aléatoire : cela dépendra de l'été, de la pluie, des phases de la lune... et évidemment, des années. 
Il y a des années à noix et des années pas à noix. Il y a 3 ans, c'était une année à noix : j'ai ramassé 25 kg, et encore, c'était parce que mes vertèbres avaient crié grâce. L'année suivante, j'ai juste mis la main sur un ou 2 kg moisis (il faut dire que, bien occupé par ailleurs, je m'y étais pris très tard).
Cette année, ça a l'air bien parti.
On oublie très vite l'erreur de débutant, qui se dit « il doit y avoir un moyen pour aller plus vite ». Les magasins de jardinage regorgent d'ustensiles censés faciliter la vie : un petit panier roulant au bout d'un manche, des pinces qui évitent de se baisser, des râteaux larges qui sont censés ratisser les feuilles en laissant passer les noix...
J'ai particulièrement apprécié la leçon qui m'a été donnée sur le petit panier roulant au bout d'un manche. C'est un ustensile fort ingénieux, un peu comme la roue d'un hamster au bout d'un bâton : on promène ça sur le sol, et les noix sont censées rentrer et ne pas ressortir. En pratique, ça marche bien pour les premières noix, et puis on arrive très vite à un ratio pour lequel il y a une noix qui rentre pour 2 ou 3 noix qui sont éjectées du panier. Il s'agit aussi de vider régulièrement le panier, et comme il est censé capturé les noix, il ne les lâche pas facilement. J'en suis revenu très vite à la méthode des anciens, qui regardaient mon panier à roulettes en rigolant. Il n'y a pas de mystère, il faut se baisser, ramasser et se faire mal au dos.
Car la noix se cache, mais elle vit en groupe. C'est comme pour les champignons : il faut trouver la première noix, puis regarder juste à côté dans l'herbe. Même quand on est un gars de la ville, on apprend vite ce mouvement de pied semi-circulaire qui consiste à balayer l'herbe et sentir si ça roule sous le pied : si ça roule, c'est de la noix (ou plus rarement un caillou). Car certaines noix sont bien enfoncées dans la terre, planquées sous l'herbe, ou encore maculées d'un mélange glaiseux de brou de noix et d'autres excrétions animales. Il faut aussi rebrousser chemin régulièrement : telle noix qui était cachée par une touffe d'herbe devient parfaitement apparente quand on retourne sur ses pas. Il faudrait que je porte un podomètre quand je ramasse des noix. 
Peu à peu, on apprend. Par exemple, la logique voudrait qu'on ne cherche que sous le noyer. S'il n'y a pas de feuillage en l'air, pas besoin de regarder en bas. Eh bien, que nenni. La noix roule, la noix est emportée par de petits sciuridés, la noix peut vouloir voir du pays. Donc il faut chercher au-delà de la couronne du noyer, il y a parfois de belles surprises.
À la fin, ramasser des noix, c'est trier. D'abord sur le terrain, en excluant les coquilles vides, les coquilles entrouvertes desquelles germe un petit bout de futur noyer, les fruits qui ne sont pas encore ouverts, les bouts de bois ou les cailloux qui roulent sous le pied, les feuilles qui ont exactement la même couleur. Puis, de retour à la maison, il faut re-trier : enlever les feuilles mortes, les brins d'herbe, et surtout les noix percées ou entrouvertes. Après séchage de plusieurs semaines, encore un tri : enlever les noix qui en ont profité pour s'entrouvrir, celles qui ont été colonisées par des petits voraces, et toutes celles qui sont trop légères pour être honnêtes. Et des semaines, des mois après, il y en a encore à trier : trouées, moisies, enchifrenées. Quand tout cela est fait, après toutes ces heures de travail, on a enfin des noix prêtes à être consommées. Quand je pense que certains magasins vendent le kilo de noix à 5 €, je n'ose imaginer le salaire horaire que cela peut procurer aux ramasseurs...


LinkedIn récupère vos données pour entraîner son IA

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